L'Écuyère. Paul Bourget
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Название: L'Écuyère

Автор: Paul Bourget

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ flottaient partout dans l'atmosphère, numide, comme bleutée, qui donnait, à ce coin perdu d'horizon, des teintes délavées d'aquarelles. Tantôt, c'étaient des détails plus rapprochés qui distrayaient son regard: une biche s'arrêtant au milieu d'un fourré pour laisser passer l'amazone, – un cocher en train de promener un cheval de voiture, coiffé d'un camail, et devenu soudain rétif, – un oiseau posé sur une branche et tournant de tous côtés sa mignonne tête, avec la curiosité d'une jeune vie encore animée par le rajeunissement universel des choses; – une vieille femme cheminant, les épaules pliées sous une charge de bois mort. Ces touches de simple nature, rencontrées brusquement, à si peu de distance de ce Paris artificiel qu'elle n'aimait pas, ravissaient toujours la jeune Anglaise. Elle fermait les yeux à demi, et, abandonnée au rythme du petit galop, elle se croyait loin, très loin, dans quelque vallée de Grande-Bretagne ou d'Irlande dont elle gardait le souvenir.

      – «Le Bois est comme un grand parc, ce matin,» songeait-elle. «Il ressemble à celui de Kenmare, que nous avons visité, maman et moi, au-dessus de Killarney, quand nous sommes allées à Dublin, avec papa, pour le Horse Show… Il n'y a pas plus de quatre ans!..»

      Les visions de ce voyage, si rapproché par les dates et si distant, si perdu dans un abîme de nuit, à cause du recul tragique de la mort, affluèrent dans l'esprit de Hilda. Elle tomba dans une espèce d'hypnotisme rétrospectif, dont elle fut réveillée par le plus vulgaire des accidents. Le Rhin ayant, tout d'un coup, commencé de se désunir et de sautiller, elle constata que la selle n'avait plus la fixité ordinaire. En se retournant, elle s'aperçut qu'une des courroies, la transversale, pendait, détachée. C'était le battement de la lanière de cuir contre ses jambes qui agaçait l'animal.

      – «Quand Jack saura cela», pensa lia jeune fille, «il en fera une maladie. Lui qui ne laisse jamais personne seller mon cheval quand il est à la maison, et c'est lui-même qui l'avait sanglé, ce matin… Bah! Ce ne sera pas grand'chose… Heureusement que cette bête est la sagesse même… Il n'y a pas de cavalier en vue qui puisse me la tenir… Mais, quand on ne sait pas s'aider soi-même, il ne faut pas monter…»

      Elle avait sauté à terre lestement seule, en formulant ainsi tout bas, pour son propre compte, la grande maxime nationale du self-help. Elle se trouvait, à ce moment, dans une des parties les plus désertes, en ces années-là, du bois de Boulogne, celle qui s'étend entre la Muette, le champ de courses d'Auteuil et les fortifications, et qu'un peuple de malandrins rendait aussi dangereuse qu'une route perdue de Grèce ou du Maroc. Aujourd'hui, un quartier neuf commence d'y surgir. Hilda s'était promenée là cent fois, et il ne lui était jamais rien arrivé. Elle se dit que pour réparer, dans la mesure du possible, le dégât survenu à sa selle, le mieux était de tirer le cheval hors de l'étroite allée cavalière où il pourrait être effaré par d'autres bêtes et les effrayer. Elle entra donc dans le taillis avec le Rhin, qu'elle attacha, par la bride, à la branche d'un sapin. Le goulu s'occupa aussitôt à manger les pousses, verdissant avec ivresse son filet, son mors et sa gourmette. Hilda, cependant, penchée près de l'épaule, procédait à un minutieux examen des sangles demeurées intactes et du surfaix de sûreté dont la bouche s'était simplement décousue. Elle en était à se demander s'il valait mieux le couper entièrement ou bien l'assujettir avec un nœud, quand une sensation de terreur s'empara d'elle, si violente que, pour une seconde, elle en fut paralysée. Deux mains brutales la saisissaient par derrière, aux bras. Elle voulut se relever, se débattre. Elle fut jetée à terre, et l'homme qui l'avait attaquée ainsi à l'improviste la tint immobile, les doigts autour du cou, cette fois, en lui disant:

      – «Pas de bêtises, la petite dame, ou bien nous faisons connaissance avec ce lascar-là…»

      La lame d'un couteau luisait dans sa main libre. Hilda put reconnaître, à la physionomie du bandit, qu'il ne proférait pas une vaine menace. Elle avait affaire à un désespéré. La face hâve de l'agresseur, ses petits yeux jaunes, où la férocité de la faim allumait une sombre flamme, la misère haillonneuse des loques dont il était vêtu, sa barbe hirsute, ses cheveux grisonnants sous un chapeau verdâtre à force d'usure: tout dénonçait, chez le malheureux, un de ces redoutables rôdeurs dont l'audace ne recule pas devant le meurtre. Son âge – il paraissait avoir cinquante ans – augmentait encore l'implacabilité de son geste et de sa parole. Sous l'horrible étreinte de ces mains noires qui la meurtrissaient, la courageuse fille eut cependant la force de crier, par trois fois:

      – «Au secours!.. Au secours!.. Au secours!..»

      – «Tu l'auras voulu,» glapit l'homme. Et il leva son couteau… Puis, comme si la jeunesse de l'écuyère émouvait en lui une vague de pitié, il ne frappa point. Il dit, en serrant le cou d'Hilda davantage, pour étouffer ses cris, en même temps que, du genou, il lui écrasait la poitrine: «Ce que je veux, moi, c'est de l'argent… de quoi manger… Donne ton porte-monnaie et tes bijoux, ça, par exemple…» Et il arrachait, du poignet d'Hilda, un petit bracelet à gourmette où se trouvait une montre. «Ça encore.» Et il déchira le haut du corsage, pour agripper une broche en rubis et en roses, qui représentait un fer à cheval traversé d'un fouet… « Au porte-monnaie, maintenant!.. Il me faut le porte-monnaie… On ne se promène pas sur des bêtes pareilles sans avoir la poche bien garnie… Allons, le porte-monnaie. Le pognon, la gosse, ou je te zigouille… Je ne suis f… pas trop méchant. Tu le vois bien. C'aurait été fait tout de suite, si j'avais voulu… Ouste, crache au bassin, la Jacqueline… Le porte-monnaie, et je te laisse…»

      Il avait desserré un peu ses doigts. Il jugeait sans doute, que la jeune fille, affolée et se voyant une chance assurée de sauver sa vie, accepterait cette espèce de marché. Les repris de justice qui battent l'estrade autour de Paris connaissent leur code pénal comme de vieux magistrats. C'est leur matière exploitable, si l'on peut dire. Ils savent où risquent de les conduire un guet-apens et un assassinat. Ils savent aussi qu'un vol accompli dans de certaines conditions n'est pas vraiment recherché. Les victimes mêmes de ces vols n'apportent pas un grand zèle à leur poursuite. La somme est minime. Les bijoux ne sont pas très précieux. On dépose une plainte, un peu pour la forme. Les indices sont vagues. Aucun ne met la police sur une trace nette, et le tour est joué. Il arrive encore – c'était, sans doute, le cas – que le malfaiteur est un ancien ouvrier. Le chômage, l'ivrognerie, les mauvaises fréquentations l'ont perdu. Le premier meurtre à commettre lui représente, quand même, un étage descendu dans sa propre conscience, et il recule. Quel que fût le motif, l'homme, évidemment, hésitait à tuer. Mais, s'il escomptait la panique dont il croyait la jeune Anglaise saisie, il devait constater vite qu'il se trompait. Elle eut à peine le cou un peu plus libre, qu'elle ramassa son énergie dans un effort suprême. Elle lança de tous ses poumons des cris désespérés, en même temps que de ses poings fermés, elle frappait le misérable à la face avec une telle vigueur, que le sang jaillit.

      Pendant l'éclair d'une seconde, la douleur et la surprise firent lâcher prise à l'homme. Hilda le saisit à son tour et, d'une secousse violente, elle le fit rouler et roula avec lui jusque dans les jambes du cheval, qui, parfaitement indifférent au danger de sa maîtresse, continuait à déchirer, de sa dent gourmande, les vertes et tendres aiguilles du sapin auquel il était attaché. C'est cette inconscience absolue de ces animaux, jointe à leur folle émotivité, qui leur fait donner, par les Grecs modernes, le nom trop justifié d'Alogos, le Sans-Raison. En se jetant ainsi et jetant son agresseur entre les sabots de la bête, Hilda courait le risque, elle s'en rendait bien compte, de recevoir un coup de pied qui pouvait l'assommer net ou lui briser un membre. Mais, avec la rapidité foudroyante de conception que donne le mortel danger, quand on n'y perd pas son sang-froid, elle avait calculé que l'effarement de l'animal et ses sauts déconcerteraient un instant le bandit. L'une minute gagnée, ce pouvait être le salut. Le Rhin, en effet, épouvanté par ce groupe qui se débattait sous lui, bondit à droite, puis à gauche, mais sans toucher ni à l'un ni à l'autre des deux lutteurs, et il s'écarta de deux mètres. Les appels désespérés de Hilda continuaient, l'homme ne pouvant plus la prendre à la gorge. Elle avait saisi, de sa main droite, СКАЧАТЬ