L'eau profonde; Les pas dans les pas. Paul Bourget
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Название: L'eau profonde; Les pas dans les pas

Автор: Paul Bourget

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ avec le beau rôle. Elle aura fait venir la tante, qui me déteste, pour lui raconter que nous la trahissons, Norbert et moi. Alors, si elle est accusée à son tour, la famille sera pour elle. Norbert et moi, nous l'aurons calomniée, pour nous venger… Si tel est son plan, nous verrons bien. Ah! je ne me laisserai pas faire… Mais il faut que Norbert soit avec moi, – tout à fait, —il le faut…»

      Ce petit monologue, pris et repris, à travers les menus incidents que comporte une soirée à l'Opéra, – commentaires sur la salle et les acteurs, nouvelles visites, coups de lorgnette sur les autres loges ou sur l'orchestre, – était étrangement inique dans certaines de ses parties. Mme de La Node ne pouvait pas s'en rendre compte. Elle était perspicace sur un point: cette nécessité de ne pas laisser l'obscur et complexe Chaligny en proie à ses dangereuses hésitations. L'audacieuse jeune femme put se convaincre, dès ce soir, qu'elle avait trop raison de n'être pas très sûre de lui. Elle avait beau avoir serré sa fine taille dans la robe de panne rouge la plus savamment décolletée qu'une brune un peu châtaine, comme elle, ait jamais choisie pour rehausser son teint et faire valoir ses épaules, le désir d'étreindre entre ses bras cette jolie créature, sa maîtresse, dans cette toilette préparée pour lui, fut moins fort chez le mari de Valentine que le scrupule de braver les regards des personnes de leur monde qui l'auraient vu s'en aller avec la cousine de sa femme. Quand il la reconduisit à son coupé et qu'elle lui dit, en se retirant dans le coin pour lui faire place: «Vous ne voulez pas que je vous jette chez vous?..» il lui répondit: «Je vous remercie, je dois passer au cercle…» Elle en resta si étonnée, qu'elle le laissa refermer la portière, sans rien faire que lui lancer un regard sous lequel il se sentit rougir.

      – «Je l'ai peinée,» songeait-il, en s'en allant à pied du côté de la rue Scribe, pour monter au club réellement, avec cette seule idée de pouvoir le lendemain, lui jurer, sans mentir, qu'il lui avait allégué la vraie raison de son refus: «Pauvre enfant! Et elle était si jolie, si tendre!.. Elle ne comprend pas que je ne peux la défendre contre l'autre, que si celle-ci n'a pas de preuves. C'en eût été une, que cette rentrée de l'Opéra ensemble, en voiture, si vraiment Valentine vient d'être avertie. Et elle vient d'être avertie. Mme de Nerestaing ne m'a jamais aimé. Elle n'aime pas Jeanne. Elle nous en veut de nous ennuyer. C'est égal, pour une soi-disant dévote, quelle triste besogne! Après tout, elle n'a pu que rapporter des propos de salon, sans un fait. Je saurai ramener Valentine, pourvu que Jeanne ne m'en empêche pas. Je le leur dois à toutes deux…»

      Ces pensées reproduisaient trop bien l'illogisme d'une situation qui se retrouve à peu près la même chaque fois qu'un homme se laisse entraîner à la périlleuse tentation, naturelle à certaines sensibilités composites, d'avoir deux femmes dans sa vie. Ce dualisme émotif, – car si Chaligny trahissait Valentine, elle était bien loin de lui être indifférente, – se compliquait, dans son cas, de cette étroite parenté, très propice à l'engagement d'une pareille liaison. Les péripéties finales en étaient rendues très difficiles. Tout inconcevable qu'un pareil manque de prévision puisse paraître, jamais ce mari infidèle n'avait envisagé la possibilité d'être quitté par la mère de ses enfants, si un hasard l'informait de la vérité. Il n'avait jusqu'ici redouté que sa douleur. Pour la première fois, il redoutait sa résolution. Il n'avait pas davantage entrevu la possibilité réelle d'une rupture avec Jeanne, bien que sa raison lui démontrât que cette solution était inévitable tôt ou tard et, au demeurant, la seule sage. Toujours, – et ce soir encore, même après qu'il avait eu le courage de sacrifier à la prudence cette rentrée en voiture et les voluptés que lui promettaient les yeux de la jeune femme, si souple, si blanche dans le frémissement de l'étoffe rouge, – oui, toujours, quand il essayait de penser à cette rupture, la sensation des baisers savourés sur cette bouche enivrante se réveillait en lui. Ce souvenir allait ébranler et faire défaillir la fibre loyale. Sa volonté faiblissait à l'avance, sans que cette faiblesse allât jusqu'à se soumettre tout à fait à la sujétion qu'il lui semblait lire chaque jour plus clairement dans ces prunelles de Jeanne, si aiguës par instant, si impératives. Où cette maîtresse toute-puissante sur ses sens prétendait-elle le mener? Il en aurait eu peur davantage s'il l'avait vue, une fois la porte de la voiture refermée, crisper ses jolies mains, dont elle trompa la colère en brisant son éventail, et elle répétait, elle criait, dans ce coupé où Norbert lui avait refusé de monter:

      – «Ah! le lâche! le lâche!.. C'est à cause d'elle, à cause d'elle, à cause d'elle!..»

      Et, se rappelant ce qu'elle savait de Valentine, elle riait d'un rire insultant où se soulageait son orgueil blessé.

      Ce n'était pourtant pas cet orgueil qu'elle avait dans ses yeux et sur toute sa physionomie le lendemain matin, quand elle passa le seuil de l'hôtel Chaligny, vers les onze heures, comme la veille. Elle avait eu, dès les neuf heures, un billet de Norbert, lui demandant s'il pouvait venir rue Barbet-de-Jouy, et elle avait répondu qu'il ne vînt pas, qu'elle irait elle-même rue de Varenne. La nuit lui avait porté conseil. Elle s'était blâmée d'avoir imposé à son amant une épreuve, et devant témoins, à la sortie de l'Opéra. Quand on se dispose à tenter un très grand effort sur quelqu'un, d'en essayer de petits est une faute. Et puis, elle voulait voir Valentine et elle appréhendait que cette visite de Norbert chez elle n'eût pour but que d'empêcher cet entretien des deux cousines. N'ayant plus rien reçu après son billet, elle en avait conclu qu'aucun incident nouveau ne s'était produit. Elle trouva Chaligny qui l'attendait, seul, dans le petit salon de sa femme, le front toujours barré de souci, les yeux lourds de n'avoir pas dormi.

      – «Je ne l'ai pas vue encore ce matin,» répondit-il à l'interrogation de Jeanne. «Elle m'a fait dire qu'elle allait mieux, mais qu'elle se sentait trop souffrante pour me recevoir.»

      – «Ce ne sont pourtant pas les rapports que la tante Nerestaing a pu lui faire sur la sortie de l'Opéra, hier au soir, qui lui auront donné de nouveaux soupçons…» dit Jeanne. La grâce de sa voix et de son regard adoucissait d'une caresse l'ironie de ce reproche, et, prenant la main de son amant: «J'ai bien pleuré dans ma voiture, mais c'est vrai que vous aviez raison…»

      – «Mon amie…» répondit-il en l'attirant à lui, et il lui donna un baiser où vibrait une émotion tout autre que ce délire des sens où Jeanne trouvait son moyen habituel de domination. Elle était trop fine pour ne pas s'en rendre compte, et cette constatation remua de nouveau la lie de rancune déposée dans son cœur: cet attendrissement avait pour cause l'inquiétude du mari au sujet de sa femme. Il était reconnaissant à sa maîtresse de s'associer au sacrifice fait la veille à la tranquillité de son ménage! Elle lui rendit pourtant ce baiser, et elle lui demanda, câline:

      – «Veux-tu permettre que j'essaie de la voir? Si elle me reçoit, moi, ce sera bien une preuve que tes craintes sont imaginaires…»

      – «Et si elle ne te reçoit pas?..»

      – «Elle me recevra,» fit la jeune femme avec une certitude qu'elle commenta d'un regard de triomphe, quand la femme de chambre fut revenue dire: «Madame la marquise attend madame la baronne.» En dépit pourtant de sa hardiesse, native et jouée, la maîtresse était très nerveuse en allant ainsi chez la femme légitime. Quoiqu'elle crût bien tenir, depuis la veille, un sûr moyen de parer aux pires reproches de sa rivale, celle-ci était chez elle, et Jeanne marchait peut-être au-devant d'une scène extrêmement pénible, qui risquait d'être décisive pour son avenir. Si, par exemple, Valentine lui faisait un affront trop dur et qu'elle vît Norbert ne pas prendre son parti?.. Aussi son pouls battait-il à coups répétés quand elle entra dans la chambre, où les rideaux baissés maintenaient l'obscurité des migraines, pas assez pour que la nouvelle venue ne s'aperçût pas de l'extrême pâleur de sa cousine. Mme de Chaligny était couchée, ses beaux cheveux blonds tressés dans une lourde natte qu'elle ramenait sur le bas de son visage, comme pour cacher sa bouche et ses joues. Ceux des traits qui restaient visibles se noyaient dans la pénombre, mais pas ses yeux, où brûlait le feu fixe d'une fièvre. Certes, la jeune СКАЧАТЬ