L'eau profonde; Les pas dans les pas. Paul Bourget
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу L'eau profonde; Les pas dans les pas - Paul Bourget страница 10

Название: L'eau profonde; Les pas dans les pas

Автор: Paul Bourget

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

Серия:

isbn:

isbn:

СКАЧАТЬ se fit ce raisonnement simple, mais fort: parmi les indices qui l'avaient décidée, quand elle allait aborder sa cousine dans le grand magasin, à se retenir et à la suivre de loin, le plus décisif avait été un certain caractère de toilette. Elle avait cru y discerner une intention de passer inaperçue. Elle se dit que le jour où Valentine se hasarderait de nouveau à cette mystérieuse expédition, elle s'habillerait, de nouveau, dès son lever, sinon avec la même robe, à coup sûr dans les mêmes nuances d'effacement. Une autre semaine ne s'était pas écoulée depuis le retour des Chaligny, et elle éprouvait que son génie d'induction féminine lui avait suggéré la bonne méthode. Il n'y fallait que la patience. L'envie, qui est par nature une passion silencieuse et nourrie de longues impressions, en manque rarement. Jeanne n'eut même pas à user de la sienne.

      Elle était donc venue rue de Varenne, ce matin-là, qui était un lundi, vers les onze heures, soi-disant pour embrasser la «chère cousine» avant le déjeuner et combiner avec elle leurs courses de l'après-midi. Il y avait exactement treize jours qu'à la même heure, et cette fois-là bien par hasard, elle avait posé à Valentine la même question: «Veux-tu que nous sortions ensemble?» et que celle-ci lui avait répondu: «Je ne peux pas», en donnant comme prétexte une corvée de visites. Dès son entrée dans le petit salon, attenant à la chambre à coucher, où Mme de Chaligny vaquait avant le déjeuner à sa correspondance, Jeanne demeura saisie d'un pressentiment. Sa cousine portait exactement la même toilette que cet autre jour. L'émotion de l'espionne fut si vive que sa voix tremblait pour formuler sa simple demande. Elle était sûre d'avance du «Je ne peux pas…» de la réponse, et quand elle l'eut entendu, à peine si elle eut la force de prononcer ces quelques mots d'insistance: «Pourquoi? Qu'as-tu donc à faire?..» auxquels Valentine opposa une explication plus vague:

      – «Non, vraiment, je ne peux pas; j'ai deux ou trois rendez-vous que je ne saurais remettre…»

      Jeanne n'essaya pas de l'interroger davantage, de peur d'éveiller une méfiance qui eût déjoué le plan conçu dans son esprit pour le moment où elle verrait le joint à une enquête plus active. Ce plan consistait, le jour où elle aurait saisi les signes espérés, à se poster brutalement dans une voiture aux rideaux baissés, à l'angle du boulevard des Invalides et de la rue de Varenne, et à suivre l'équipage de Mme de Chaligny quand celle-ci sortirait. L'envieuse avait bien pensé, dans sa frénésie de savoir enfin, à employer ce moyen abject sans attendre le signe et chaque jour, jusqu'à la réussite. Son bon sens lui avait démontré qu'une pareille opération n'avait de chance d'être efficace que si elle ne se renouvelait pas trop souvent. Un fiacre qui suit un coupé de maître n'est pas remarqué une première fois. A la troisième, à la quatrième, la personne qui est dans le coupé s'aperçoit de la poursuite, ou bien c'est le cocher, le valet de pied. Mais le jour en question, ayant surpris sa rivale dans une toilette, significative pour elle jusqu'à la certitude, comment Jeanne eût-elle hésité? Elle avait quitté Valentine à onze heures et demie. Elle savait que celle-ci déjeunait à midi un quart, et qu'elle commandait d'habitude sa voiture pour deux heures et demie. Dès une heure trois quarts, elle se tenait au poste d'observation qu'elle s'était fixé, ayant eu le courage, car c'en était un pour une femme de son rang, de passer avec un cocher un de ces pactes qui établissent entre la personne qui l'offre et celle qui l'accepte une si avilissante complicité:

      – «Mais votre cheval aura-t-il la force de suivre deux chevaux qui iront très vite?..» avait-elle demandé, le marché conclu.

      – «Mettez cinq francs de plus, la petite dame», avait répondu l'homme, «et ce serait un auto que, dans Paris, s'entend, il ne nous perdrait pas…»

      Cette familiarité d'un inférieur, au niveau de qui ce dialogue l'abaissait, fit rougir Mme de La Node. Elle ne renonça pas pour si peu à un projet dont elle n'attendait pourtant pas un résultat aussi définitif et aussi facile. Sa crainte que la bête attelée à cette voiture de hasard ne pût pas suivre les juments anglaises de sa cousine se trouva vaine, et la vantardise du cocher n'eut pas lieu d'être mise à l'épreuve, par ce simple fait qu'à deux heures Mme de Chaligny sortit en effet de son hôtel, mais à pied. De son fiacre, par l'interstice du rideau de soie bleue, élimé et taché, que sa main nerveuse écartait à peine, l'autre la vit qui venait sur le trottoir, lentement, paisiblement, en femme qui profite du beau temps sec pour marcher un peu. Elle ne parut même pas prendre garde à l'anomalie que représentait, dans ce quartier si peu propice aux aventures parisiennes, la silhouette d'un coupé aux stores fermés, immobile à l'extrémité de la vertueuse rue de Varenne. Car elle traversa le boulevard sans se retourner, gagna le petit jardin des Invalides, qu'elle longea de cette allure toujours indifférente. Mme de La Node, qui avait dit à son cocher de descendre cette même avenue au pas, ne perdait pas un geste de la promeneuse. Déjà sa certitude du matin commençait de l'abandonner. Elles avaient toutes deux une grand'tante, une vieille comtesse de Nerestaing, qui demeurait au quai d'Orsay, de l'autre côté de l'Esplanade. Valentine allait-elle tout bonnement rendre ses devoirs à cette douairière?.. Mais non. Au lieu d'obliquer dans cette direction, elle se dirigeait vers le boulevard de La Tour-Maubourg. Elle n'y fut pas plutôt arrivée qu'elle arrêta, elle aussi, un fiacre qui passait. Le cœur de Jeanne battait à l'étouffer. Dans quelques instants, elle saurait si sa cousine faisait simplement une course dont l'idée lui était revenue en route, ou bien si elle fuyait vers ce rendez-vous caché, seule explication plausible de son abandon de ses gens, l'autre jour, et de son mensonge. Valentine avait pris un fiacre dont la caisse, peinte en jaune, permettait la poursuite d'autant plus aisément qu'il avançait au trot lent d'une bête très fatiguée. Il alla le long de ce boulevard de La Tour-Maubourg d'abord, puis de l'avenue Duquesne, pour contourner le chevet de Saint-François-Xavier et gagner, un peu au delà, le long boyau populaire de la rue de Vaugirard, qu'il ne quitta plus jusqu'au Luxembourg. Jeanne, dont la voiture roulait à vingt mètres en arrière, était sûre maintenant qu'elle tenait la véritable piste. Elle vit le fiacre jaune s'engager dans la rue de Médicis, dans la rue Soufflot. Il suivait le mur des vastes cours du lycée Henri IV. Des noms, que jamais Mme de La Node n'avait même entendus, défilaient sur les plaques d'angle: «Rue Clovis… Rue de la Vieille-Estrapade… Rue Thouin… Rue Mouffetard…» Encore quelques tours de roue, la bruyante artère de la rue Monge était traversée, et la voiture enfilait cette fin de la rue Lacépède qui débouche en face du Jardin des Plantes. Elle s'arrêta. Mme de Chaligny en descendit et paya la course, avec une monnaie préparée à l'avance, – autre petit signe qu'elle voulait se débarrasser vite de son cocher. – Mais ne se rendait-elle pas à la Pitié, dont la façade grise se dressait un peu plus loin à droite? Jeanne, de qui la voiture avait continué et stationnait maintenant près de la grille du jardin, eut un moment l'idée que sa cousine allait passer le seuil de l'hôpital. L'hypothèse d'un mystère de charité qu'elle avait formée, on se souvient, une première fois déjà, presque malgré elle, et rejetée de toute la force de sa haine, était-elle donc la vraie?.. Non encore. Mme de Chaligny avait simplement attendu sur le seuil que son fiacre partît. A présent, elle remontait à pied le mince trottoir de la rue Lacépède. Elle fit de la sorte cinquante pas peut-être, et Jeanne la vit qui sonnait à la porte d'une maison petite, à deux étages. La porte s'ouvrit. La marquise, qui avait paru jusque-là étrangère à tout désir de se cacher, lança cependant autour d'elle le regard circulaire de la femme qui veut être bien sûre qu'elle n'est pas reconnue, – et elle disparut derrière le battant refermé.

      Mme de La Node avait assisté à ce manège, autant du moins que l'éloignement forcé de son poste d'observation le lui permettait, avec une joie cruelle, une joie de prise, qui se mélangeait néanmoins à trop d'étonnement pour être complète. Par son expérience personnelle et par les confidences d'hommes qu'elle avait pu recevoir, elle était trop initiée aux conditions habituelles des secrets bonheurs parisiens. Comment n'eût-elle pas été déconcertée jusqu'à la stupeur par le quartier où sa cousine avait ses rendez-vous? La plus élémentaire prudence interdisait un pareil choix, d'autant plus compromettant qu'il était plus excentrique. Descendue de sa voiture elle-même, et marchant le long du pauvre trottoir que Mme de Chaligny СКАЧАТЬ