La terre promise. Paul Bourget
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Название: La terre promise

Автор: Paul Bourget

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ tristesses une trahison de femme ouvre autour d'elle! Qu'il est cruel d'être paralysé par cette idée de mensonge jusque dans ses meilleurs élans! Francis, qui n'avait plus un seul parent rapproché depuis la mort de sa sœur, se fût dévoué à cette petite fille avec délices, s'il eût cru en la mère. Au lieu de cela, il éprouvait une appréhension presque mortelle, une horreur d'agonie à penser que telle ou telle circonstance pouvait le mettre en face de ce mystère vivant qui renouvellerait ses plus douloureuses crises par sa seule présence, et il s'était arrangé pour ne même pas savoir si cette enfant vivait encore. Cette épreuve de se trouver face à face avec elle ou avec la mère lui avait été épargnée, et du moins ce funeste état d'anxiété intérieure avait eu cet avantage de le prémunir contre les entraînements habituels à son âge et à sa fortune. Comme tous ceux qui gardent en eux la brûlure cuisante d'une passion malheureuse, il avait pu se livrer de nouveau à l'étourdissement du libertinage: il eût été incapable d'une autre liaison sérieuse de monde ou de demi-monde. Aussi la médisance n'avait-elle eu aucun nom à prononcer quand la comtesse Scilly avait quêté ses renseignements. Les tristes plaisirs par lesquels il avait plus ou moins distrait son horrible mélancolie n'avaient pas eu plus d'échos que sa lointaine et trop courte histoire dans la société où il vivait, qu'il traversait plutôt, car tout de suite il avait repris du service et redemandé un poste très lointain, qu'il avait troqué presque aussitôt contre un autre, puis contre un autre, par cette incapacité de rester en place où se reconnaissent les lancinantes secousses de l'idée fixe. En revanche, cette idée fixe elle-même, la lassitude de cette existence déracinée, les rancœurs de la débauche, la sensation trop constante de la solitude morale, tout avait développé en lui l'infini besoin d'un renouveau, en même temps que ses souvenirs lui en ôtaient l'espérance. L'intense chagrin dont il avait si longtemps souffert avait élaboré en lui un autre homme, aussi dégoûté de l'amour criminel que l'autre en avait été curieux et friand, aussi désireux de la paix morale que l'autre avait souhaité les tempêtes troublées du cœur. Ç'avait été le secret de son ravissement lorsque, ayant de nouveau démissionné, d'une manière définitive cette fois, il avait rencontré Henriette et qu'il s'était pris à l'aimer. Après des années de douleur et d'égarement, il avait aperçu à l'horizon de sa seconde jeunesse cette Terre Promise, cette félicité inattendue: – l'amour avec un être sans passé et dans lequel il crût absolument, lui qui avait tant souffert du doute et de la défiance, – la passion dans la loyauté, lui qui avait tant remâché l'herbe empoisonnée de la trahison, – la joie du cœur dans une vie réglée, et doucement, divinement monotone, lui qui avait tant erré loin de tout foyer, – l'orgueil d'une famille, lui qui avait si souvent pleuré à l'idée du chemin qu'eût pris sa vie avec une certitude sur l'enfant de sa haïssable maîtresse… Ah! Qu'elle méritait bien d'être haïe, celle qui lui avait si longtemps dépravé le cœur! En repassant ainsi les phases diverses de ce long martyre, il s'abandonnait, sans le savoir, à ce mirage particulier d'imagination qui veut qu'après avoir été très malheureux à l'occasion d'une femme, nous ne sachions plus discerner dans ce malheur notre part de responsabilité. Il ne faisait plus à Pauline Raffraye le crédit de penser qu'après tout il n'avait pas tenu l'indiscutable démonstration de son infamie. De plus fortes apparences ont fait condamner tant d'innocents. Il ne se faisait pas à lui-même le reproche de ne jamais avoir contrôlé la cruauté féroce de son jugement sur elle par une enquête sur la manière dont elle vivait dans la solitude de sa campagne. Il ne savait même pas si elle restait dans cette campagne ou si elle voyageait, si elle revenait à Paris maintenant de temps à autre ou si elle avait renoncé tout à fait à ce séjour. Quoi qu'elle fasse, se disait-il, elle fait le mal. Elle lui apparaissait comme une créature d'une perversité profonde et implacable. Et voici qu'il venait d'apprendre qu'elle était là, – qu'elles étaient là, toutes deux, elle et son enfant, à deux pas de Mme Scilly et d'Henriette. Monstrueux voisinage dont l'idée l'affolait davantage à mesure qu'il prenait et reprenait ces scènes de sa vie de fautes et de souffrances, presque absolument oubliées depuis son entrée dans le doux et frais Éden de son pur amour! Et toujours il se heurtait à cette question: – «Que veut-elle?.. Évidemment elle a su mon mariage prochain et mon séjour ici… Est-ce une vengeance?..» La démence de son horreur pour cette ancienne maîtresse était telle qu'il allait plus loin: – «Est-ce un projet d'exploitation? En serait-elle descendue à cette bassesse? Serait-elle venue à Palerme avec la pensée d'un chantage au moyen de l'enfant?..» Il ne trouvait plus en lui la force de faire le raisonnement bien simple que Pauline, s'étant tue des années, n'avait aucun motif pour commencer aujourd'hui à le tourmenter. Il ne voyait que cette présence et il continuait d'en être bouleversé à la folie, jusqu'à ce qu'ayant pris une photographie d'Henriette, il finit pourtant par se dire après l'avoir contemplée:

      – «Ah! je l'aime. Elle m'aime. Et rien, non, rien ne pourra nous séparer!..»

      Et il baisa ce portrait de son bon Ange, comme pour exorciser son mauvais génie, – longuement, tendrement, religieusement.

       III

      TROUBLES CROISSANTS

      L'être moral en nous a, comme l'être physique, son instinct de conservation, avec des fougues d'inconscience toutes pareilles et de pareilles frénésies. Le geste soudain par lequel l'homme à demi noyé enlace les membres du nageur qui peut le sauver, cet indomptable geste où passe l'énergie entière de l'existence, n'est pas plus violent ni plus irraisonné que le mouvement de cœur qui nous pousse à de certaines secondes vers une certaine personne, dont il nous faut la présence comme il faut un appui à ce malheureux qui sombre, de quoi remonter du fond de l'abîme vers une bouffée d'air respirable. L'envahissement subit de tant d'images douloureuses en pleine lumière de félicité avait été précisément cela pour Francis: – la chute subite, la descente dans un gouffre où l'épaisseur énorme de l'eau sifflante et aveuglante s'écroule sur nous, de tous les côtés. Elle nous enveloppe à droite, à gauche; elle fond sur nos pieds; elle pèse sur notre tête. Certains souvenirs sont ainsi, même quand les émotions qu'ils représentent n'ont plus sur nous qu'une influence toute réflexe et rétrospective. S'abandonner à eux, c'est descendre trop avant dans sa vie, c'est perdre pied, c'est presque se sentir mourir au cher présent, à la saine lucidité de l'impression actuelle, c'est devenir à demi fou pour quelques instants. L'élan par lequel le jeune homme sortit de sa chambre, au soir de cette cruelle après-midi, pour aller vers le salon où il était sûr de revoir Henriette, fut bien cette passionnée, cette irrésistible étreinte du salut certain. Par quelle aberration venait-il de repenser, de revivre toute une portion sombre et maudite de son existence, quand il avait, à côté de lui, pour s'en purifier, une atmosphère bénie? Il s'échapperait, il s'arracherait du funeste cauchemar où il venait de rouler, rien qu'en revoyant les yeux de sa fiancée, en écoutant sa voix, en éprouvant la sensation de sa réalité, de son souffle, de ses gestes, en la retrouvant aimante et souriante. Ce passé, dont il avait subi la hantise à nouveau pour quelques heures, qu'était-ce que l'ombre d'une ombre, le fantôme d'un fantôme? Une femme est morte pour nous quand elle ne remue plus dans notre cœur ni le désir ni la jalousie, et Francis n'était-il pas bien sûr que Pauline n'exerçait plus sur lui cette double puissance par laquelle elle l'avait esclavagé autrefois dans ses actions et si longtemps dans ses souvenirs? Il eût vu sur cette affiche de l'hôtel, à côté du nom de Mme Raffraye, celui d'un Armand de Querne ou d'un François Vernantes, en eût-il souffert une minute? Non, évidemment. De quelle hallucination étrange avait-il donc été la victime? Elle ne pouvait s'expliquer que par le coup de foudre d'une surprise absolument inattendue, tombant sur des nerfs déjà ébranlés. Il avait craint une vengeance de son ancienne maîtresse… Et laquelle? Que pouvait la malheureuse? Révéler à Henriette leur commun passé? Montrer ses lettres en admettant qu'elle les eût gardées? Soit! Qu'apprendrait de la sorte sa fiancée? Qu'il avait aimé avec un cœur sincère, droit et loyal même dans la faute, une créature de ruse et de trahison. L'honnête, la généreuse enfant trouverait là matière à souffrir sans doute, à souffrir beaucoup, mais non pas à le mépriser. C'était cependant la pire issue à laquelle les scélératesses les plus cruelles de Pauline pussent aboutir. Se servir de l'enfant? Et pourquoi faire? Lui prouverait-elle СКАЧАТЬ