La terre promise. Paul Bourget
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Название: La terre promise

Автор: Paul Bourget

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ verrais-je? Un fiacre aux rideaux baissés qui la reprendra comme elle est venue.» Il décida qu'il valait mieux l'attendre devant la porte de son hôtel. Il verrait du moins quelle toilette elle portait… Encore une demi-heure. Comme elle fut longue!.. Un coupé dévale le long de la rue, qu'il reconnaît pour être le coupé personnel de Mme Raffraye. Mais quoi! C'est l'a b c de l'adultère d'avoir quitté, puis repris la voiture officielle à une entrée de magasin ou de passage. Ne faisait-elle pas de même pour aller chez lui? Le cocher demande la porte. Les battants s'ouvrent. La voiture entre. Pauline en descend. Elle porte le même manteau!..

      La scène atroce qui avait éclaté entre eux le lendemain, l'implacable audace de dédain qu'elle avait opposée à son accusation, son refus de rien justifier, sa fureur à lui et la dernière indignation qui l'avait égaré jusqu'à lever la main sur elle, – jusqu'à la frapper! – tout cet horrible et suprême épisode lui faisait battre le cœur encore aujourd'hui à seulement s'en souvenir. Et il était rentré chez lui si épouvanté de lui-même qu'il s'était dit: «Il faut partir…» Et, sur-le-champ, en vingt-quatre heures, il avait achevé les premiers préparatifs. Il était monté dans un train, comme un malfaiteur s'enfuit, rageusement, aveuglément, sans projets, sans calculs, pour être ailleurs. Il ne s'arrêta qu'à Marseille, où il eut sa dernière lâcheté. Car il écrivit de cette ville à Pauline une lettre encore, un ultimatum, qu'il mit une demi-journée à composer, griffonnant des pages de tendresse tour à tour et de malédiction, puis les déchirant pour n'envoyer enfin qu'une dizaine de phrases dont il ne savait plus rien, sinon qu'il exigeait de son infâme maîtresse cette preuve insensée: un renoncement à tout, une fuite de chez elle pour venir le rejoindre immédiatement. Terrible et déraisonnable billet qui demeura sans réponse! Huit jours après, le jeune homme était en Égypte. Là il s'embarquait pour faire le tour du monde.

      – «Cette femme est mon mauvais génie,» se disait-il; «je dois l'oublier si je veux vivre, et je l'oublierai.»

      C'est une des idées fausses les plus communément reçues sur l'amour qu'il abolit tout dans un cœur, et d'abord l'orgueil. Heureux les amants pour lesquels il en est ainsi! Malheureux au contraire ceux chez lesquels cet orgueil subsiste, vivant et impérieux à côté de la passion la plus sincère pourtant, la plus violente. Cette coexistence constitue une des pires maladies qui puissent nous ronger. Le voyage alors, au lieu de nous être un remède, empoisonne seulement cette double blessure. Dans la solitude des soirs, que de larmes nous versons avec la triste vanité de nous dire: «Elle ne les voit pas!..» Dans la lumière des horizons, que d'images s'évoquent, l'une nous représentant la grâce de celle que nous avons quittée, une autre sa caresse la plus douce, un geste qu'elle avait entre nos bras, ses cheveux épars sur son front, la mélancolie tendre de son regard dans les divins moments! Et aussitôt, associant à l'idée d'un rival abhorré ces souvenirs qui tiennent aux cordes les plus vivantes de notre être, une douleur nous étreint contre laquelle nous n'avons qu'un soulagement, – il est si misérable! – celui de nous répéter que nous avons rompu par notre propre volonté. Que ne donnerions-nous pas pour savoir ce que fait celle que nous croyons cependant, que nous savons infidèle, et nous nous couperions la main plutôt que de recommencer à lui écrire. Et les jours s'ajoutent aux jours, les semaines aux semaines, les mois aux mois, l'irréparable à l'irréparable, sans que nous connaissions plus jamais ce que c'est que la joie, l'abandon à l'heure qui passe, à la sensation présente et vivante. La tapisserie bariolée des villes et des paysages se déroule devant nous sans guérir notre nostalgie pour un angle de salon intime, parmi les fleurs, où se tient notre fantôme. – Si nous pouvions n'y voir que lui! – Et nous allons, nous allons toujours, multipliant les distances par les distances, rendant plus profonds encore les malentendus, ajoutant la rancune à la rancune, sans que ni ce fatal orgueil ait tué notre amour, ni l'amour notre orgueil, pour revenir, comme revint Francis, plus ulcéré qu'à l'instant du départ et plus désarmé!

      Car il était revenu, après quatorze mois de ce vagabondage à la poursuite d'une guérison qu'il n'avait pas trouvée, et aussitôt, une des femmes chez lesquelles il rencontrait autrefois sa maîtresse, cette même Mme de Sermoise qui lui avait percé le cœur dans une lointaine visite, – et il y était retourné, comme un homme ruiné au jeu retourne près de la table du baccara, – lui avait appris d'étranges nouvelles. Mme Raffraye était veuve. Elle avait perdu son mari presque subitement, quelques semaines après le départ de Francis. La seule annonce de ce veuvage eût suffi à bouleverser le jeune homme. En continuant ses confidences, son interlocutrice lui apprit qu'au moment de cette mort, Pauline se trouvait enceinte et qu'une fille lui était née. La mère avait failli mourir, elle aussi, puis, à peine rétablie, elle avait quitté Paris, de mauvaises spéculations de feu Raffraye l'ayant à demi ruinée. Elle avait vendu son hôtel, ses voitures, ses chevaux, et déclaré sa volonté de vivre d'une manière définitive dans la terre du Jura où elle avait été élevée. Et la cruelle Parisienne, sans se douter qu'elle enfonçait un couteau dans Francis à la place la plus sensible, – ou bien en savourant la joie de lui faire ce mal, – avait ajouté qu'elle ne croyait guère à cette retraite, pour conclure avec un nouveau sourire:

      – «Nous la verrons reparaître un de ces jours, plus coquette que jamais et devenue Mme Vernantes. Il n'en sortait plus les derniers temps, et il passe encore des semaines à Molamboz…»

      – «Et dire,» songeait Francis avec une affreuse mélancolie au sortir de cet entretien, «dire que, malgré ce que j'ai vu, j'allais avoir pitié d'elle, lui écrire, sans doute! m'humilier… Non. Elle ne m'a jamais aimé. Elle a eu pour moi un caprice de sens et d'imagination… Son amant n'était pas là. Ils avaient rompu ensemble sous un prétexte quelconque, sans doute parce qu'elle l'avait trompé. J'ai fait l'intérim. Il est revenu. Elle l'a repris et elle a eu l'idée de nous garder tous les deux… La malheureuse! Si elle m'eût aimé, cet homme, qui avait été la cause de notre brouille, lui eût fait horreur, et, moi parti, elle n'eût pas pu le recevoir!..» Et il pensait encore: – «Que c'est amer pourtant, de la savoir malade, pauvre peut-être, et je ne peux rien pour elle, libre, et je ne voudrais pas lui donner mon nom.»

      Cette douleur avait été grande. Elle était finie aujourd'hui. Le jeune homme en avait porté le poids sur son cœur durant des années, sans qu'aucun événement nouveau vînt ni l'accroître ni la soulager. Il n'avait plus rien su de Pauline, sinon qu'elle continuait de vivre loin de Paris et qu'elle n'avait pas épousé son rival, puis que ce rival était mort. À peine s'il entendait parler d'elle de temps à autre. Elle avait laissé tomber toutes ses relations, une par une, et le petit clan mondain dont elle avait fait partie l'avait déjà presque oubliée, mais non pas Francis, quoiqu'il se fût imposé la règle de ne plus jamais prononcer son nom, de fuir systématiquement leurs connaissances communes d'autrefois et de s'esquiver si un détour de causerie faisait allusion à elle. Les sentiments auxquels les roueries de Pauline se trouvaient mêlées avaient été trop intenses. Il en avait trop joui d'abord et trop souffert ensuite. Il y avait surtout trop pensé. Enfin et surtout, même en la condamnant et en l'exécutant, comme il avait fait, il n'était pas absolument sorti du doute. C'est une des singularités les plus étranges de certaines jalousies que cette égale impuissance à se fixer dans la certitude de la fidélité et dans celle de la perfidie. Toutes les présomptions accumulées contre sa maîtresse n'apparaissaient pas toujours à Nayrac comme emportant la même évidence, et, parfois, il lui arrivait de plaider la cause de cette femme dont le silence à son endroit lui semblait alors une nouvelle énigme. Si pourtant le monde avait calomnié ses relations avec Vernantes, si ce n'était pas elle qu'il avait vue entrer dans le rez-de-chaussée de la rue Murillo? Si un simple hasard l'avait forcée à sortir ce jour-là, quoique souffrante? Il avait tôt fait de revenir à ce qu'il avait considéré autrefois comme une preuve suffisante pour tout y sacrifier. Mais, malgré lui, durant ces minutes-là, sa rêverie se portait invinciblement et douloureusement sur cette fille que Pauline élevait là-bas dans la solitude. Son angoisse devenait infinie alors à songer que cette fille pourrait être son enfant, à lui, même après la perfidie de sa mère. – Pourrait être! – Qu'une pareille idée est cruelle et que cela СКАЧАТЬ