La terre promise. Paul Bourget
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Название: La terre promise

Автор: Paul Bourget

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ avec elles cette amertume qu'elles n'abolissent pas le doute sur le passé, sur la période où nous étions jaloux sans que l'on nous cédât encore. Nous n'avons pas assisté à l'entretien à la suite duquel notre maîtresse a consommé une rupture que nous constatons sans être certains que nous en connaissons les secrets détails. Elle nous dit bien les paroles qu'elle a prononcées. Pauline, par exemple, prétendait n'avoir eu qu'à s'adresser à la délicatesse de M. de Querne en arguant de la jalousie de son mari. Mais comment savoir si elle ne taisait rien? Même la possibilité d'une telle conversation ne supposait-elle pas un mystère entre elle et Armand? Francis trouva ainsi, comme toutes les victimes de la misérable manie qui le possédait, un principe nouveau de douleur dans le triomphe même de sa tyrannique méfiance. Il ne savait pas, il ne pouvait pas savoir si Pauline n'avait pas été la maîtresse de cet homme qu'il avait tant soupçonné et qu'elle lui avait sacrifié, – mais dans quelles conditions? Quand on en est à cette halte dans le chemin de croix du soupçon, le calvaire devient vraiment trop dur à gravir. Qu'il vaudrait mieux se fuir l'un l'autre et souffrir du moins séparés! C'est payer trop cher les criminels bonheurs de l'amour dans la faute que de les acheter au prix d'une torturante incertitude. Et comment en sortir? On veut se persuader alors que, si l'on suivait sa maîtresse, jour par jour, presque heure par heure, si on la regardait vivre et sentir, on arriverait à un jugement sur elle, motivé, lucide, définitif, comme celui d'un indifférent, et l'on fait ce que fit Nayrac. Malgré son deuil encore trop récent, il retourna dans le monde pour y rencontrer Pauline. C'était à peu près la plus malheureuse imprudence qu'il pût commettre dans la crise de sensibilité suraiguë et morbide qu'il traversait. Aussi les plus cruels souvenirs de cette cruelle liaison se rapportaient-ils à cette période. Il la voyait dans un salon, parée, gaie et souriante, avec cette espèce d'atmosphère d'amabilité autour d'elle que dégage une femme jeune, jolie, qui plaît et qui sent qu'elle plaît, qui a des peines à étourdir et qui les étourdit. Ce lui était un supplice que ce spectacle, et un autre que de la trouver au contraire triste et absorbée. Dans le premier cas, il se sentait en proie à une sorte de rage irraisonnée et indomptable qui avait toujours pour effet de développer chez Mme Raffraye comme un délire de coquetterie sombre et presque désespéré. Dans le second, des remords trop âcres noyaient son cœur d'amant tyrannique et qui voudrait pourtant le bonheur de ce qu'il martyrise. L'une et l'autre impression exaspérait en lui l'inquiétude. L'une et l'autre le portait à enivrer son misérable amour avec ce vin des sens dont les dernières et funestes gouttes distillent en nous un si honteux appétit de férocité. Lui, l'amant romanesque, compliqué, qui avait passé sa première jeunesse à rêver de subtiles émotions, il effrayait sa pauvre amie maintenant par l'âpreté de sa fougue sensuelle. À chacun de leurs rendez-vous, c'étaient entre eux des étreintes sans paroles, des baisers violents et sans douceur, la palpitation éperdue de deux êtres qui cherchent l'oubli, et quel oubli! Celui d'eux-mêmes, celui de l'amour dont ils souffrent en s'en grisant! – Et ils oubliaient, en effet, mais pour se réveiller de ces folies avec cette amertume irritable qui est la rançon fatale de nos dégradations, lui plus soupçonneux, elle plus révoltée. À ces minutes-là, les moindres discussions s'exaltent en querelles, la bravade suit l'outrage et le provoque. Ce sont des bouffées outrageantes de soupçon à propos de tout. Les plus innocentes gaietés deviennent des crimes: avoir dansé deux fois avec le même danseur, avoir causé trop longtemps en aparté avec celui-ci, avoir eu celui-là à déjeuner. Être sortie plusieurs fois avec une amie, c'est l'avoir pour complice de quelque intrigue. Ne plus voir telle autre, c'est avoir eu quelque secrète rivalité avec elle. Depuis des siècles et des siècles, la verve des auteurs comiques s'exerce sur les mesquineries infinies des disputes de ce genre. Elle s'exercera des siècles encore sans guérir la rage des jaloux et sans y accoutumer la fierté révoltée des femmes qui leur tiennent tête. Et cependant les prunelles brillent, les lèvres tremblent, la voix se fait mordante, et, après s'être donnés l'un à l'autre avec la fougue de deux amants à qui les heures sont comptées, on se sépare sur des cris de rupture, poussés avec toute la colère de la vengeance. Oui, que de fois s'étaient-ils quittés ainsi, sans même se toucher la main!

      – «Croyez ce que vous voudrez,» lui répétait-elle avec les mêmes mots, le même tragique entêtement, le même regard haineux qu'à la première insulte; «je ne veux plus rien savoir de vous. Vous ne me traiteriez pas autrement si j'étais une fille…»

      – «Et moi j'en ai assez de vos mensonges, car vous me mentez, vous me mentez, vous me mentez toujours…»

      Elle le regardait sans relever cette nouvelle insulte. Elle répétait: – «Oui, croyez ce que vous voudrez.» Et elle s'en allait, pour le rappeler ou être rappelée presque aussitôt. Ces retours, déshonorants pour elle et pour lui, étaient pourtant les seuls touchants souvenirs qu'il gardât de cette affreuse époque. Il se revoyait ainsi, un soir, à la fin d'une belle journée de janvier passée bien tristement, et son arrivée à elle, qui, n'ayant pu y tenir, s'était échappée de sa maison, amaigrie, frissonnante, si pâle, pour implorer une réconciliation, et elle gémissait:

      – «Notre amour est donc maudit!.. Je te promets de te céder en tout, mais crois en moi, je t'en supplie, crois en moi…»

      De pareilles larmes déçoivent-elles, et de pareils cris, et des baisers comme celui qu'elle lui avait donné en tombant sur son cœur, et ces sanglots et cette visible maladie? Par moments et lorsqu'il n'était pas sous l'influence de cette cruelle manie qui lui étreignait le cerveau d'un cercle d'images affolantes et qui lui faisait voir sa maîtresse le trahissant avec l'un ou avec l'autre, le dépérissement de ce pauvre corps touchait Francis aux larmes lui aussi. Il n'y avait pas un an que durait le drame de ces misérables amours, et Pauline lui semblait quelquefois une autre femme, tant ses yeux s'étaient creusés, ses joues amincies, tant sa pâleur s'était encore décolorée, tant surtout la facile et enfantine humeur qu'elle avait jadis, même dans la tristesse, avait cédé la place à je ne sais quoi de sombre, de violent, de presque tragique. Mais ce n'était qu'un éclair, et l'amant tourmenté se disait qu'il avait mal vu sa maîtresse autrefois, qu'elle lui jouait la comédie alors, et qu'elle était maintenant la vraie Pauline, avec un masque de femme consumée, – par quoi? Et il se répondait que c'était sans doute le remords de ses perfidies, la lutte d'une âme en proie à ses sens, le vice peut-être. Dans les égarements de sa jalousie, il allait jusqu'à lui donner des dix et des quinze amants, à penser d'elle véritablement comme d'une fille, et, chose affreuse, à l'aimer tout de même, à la désirer davantage, avec une âcreté de passion qui confinait à la douleur. Oui, il l'accusait de déportements monstrueux. Et cependant si elle avait eu des torts positifs vis-à-vis de lui, ç'avait été avec le seul de Querne, et encore n'avait-il pas tenu les preuves de cette infamie. Hélas! A-t-on jamais de ces preuves? Et puis, il ne pouvait pas douter d'une autre intrigue, et qui, celle-là, avait abouti à l'irréparable rupture. Vers la fin du mois de février de cette fatale année 1877, un homme était revenu à Paris, après un long voyage en Orient, dont le nom avait été souvent prononcé entre Pauline et Francis durant cette absence. Ce personnage, – mort depuis et connu de quelques curieux de lettres par des fragments posthumes d'un étrange journal intime, – s'appelait François Vernantes. C'était un cousin éloigné de Raffraye. La jeune femme n'en parlait jamais qu'avec une voix émue et comme du seul ami qu'elle eût rencontré à la plus détestable période de son mariage. Pourquoi Nayrac s'était-il formé de ce consolateur de sa maîtresse une image morose, et pourquoi demeura-t-il fort étonné lorsque, présenté à Vernantes par Mme Raffraye, il se trouva devant un garçon de moins de quarante ans, d'une physionomie et d'une tournure bien jeunes pour ce rôle de confident désintéressé? Les relations sont toujours difficiles entre l'amant d'une femme et un ami très intime de cette femme, même lorsque l'amant se considère comme bien assuré que cet ami n'a jamais été qu'un ami. Lorsque l'amant est à l'égard de sa maîtresse dans une crise de doute sans cesse renaissante, comment tolérerait-il, sans en souffrir jusqu'à la folie, une de ces relations où le degré de l'intimité reste toujours mystérieux? Il était donc inévitable que Francis Nayrac devînt jaloux de Vernantes. Mais, comme s'il pressentait que cette jalousie-là marquerait la fin de son amour, il ne s'y était pas abandonné tout de suite. Sa maîtresse СКАЧАТЬ