Название: Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868
Автор: Hector Berlioz
Издательство: Public Domain
Жанр: Биографии и Мемуары
isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/30021
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VII
AU MÊME
Quoique mon agitation dévorante n'ait pas cessé un instant depuis mon arrivée ici, je puis cependant aujourd'hui vous écrire avec plus de calme. Puisque vous avez déjà à votre âge rencontré un filon d'or dans cette pauvre mine où nous fouillons tous, tâchez de le suivre jusqu'au bout, mais songez bien que vous êtes sous une voûte que vous creusez en avançant, et qui peut s'écrouler derrière vous. La bévue que vous avez faite, en demandant à Cherubini la salle du Conservatoire avant que la Société de concerts ait fini, est impardonnable. Vous deviez bien savoir que jamais ces messieurs n'y consentiraient, et il est fort désagréable de se voir contre-carré par une volonté contre laquelle la sienne propre est impuissante. Je dois vous dire que vous faites quelquefois les choses trop précipitamment. Il faut, je crois, réfléchir beaucoup à ce qu'on projette, et quand les mesures sont prises, frapper un tel coup que tous les obstacles soient brisés. La prudence et la force, il n'y a au monde que ces deux moyens de parvenir. Je crains qu'on ne me laisse pas partir avant samedi ou même lundi prochain. Je suis toujours malade, je ne me lève pas tous les jours, et il fait un froid terrible. Et tout ce temps se perd… et j'ai tant de mois encore à dévorer!..
Oui, mon cher ami, je dois vous faire un mystère d'un chagrin affreux que j'éprouverai peut-être longtemps encore; il tient à des circonstances de ma vie qui sont complétement ignorées de tout le monde (C… excepté); j'ai au moins la consolation de le lui avoir appris sans que… (assez).
Quoique je sois forcé d'être mystérieux avec vous sur ce point, je ne crois pas que vous ayez de raison de l'être avec moi sur d'autres. Je vous supplie donc de me dire ce que vous entendez par cette phrase de votre dernière lettre: «Vous voulez faire un sacrifice; il y a longtemps que j'en crains un que, malheureusement, j'ai bien des raisons à croire que vous ferez un jour.» Quel est celui dont vous voulez parler? Je vous en conjure, dans vos lettres, ne parlez jamais à mots couverts, surtout quand il s'agit d'elle. Cela me torture. N'oubliez pas de me donner franchement cette explication.
Écrivez-moi poste restante, à Rome, en ayant soin d'affranchir jusqu'à la frontière, sans quoi la lettre ne me parviendrait pas.
VIII
A MM. GOUNET, GIRARD, HILLER, DESMAREST, RICHARD, SICHEL
Allons Gounet58, lisez-nous cela.
D'abord je vous embrasse tous; je me réjouis de vous revoir encore, de me retrouver auprès d'amis dont l'affection m'est si chère, de parler ensemble musique, enthousiasme, génie, poésie enfin. Je suis sauvé, je commence à m'apercevoir que je renais meilleur que je n'étais, je n'ai même plus de rage dans l'âme… Comme je ne vous ai pas écrit depuis mon départ de la France, il faut que je vous conte mon voyage.
Je me suis embarqué à Marseille sur un brick sarde, faisant voile pour Livourne. Ce trajet se fait ordinairement en cinq jours avec un temps passable, et nous en avons mis onze. Pendant la première semaine, nous étions accablés de calmes plats qui duraient tous les jours jusqu'au coucher du soleil; ce n'était que pendant la nuit que nous avancions un peu. Ne sachant comment nous désennuyer, nous avions imaginé de tirer au pistolet sur le pont. La cible était un biscuit fiché au bout d'un bâton qu'on avait attaché à la poupe, et que l'oscillation du navire rendait très difficile à atteindre. Tel était notre passe temps. Mes compagnons de voyage étaient des militaires italiens, accourant à Modène prendre part à la révolution qui venait d'y éclater. Arrivés dans la rivière de Gênes, un vent furieux des Alpes nous a assaillis tout à coup; les vagues entraient par les écoutilles et couvraient le pont à tout instant. Bon! disais-je, cela manquait, il serait bien dommage que je n'eusse pas aussi mon petit bout de tempête; ce sera charmant!.. Mais le charme est devenu un peu fort, comme vous allez voir.
Le capitaine, voulant regagner le temps perdu, avait laissé toutes les voiles étendues, et le vaisseau, pris en flanc par le vent, penchait horriblement sur le côté. Le soir, comme j'étais dans la chambre, à essayer de dormir, j'entends la voix d'un de nos passagers qui criait aux matelots: Coraggio, corpo di Dio! sara niente. «Diable, dis-je, il paraît au contraire que c'est beaucoup.» Je m'enveloppe alors dans mon manteau, et je monte sur le pont, suivi de quatre officiers épouvantés de ce que nous venions d'entendre.
J'avoue qu'il est difficile de s'imaginer un pareil spectacle et que, malgré le peu de cas que je faisais alors de la vie, le cœur commença à me battre d'une terrible manière. Figurez-vous le vent rugissant avec une furie dont on ne peut avoir d'idée à terre, les vagues enlevées de la mer, lancées en l'air, d'où elles retombaient en poussière, le vaisseau tellement penché que son bord droit était en entier dans l'eau, et, avec cela, quatorze voiles immenses étendues, où le vent s'engouffrait de plein vol. Le passager que nous avions entendu crier tout à l'heure était un capitaine-corsaire vénitien, et même, ce qui est curieux, il avait été le capitaine de la corvette que lord Byron fit armer à ses frais pour parcourir l'Archipel; c'est ce qu'on appelle un crâne. Au bout de quelques minutes, le vent augmentant encore de rage, je l'entends qui dit en français: «Ce b… – là va nous faire sombrer avec toutes les voiles.» Alors je vis qu'il fallait prendre son parti, et le cœur cessa de me battre plus vite qu'à l'ordinaire. Je regardai tout à coup avec la plus grande indifférence ces vallées blanches ouvertes devant moi, où j'allais sans doute être bercé pour mon dernier sommeil; le pont était tellement incliné, qu'il était impossible de s'y tenir debout; j'étais cramponné à un morceau de fer de tribord et entortillé dans mon manteau, de manière à ne pouvoir remuer les membres; j'avais pensé m'épargner une longue agonie en m'empêchant de nager, et j'espérais couler bas comme une pièce de canon.
Enfin, le danger devenant de plus en plus imminent, notre corsaire vénitien prend sur lui de commander la manœuvre: Tutti, tutti, al perrochetto, s'écria-t-il, prestissimo al perrochetto; ecco la borresca. Les matelots lui obéissent; mais, pendant qu'ils se précipitent sur le grand mât pour carguer les voiles, un dernier effort du vent nous couche presque entièrement sur le côté. Alors la scène est devenue sublime d'horreur; tous les meubles qui garnissaient l'intérieur du navire, les armoires, les tables, les chaises, les ustensiles de cuisine s'écroulent avec un fracas épouvantable; sur le pont, les tonneaux roulent les uns sur les autres, l'eau entre par torrents, le vaisseau craque comme une vieille coquille de noix, le pilote tombe et lâche le gouvernail; enfin nous sombrons. Mais nos matelots intrépides n'en continuaient pas moins au haut de la vergue à plier précipitamment les voiles, et il s'est trouvé que la plus grande était carguée justement dans l'instant où le vaisseau revenait un peu sur lui-même, ce qui a rendu la seconde oscillation moins basse; le gouvernail lâché par le pilote a permis au vaisseau de tourner et de se présenter au vent dans sa longueur; ce court instant a suffi pour nous tirer d'affaire.
Alors il a fallu courir à la pompe, c'étaient des cris à devenir fou; ensuite, pour compléter la détresse, la lanterne de la chambre s'était cassée et, en tombant sur des ballots de laine, y avait mis le feu. En voyant la fumée sortir par l'escalier, on s'en est aperçu; l'enfer n'est pas pire qu'un pareil moment. Heureusement pour moi, je n'ai pas le mal de mer, mais il fallait voir ces pauvres passagers se vomissant les uns sur les autres, tombant dans l'escalier, sur le pont, saisis de vertiges affreux; cela faisait mal. Le navire une fois remis, nous avons cheminé avec une seule voile et sans la moindre inquiétude, malgré la force de l'orage et l'inclinaison du vaisseau. C'était alors un autre concert, le vent sifflant dans les cordages nus, dans les poulies et les haubans, ricanait, grinçait comme un orchestre de petites flûtes; mais le matelot qui était à côté de moi disait: Oh! adesso, mi futto del vento! et, en effet, nous sommes arrivés le matin même à Livourne, sans accident. Oh! quelle СКАЧАТЬ
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M. Gounet est le poëte qui a traduit en vers français les paroles de Thomas Moore sur lesquelles Berlioz a écrit de la musique.