Название: La tulipe noire
Автор: Dumas Alexandre
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Mais, tuer une tulipe, c'est, aux yeux d'un véritable horticulteur, un si épouvantable crime!
Tuer un homme, passe encore.
Cependant, grâce aux progrès que faisait tous les jours van Baërle dans la science qu'il semblait deviner par instinct, Boxtel en vint à un tel paroxysme de fureur qu'il médita de lancer des pierres et des bâtons dans les planches de tulipes de son voisin.
Mais comme il réfléchit que le lendemain, à la vue du dégât, van Baërle informerait, que l'on constaterait alors que la rue était loin, que pierres et bâtons ne tombaient plus du ciel au xviie siècle comme au temps des Amalécites, que l'auteur du crime, quoiqu'il eût opéré dans la nuit, serait découvert et non seulement puni par la loi, mais encore déshonoré à tout jamais aux yeux de l'Europe tulipière, Boxtel aiguisa la haine par la ruse et résolut d'employer un moyen qui ne le compromît pas.
Il chercha longtemps, c'est vrai, mais enfin il trouva.
Un soir, il attacha deux chats chacun par une patte de derrière avec une ficelle de dix pieds de long, et les jeta, du haut du mur, au milieu de la plate-bande maîtresse, de la plate-bande princière, de la plate-bande royale, qui non seulement contenait la Corneille de Witt, mais encore la Brabançonne, blanc de lait, pourpre et rouge, la Marbrée, de Rotre, gris de lin mouvant, rouge et incarnadin éclatant, et la Merveille, de Harlem, la tulipe Colombin obscur et Colombin clair terni.
Les animaux effarés, en tombant du haut en bas du mur, se ruèrent d'abord sur la plate-bande, essayant de fuir chacun de son côté, jusqu'à ce que le fil qui les retenait l'un à l'autre fût tendu; mais alors, sentant l'impossibilité d'aller plus loin, ils vaguèrent çà et là avec d'affreux miaulements, fauchant avec leur corde les fleurs au milieu desquelles ils se débattaient; puis enfin, après un quart d'heure de lutte acharnée, étant parvenus à rompre le fil qui les enchevêtrait, ils disparurent.
Boxtel, caché derrière son sycomore, ne voyait rien, à cause de l'obscurité de la nuit; mais aux cris enragés des deux chats, il supposait tout, et son cœur, dégonflant de fiel, s'emplissait de joie.
Le désir de s'assurer du dégât commis était si grand dans le cœur de Boxtel, qu'il resta jusqu'au jour pour jouir par ses yeux de l'état où la lutte des deux matous avait mis les plates-bandes de son voisin.
Il était glacé par le brouillard du matin; mais il ne sentait pas le froid; l'espoir de la vengeance lui tenait chaud.
La douleur de son rival allait le payer de toutes ses peines.
Aux premiers rayons de soleil, la porte de la maison blanche s'ouvrit; van Baërle apparut, et s'approcha de ses plates-bandes, souriant comme un homme qui a passé la nuit dans son lit, qui y a fait de bons rêves.
Tout à coup, il aperçoit des sillons et des monticules sur ce terrain plus uni la veille qu'un miroir; tout à coup, il aperçoit les rangs symétriques de ses tulipes désordonnées comme sont les piques d'un bataillon au milieu duquel aurait tombé une bombe.
Il accourt tout pâlissant.
Boxtel tressaillit de joie. Quinze ou vingt tulipes lacérées, éventrées, gisaient les unes courbées, les autres brisées tout à fait et déjà pâlissantes; la sève coulait de leurs blessures; la sève, ce sang précieux que van Baërle eût voulu racheter au prix du sien.
Mais, ô surprise! ô joie de van Baërle! ô douleur inexprimable de Boxtel! pas une des quatre tulipes menacées par l'attentat de ce dernier n'avait été atteinte. Elles levaient fièrement leurs nobles têtes au-dessus des cadavres de leurs compagnes. C'était assez pour consoler van Baërle, c'était assez pour faire crever de rage l'assassin, qui s'arrachait les cheveux à la vue de son crime commis, et commis inutilement.
Van Baërle, tout en déplorant le malheur qui venait de le frapper, malheur qui, du reste, par la grâce de Dieu, était moins grand qu'il aurait pu être, van Baërle ne put en deviner la cause. Il s'informa seulement et apprit que toute la nuit avait été troublée par des miaulements terribles. Au reste, il reconnut le passage des chats à la trace laissée par leurs griffes, au poil resté sur le champ de bataille et auquel les gouttes indifférentes de la rosée tremblaient comme elles faisaient à côté sur les feuilles d'une fleur brisée, et pour éviter qu'un pareil malheur se renouvelât à l'avenir, il ordonna qu'un garçon jardinier coucherait chaque nuit dans le jardin, sous une guérite, près des plates-bandes.
Boxtel entendit donner l'ordre. Il vit se dresser la guérite dès le même jour, et trop heureux de n'avoir pas été soupçonné, seulement plus animé que jamais contre l'heureux horticulteur, il attendit de meilleures occasions.
Ce fut vers cette époque que la société tulipière de Harlem proposa un prix pour la découverte, nous n'osons pas dire pour la fabrication de la grande tulipe noire et sans tache, problème non résolu et regardé comme insoluble, si l'on considère qu'à cette époque l'espèce n'existait pas même à l'état de bistre dans la nature.
Ce qui faisait dire à chacun que les fondateurs du prix eussent aussi bien pu mettre deux millions que cent mille livres, la chose étant impossible.
Le monde tulipier n'en fut pas moins ému de la base à son faîte.
Quelques amateurs prirent l'idée, mais sans croire à son application; mais telle est la puissance imaginaire des horticulteurs que, tout en regardant leur spéculation comme manquée à l'avance, ils ne pensèrent plus d'abord qu'à cette grande tulipe noire réputée chimérique comme le cygne noir d'Horace, et comme le merle blanc de la tradition française.
Van Baërle fut du nombre des tulipiers qui prirent l'idée; Boxtel fut au nombre de ceux qui pensèrent à la spéculation. Du moment où van Baërle eut incrusté cette tâche dans sa tête perspicace et ingénieuse, il commença lentement les semis et les opérations nécessaires pour amener du rouge au brun, et du brun au brun foncé, les tulipes qu'il avait cultivées jusque-là.
Dès l'année suivante, il obtint des produits d'un bistre parfait, et Boxtel les aperçut dans sa plate-bande, lorsque lui n'avait encore trouvé que le brun clair.
Peut-être serait-il important d'expliquer aux lecteurs les belles théories qui consistent à prouver que la tulipe emprunte aux éléments ses couleurs; peut-être nous saurait-on gré d'établir que rien n'est impossible à l'horticulteur qui met à contribution, par sa patience et son génie, le feu du soleil, la candeur de l'eau, les sucs de la terre et les souffles de l'air. Mais ce n'est pas un traité de la tulipe en général, c'est l'histoire d'une tulipe en particulier, que nous avons résolu d'écrire; nous nous y renfermerons, quelque attrayants que soient les appâts du sujet juxtaposé au nôtre.
Boxtel, encore une fois vaincu par la supériorité de son ennemi, se dégoûta de la culture et, à moitié fou, se voua tout entier à l'observation.
La maison de son rival était à claire-voie. Jardin ouvert au soleil, cabinets vitrés pénétrables à la vue, casiers, armoires, boîtes et étiquettes dans lesquels le télescope plongeait facilement; Boxtel laissa pourrir les oignons sur les couches, sécher les coques dans leurs cases, mourir les tulipes sur les plates-bandes, et désormais usant sa vie avec sa vue, il ne s'occupa que de ce qui se passait chez van Baërle; il respira par la tige de ses tulipes, se désaltéra par l'eau qu'on leur jetait, et se rassasia de la terre molle et fine СКАЧАТЬ