Название: Les cinq sous de Lavarède
Автор: Paul d'Ivoi
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
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«Mais j’avoue que ce n’est pas sans un malin plaisir que je vois d’avance mon beau cousin si dépensier inéluctablement déshérité.»
L’ironie de la phrase finale ne parvint même pas à dérider celui qui la prononçait. Mais cette lecture produisait des effets divers sur les auditeurs.
Lavarède souriait. Peut-être ce sourire était-il jaune, mais on n’en pouvait distinguer la couleur. Sir Murlyton restait aussi calme que s’il eût été en présence d’une tranche de roast-beef. Miss Aurett, seule, était visiblement agitée. Elle rougit d’abord, elle pâlit ensuite. Ses regards se portèrent sur les deux hommes qui allaient faire cette chasse dont le gibier valait quatre millions. Ce fut elle qui parla la première.
– Mon père, dit-elle, vous ne pouvez pas spolier ce jeune homme qui n’est pas votre ennemi et qui vient de me sauver la vie.
– Ma fille, répondit-il, les affaires sont les affaires; il ne serait pas pratique de perdre cette fortune. Car il est impossible, non seulement de faire le tour du monde, mais même d’aller de Paris à Londres avec vingt-cinq farthings, le cinquième d’un shilling… Good business!
– Ainsi vous n’y voulez pas renoncer?
Le notaire se mêla de la conversation.
– Mademoiselle, fit-il, monsieur votre père renoncerait même à accepter la clause conditionnelle qui le concerne que M. Lavarède ne pourrait pas, pour cela, être envoyé en possession de l’héritage. Il n’y a droit que sous certaines réserves, expressément indiquées. Et à moins que lui-même n’y renonce…
– Vous plaisantez! exclama Armand. Comment! Voilà des millions qui tombent du ciel, et vous croyez que je ne ferai rien pour les gagner?… D’abord ce qu’exige mon cousin n’est pas déjà si difficile. Lorsqu’on a été de la Bastille à la Madeleine sans un sou vaillant, on peut bien aller en Amérique, en Chine, au diable, avec cinq sous.
– Vous voulez essayer, dit l’Anglais, soit! Je suis riche, mon carnet de chèques ne me quitte jamais, je ne vous lâcherai pas d’un instant, et nous verrons bien si, avant deux jours, je n’ai pas gagné la partie.
– Eh bien, j’accepte le duel, riposta Lavarède. Puis, s’adressant au notaire:
– Monsieur, avez-vous dans l’étude un indicateur des chemins de fer?
– En voici un, mon cher monsieur. Lavarède le consulta.
– Il y a demain, 26 mars 1891, à neuf heures du matin, un train pour Bordeaux, en correspondance, à Pauillac, avec un transatlantique à destination de l’Amérique… Sir Murlyton, demain matin, je vous attendrai à la gare d’Orléans, conclut-il avec un aplomb écrasant.
Les deux rivaux se saluèrent courtoisement pendant que le notaire rangeait le dossier Richard et que miss Aurett souriait en voyant l’assurance du jeune homme. Celui-ci s’adressa à maître Panabert:
– Je dois être de retour dans votre étude le 25 mars 1892, avant la fermeture des bureaux.
– Au plus tard, monsieur.
– Parfait, j’y serai.
Et il sortit tranquillement.
II. À cache-cache
En sortant de chez le notaire, Lavarède avait allumé un cigare et marché pendant une demi-heure, tout en songeant à ce qu’il allait faire. Certes, il trouvait excellente sa première idée; ce départ pour la conquête d’une toison extrêmement dorée souriait à son esprit aventureux.
Il n’avait pas douté de la réussite. Seulement, à la réflexion, il se rendit compte des difficultés sans nombre qu’il allait rencontrer.
Tout à coup, – il était arrivé à la Madeleine, – un sourire illumina son visage assombri. Il avait trouvé quelque chose. Mais quoi? Il rebroussa chemin et vint à son journal, une feuille boulevardière, les Échos parisiens; et là, il écrivit, pour le numéro du lendemain matin, une chronique où, sans désigner les noms des personnages autrement que par des pseudonymes à demi transparents, il raconta toute l’histoire du testament.
Puis il passa à la caisse, où une première péripétie l’attendait, sans trop le surprendre d’ailleurs. Un huissier, mandé par Bouvreuil, avait formé opposition sur ses appointements.
– Bon, dit-il, c’est le commencement.
Il alla chez lui. De même, la concierge, Mme Dubois, lui apprit qu’un autre huissier était venu pour saisir les meubles, au nom du propriétaire Bouvreuil.
– Qu’est-ce que cela me fait? dit-il gaiement. Demain, je pars pour l’autre monde.
– Ah! Mon Dieu! fit la bonne Mme Dubois; vous n’allez pas vous tuer, mon brave monsieur Armand?… Plaie d’argent n’est pas mortelle.
– Rassurez-vous, dit-il en riant. L’autre monde où je vais est l’Amérique. J’y dois recueillir l’héritage d’un parent quatre fois millionnaire.
– Vous m’avez fait une belle peur.
Lavarède en savait assez. Il prit une voiture et se fit conduire à la gare d’Orléans, bureau des marchandises en grande vitesse. Il connaissait un des sous-chefs à qui, de temps en temps, il donnait des billets de théâtre. Il passa quelques instants avec lui, puis il alla inspecter un quai de débarquement où se trouvaient entassés toutes sortes de ballots, caisses, paniers, etc.
Satisfait sans doute de sa visite, il revint aux bureaux, écrivit une lettre d’expédition qui étonna d’abord l’employé et fit sourire le chef ami qui l’avait accompagné.
– C’est bien pour Panama? demanda le préposé.
– Oui, pour Panama, fit Lavarède, grande vitesse. Le colis doit partir demain matin par l’express correspondant avec le paquebot des Chargeurs réunis.
Et, pour plus de sûreté, il revint au quai, demanda à un homme d’équipe un pinceau et un seau de noir, et traça à grandes lettres, sur une énorme caisse en bois, le mot: Panama. La caisse avait la forme d’un piano à queue. Oblongue et vaste, elle portait déjà d’autres inscriptions qu’il effaça, d’autres timbres d’expédition et de réception qu’il enleva… Ensuite il remit une gratification aux employés qui l’avaient aidé et donna une cordiale poignée de main au sous-chef, qui ne cessait de manifester une réelle gaieté.
– Comme plaisanterie, dit ce dernier, c’est assez réussi. Mais, du moins, vous m’assurez que la Compagnie ne peut être frustrée?
– Je vous réponds de tout. Et, quand mon pari sera gagné, je vous promets un bon dîner, avec une loge pour l’Opéra ensuite.
Il remonta en fiacre et revint vers le boulevard. Il n’avait pas perdu son après-midi. Comme il interrogeait son porte-monnaie, il vit qu’il lui restait quelques louis. Il fallait les dépenser le soir même, ou dans la nuit. Ce n’était pas difficile. Quelques camarades invités, un dîner plantureux СКАЧАТЬ