Название: Les cinq sous de Lavarède
Автор: Paul d'Ivoi
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Vous disiez, cher monsieur, qu’il est facile de se débarrasser d’un homme en Amérique?
– Tout dépend du prix, répliqua en souriant le rastaquouère. Les braves ne manquent point chez nous.
– Eh bien, nous en reparlerons peut-être.
V. La mer des Antilles
Les derniers jours de la traversée furent des plus calmes. Un seul incident se produisit aux approches de la mer des Antilles. Au loin, à l’horizon, une trombe apparut un soir, au soleil couchant; l’eau, soulevée comme une colonne pélasgienne, rejoignait un gros nuage noir et semblait s’y engouffrer.
Sans être très commun, ce phénomène n’étonne pas outre mesure les navigateurs. Le spectacle est, au surplus, fort curieux, lorsqu’il se produit à distance suffisante pour n’être pas inquiétant.
Le même soir, la nuit venue, la mer devint phosphorescente; des vagues argentées déferlaient le long de la Lorraine, faisant jaillir des millions d’étincelles aux vifs scintillements.
La présence antérieure de la trombe d’eau et des gros nuages disait assez combien l’atmosphère était chargée d’électricité.
Cela amena l’éternelle discussion sur la phosphorescence de l’océan, Lavarède l’attribuant à une cause électrique, Murlyton tenant pour la tradition qui veut que ce phénomène soit produit par des myriades d’animaux d’un ordre spécial. Miss Aurett ne cherchait pas la cause et se contentait d’admirer l’effet, un peu féerique, qui parlait à son âme.
Mais, tandis que ceux-ci élevaient leurs esprits aux spectacles de la nature, d’autres s’abaissaient aux combinaisons humaines les plus viles. Entre Bouvreuil et José, une sorte de pacte était conclu. Le vieux finaud avait mis à profit les quelques jours de traversée. Il avait observé. Et, clairement, il avait vu la sympathie naissante de la jeune Anglaise pour Lavarède.
– Ce gaillard-là, dit-il au Vénézuélien, est capable d’avoir plusieurs cordes à son arc. Si la fortune de son cousin lui échappe, comme cela est plus que probable, par la voie régulière de l’héritage, il trouvera une planche de salut… Les quatre millions reviendront à l’Anglais, puis à sa fille. Et, en se faisant bien voir de celle-ci, il ressaisira par le mariage l’argent qu’il aura perdu… en route.
– Cette petite sera donc bien riche? demanda José, que de telles perspectives dorées émoustillaient déjà.
– Oui… sir Murlyton a une fortune personnelle considérable; vous connaissez les Anglais: pour qu’ils cessent de travailler, il faut qu’ils soient plus qu’à l’aise. Miss Aurett est fille unique. Si aux millions de son père viennent se joindre ceux du voisin Richard, ce sera un parti princier.
– Ce serait grand dommage de le laisser tomber entre les mains de votre ennemi.
Ce disant, José avait son mauvais sourire, le sourire des jours où il «courait à Mazas». Et Bouvreuil lui répondait par un mouvement circonflexe des lèvres qui ne l’embellissait point. Encore ne disaient-ils pas tout, ni l’un ni l’autre.
Mentalement, Bouvreuil pensait:
– Et Pénélope?… que ferait ma Pénélope si je ne lui ramenais pas son infidèle, penaud et repentant, comme je le lui ai promis?
De son côté, don José entrevoyait un horizon de repos après les orages de la vie aventureuse, avec les millions de l’Anglaise pour capitonner ses vieux jours, avec son joli sourire frais pour en dissiper l’amertume. Brusquement le dialogue muet cessa. Les deux hommes s’étaient compris.
– Donnant, donnant… comme toujours, fit l’Américain. Je vous aiderai à empêcher ce Lavarède de réussir dans sa folle entreprise; mais, en revanche, vous m’aiderez à obtenir la main de miss Aurett.
– C’est entendu… et ce traité-là n’a pas besoin d’être signé.
– Non, entre honnêtes gens.
– Et puis notre intérêt étant le même…
– Parfaitement exact.
Au fond de son idée, tout à fait au fond, dans un coin caché de derrière la tête, don José ne se souciait que subsidiairement de la main de la blonde enfant. C’était la fortune qui seule le tentait.
Gouverneur de Cambo, de Bambo ou de Tambo, préfectures diverses qui lui étaient offertes, c’était très joli assurément, c’était même flatteur, et, jusqu’à un certain point, productif. Mais n’était-ce point un sort précaire? L’inamovibilité des fonctionnaires n’est point décrétée dans les républiques hispano-américaines. Encore moins celle des traitements. Et la révolution chronique qui n’était encore que semestrielle, pouvait bien devenir trimestrielle. Les partis vaincus y avaient songé plusieurs fois.
Avec ça, le Trésor était à sec. Les appointements se soldaient avec des retards sensibles. Un beau jour, la bascule politique n’avait qu’à jouer avant le versement financier!…
Tout cela bien pesé, un bon mariage paraissait plus solide. Don José était jeune encore; son titre dans le pays vers lequel on naviguait était de nature à flatter l’amour-propre d’une jeune personne; les moyens de séduction honorables ne manquaient pas. Rien ne serait aisé comme de compromettre miss Aurett et de rendre l’union nécessaire.
Le plus pressé était de se lier petit à petit, pendant les derniers jours, avec sir Murlyton, et c’est à quoi tendirent les efforts del señor Miraflor. Bouvreuil l’y aida de son mieux. Ses regards même devinrent moins féroces lorsqu’ils croisaient ceux de Lavarède. Si bien que celui-ci put penser que l’antipathie de son propriétaire et créancier s’était séchée en même temps que ses habits. Il se trompait. Bouvreuil lui ménageait un tour de sa façon.
– Mon cher ami, dit-il à don José, ici, à bord de la Lorraine, ce coquin m’a pris mon nom. Il est, lui, Bouvreuil, homme considéré; et je suis, moi, Lavarède, être sans importance, à moitié fou, la risée de l’équipage. Soit… patientons encore quelques heures. Bientôt nous débarquerons à Colon… Et là, je profiterai de la situation qui est faite à bord à Lavarède et à Bouvreuil.
– Que voulez-vous dire?
– Ceci simplement: M. Bouvreuil est un personnage. Eh bien, une fois à terre, je redeviens moi, je redeviens Bouvreuil, ce qui m’est facile, puisque j’ai tous mes papiers et que nous trouverons là des autorités régulières.
– C’est certain… Et puis?
– Et puis Lavarède n’est plus qu’une sorte de colis que l’on va rapatrier par charité, – ou par force, à son choix. Tous les officiers de la Lorraine, les matelots eux-mêmes, en témoigneront… Rien ne sera plus facile que d’obtenir du consul français l’ordre de rapatriement dont il a été question devant moi aux îles Açores.
– Je comprends… Avec le commandant, je m’entremets pour demander cette pièce, et, une fois qu’elle sera signée, c’est le véritable Lavarède qu’on va saisir et embarquer.
– Voilà!… Son tour du monde n’aura pas été long.
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