Les cinq sous de Lavarède. Paul d'Ivoi
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Название: Les cinq sous de Lavarède

Автор: Paul d'Ivoi

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ au temps du roi Valdémar le Victorieux, qui régna de 1170 à 1241, la montagne de Kullaberg, en Scanie, était habitée par un sorcier appelé l’Homme du Kulla, qui n’accordait aux navigateurs de ces parages le droit de doubler le cap Kullen qu’après avoir joué avec eux le rôle de doucheur, rempli depuis par le Père Tropique sous la ligne équatoriale.

      – Tout cela est fort curieux, dit miss Aurett, mais moi je n’ai jamais vu ce baptême; seulement, je n’aimerais pas en être l’héroïne.

      – Oh! n’ayez aucune crainte, monsieur votre père paiera aux matelots le petit tribut qui sert à se racheter de cette corvée; d’ailleurs, le patient est tout désigné. On choisit généralement un passager qui n’a jamais encore franchi la ligne. Nous en avons un à bord.

      – Qui donc?

      – Mais cet excellent M. Bouvreuil: je n’ai qu’un mot à dire à un maître d’équipage, et demain nous le verrons plongé dans la baille, recevant le bain traditionnel.

      Miss Aurett sourit. Ce sourire était un acquiescement. Et Lavarède se promit cette petite vengeance. Au premier mot qu’il dit, au surplus, le maître répondit:

      – Ce toqué-là… parbleu, une bonne douche ne pourra pas lui faire de mal.

      Donc, le lendemain, malgré ses cris et ses protestations, Bouvreuil fut amené par quatre hommes, habillés en gendarmes de Neptune.

      Les officiers du bord fermèrent les yeux, c’est l’usage. Don José aussi laissa faire; au fond il n’en était pas fâché, Bouvreuil s’était trop fait tirer l’oreille pour lui donner quittance. Les passagers avaient pris place à l’arrière, la musique jouait en fanfare une marche triomphale; c’était fête à bord; tout le monde était en joie, excepté notre infortuné Bouvreuil.

      La cérémonie commença. Une mousqueterie nourrie se fit entendre, et le cortège du Dieu de la Ligne parut, tandis que les matelots, perchés dans la mâture, jetaient à poignées des haricots sur le pont. Le dieu, donnant le bras à son épouse, – moussaillon dont le visage était encadré par des touffes de copeaux figurant des cheveux, – prit place sur un trône installé au pied du grand mât. Autour du groupe se rangèrent les dignitaires de la cour tropicale, l’astronome, le mousse Cupidon, etc. Tous portaient des costumes fantaisistes et de longues barbes d’étoupe.

      Alors, le dieu Tropique se leva et, dans un discours classique, annonça aux passagers et marins qui pour la première fois franchissaient la ligne, que, dans sa sollicitude paternelle, il avait résolu de leur trancher la tête pour les guérir de la migraine et de leur scier les membres afin de les préserver des rhumatismes. Après quoi, le défilé des patients commença. Chacun, saisi par deux gendarmes, était amené auprès d’une cuve recouverte d’une planche et ornée de draperies. Il glissait une pièce de monnaie dans la main de ses gardiens; on approchait la férule sacrée de ses lèvres, un flacon d’eau de Cologne lui était versé dans la manche ou dans le cou, et la farce était jouée. Cette première partie des réjouissances fut, en quelque sorte, bâclée. L’équipage avait hâte de voir arriver le tour de Bouvreuil. On lui avait abandonné le fou, et il l’attendait avec impatience. Le propriétaire, sans défiance, regardait ses compagnons passer à la cuve et, à l’appel de son nom, il se livra complaisamment aux gendarmes chargés de le conduire devant le «Père Trois-Piques». – Un hourrah joyeux ébranla l’atmosphère.

      Bouvreuil étonné regarda autour de lui. Il vit tous les visages ravis; matelots, passagers étaient radieux, et au premier rang Lavarède, à côté de miss Aurett, riant aux larmes, en dépit du «can’t» britannique. Sir Murlyton lui-même, donnant le bras à sa fille, paraissait avoir une tendance à se laisser aller à la gaieté générale. Il résistait certes, le digne gentleman, et de cette lutte entre le rire et la gravité résultait une contraction des muscles de la face de l’effet le plus bouffon.

      Bouvreuil eut le pressentiment d’un désastre. La joie d’un ennemi est toujours de mauvais augure. Il voulut échapper à ses gardiens, mais ceux-ci l’empoignèrent et le firent asseoir, un peu rudement peut-être, sur la planchette qui recouvrait la grande cuve. Il tenta de se débattre; la main pesante des gendarmes le cloua sur son siège. Deux autres représentants de la maréchaussée tropicale le maintinrent, qui par la tête, qui par les jambes, de telle sorte qu’il fut réduit à l’immobilité la plus complète.

      Un des exécuteurs s’approcha de lui, et pointant perpendiculairement un clou énorme au-dessus de sa tête, fit mine de l’y enfoncer à grands coups de marteau. En toute autre circonstance, Bouvreuil eût compris que c’était une simple plaisanterie; mais, harcelé, rudoyé, malmené par tout le monde depuis l’instant où il avait mis le pied sur ce malencontreux bateau, il avait perdu la notion exacte des choses. À la vue de la pointe et du marteau, il se crut perdu et poussa un cri d’épouvante, auquel répondirent de bruyants éclats de rire. – Le clou était en mie de pain colorée.

      La terreur était ridicule; l’usurier le sentit, et sa rage en fut augmentée. Il lança à Lavarède un regard qui l’eût fait frémir s’il n’avait été très occupé à raconter à la petite Anglaise une histoire que la jeune fille écoutait les yeux mi-clos, une teinte rosée aux joues et les lèvres entrouvertes par un sourire. Mais la victime n’était pas au bout de ses peines. Un second exécuteur, armé d’énormes tenailles, s’avançait.

      – Il devait, disait-il, arracher les ongles du patient.

      Et il lui enleva… ses chaussures.

      Un troisième survint portant une scie, dont il menaçait le col du malheureux. Il lui râpa simplement le dos avec la corde qui sert à tendre la lame.

      Bouvreuil ne bronchait plus. Il laissa un autre exécuteur lui barbouiller la figure de blanc et de noir, à l’aide d’une férule de basane.

      Après cette opération, les gendarmes le lâchèrent. Il pensa que ses épreuves étaient terminées et fit mine de se lever. Comme s’ils n’eussent attendu que ce mouvement, ses tourmenteurs firent basculer la planchette sur laquelle il était assis, et l’usurier, avec une pirouette des plus réjouissantes, disparut jusqu’au cou dans la cuve remplie de vieille sauce, de noir d’ivoire, de sel, de poivre, de cirage, enfin de tous les ingrédients que le navire avait pu fournir.

      Bouvreuil fit un effort héroïque. Se cramponnant aux bords, il tenta de s’échapper. Mais aussitôt le tube d’une pompe foulante fut placé dans la cuve et en fit jaillir le liquide, qui retomba de tous côtés en flots jaunâtres sur la tête du malheureux. En même temps le contenu de nombreux seaux d’eau coula du haut de la hune, où les matelots les avaient tenus en réserve pour compléter ce singulier baptême.

      Aveuglé, à demi asphyxié, Bouvreuil hurlant, gesticulant, se débattait avec désespoir sous cette interminable averse.

      Un rire fou secouait tous les assistants. Sir Murlyton lui-même s’y abandonnait maintenant. Et la douche tombait toujours. Le docteur du bord encourageait les matelots:

      – Allez-y, enfants. C’est un service que vous rendez à cet infortuné. La douche est le traitement normal de l’affection dont il souffre.

      Et les marins ne faisaient point la sourde oreille. Mais les forces humaines ont une limite. On riait trop pour faire beaucoup de besogne. Les arroseurs lâchèrent leurs seaux; les gendarmes cessèrent de retenir le patient. Rapide comme la pensée, Bouvreuil profita de la situation. D’un bond, dont ses nombreux clients ne l’eussent point cru capable, il s’élança hors de la cuve et s’enfuit, mais dans quel état!

      Ruisselant, tremblotant, ahuri. La figure et les mains d’une couleur СКАЧАТЬ