Sapho. Alphonse Daudet
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Название: Sapho

Автор: Alphonse Daudet

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ j’ai eu cet âge et que je frisais comme ça… Oh ! la jeunesse, la jeunesse…

      – Toujours donc ? fit Déchelette saluant d’un sourire la toquade de son ami.

      – Mon cher, ne riez pas… Tout ce que j’ai, ce que je suis, les médailles, les croix, l’Institut, le tremblement, je le donnerais pour ces cheveux-là et ce teint de soleil…

      Puis revenant à Gaussin avec sa brusque allure :

      – Et Sapho, qu’est-ce que vous en faites ?… On ne la voit plus.

      Jean arrondissait les yeux, sans comprendre.

      – Vous n’êtes donc plus avec elle ?

      Et devant son ahurissement, Caoudal ajouta sur un ton d’impatience :

      – Sapho, voyons… Fanny Legrand… Ville-d’Avray…

      – Oh ! c’est fini, il y a longtemps…

      Comment lui vint ce mensonge ? Par une sorte de honte, de malaise, à ce nom de Sapho donné à sa maîtresse ; la gêne de parler d’elle avec d’autres hommes, peut-être aussi le désir d’apprendre des choses qu’on ne lui aurait pas dites sans cela.

      – Tiens ! Sapho… Elle roule encore ? demanda Déchelette distrait, tout à l’ivresse de revoir l’escalier de la Madeleine, le marché aux fleurs, la longue enfilade des boulevards entre deux rangs de bouquets verts.

      – Vous ne vous la rappelez donc pas, chez vous, l’année dernière !… Elle était superbe dans sa tunique de fellah… Et le matin de cet automne, où je l’ai trouvée déjeunant avec ce joli garçon chez Langlois, vous auriez dit une mariée de quinze jours.

      – Quel âge a-t-elle donc ?… Depuis le temps qu’on la connaît…

      Caoudal leva la tête pour chercher : « Quel âge ?…. quel âge ?… Voyons, dix-sept ans en 53, quand elle me posait ma figure… nous sommes en 73. Ainsi, comptez. » Tout à coup ses yeux s’allumèrent : « Ah ! si vous l’aviez vue, il y a vingt ans… longue, fine, la bouche en arc, le front solide… Des bras, des épaules encore un peu maigres, mais cela allait bien à la brûlure de Sapho… Et la femme, la maîtresse !… Ce qu’il y avait dans cette chair à plaisir, ce qu’on tirait de cette pierre à feu, de ce clavier où ne manquait pas une note… Toute la lyre !… comme disait La Gournerie. »

      Jean, très pâle, demanda :

      – Est-ce qu’il a été son amant, aussi celui-là ?…

      – La Gournerie ?… Je crois bien, j’en ai assez souffert… Quatre ans que nous vivions ensemble comme mari et femme, quatre ans que je la couvais, que je m’épuisais pour suffire à tous ses caprices… maîtres de chant, de piano, de cheval, est-ce que je sais ?… Et quand je l’ai eu bien polie, patinée, taillée en pierre fine, sortie du ruisseau où je l’avais ramassée une nuit, devant le bal Ragache, ce bellâtre astiqueur de rimes est venu me la prendre chez moi, à la table amie où il s’asseyait tous les dimanches !

      Il souffla très fort, comme pour chasser cette vieille rancune d’amour qui vibrait encore dans sa voix, puis il reprit, plus calme :

      – D’ailleurs, sa canaillerie ne lui a pas profité… Leurs trois ans de ménage, ç’a été l’enfer. Ce poète aux airs câlins était rat, méchant, maniaque. Ils se peignaient, fallait voir !… Quand on allait chez eux, on la trouvait un bandeau sur l’œil, lui la figure sabrée de griffes… Mais le beau, c’est lorsqu’il a voulu la quitter. Elle s’accrochait comme une teigne, le suivait, crevait sa porte, l’attendait couchée en travers de son paillasson. Une nuit, en plein hiver, elle est restée cinq heures en bas de chez la Farcy où ils étaient montés toute la bande… Une pitié !… Mais le poète élégiaque demeurait implacable, jusqu’au jour où pour s’en débarrasser il a fait marcher la police. Ah ! un joli monsieur… Et comme fin finale, remerciement à cette belle fille qui lui avait donné le meilleur de sa jeunesse, de son intelligence et de sa chair, il lui a vidé sur la tête un volume de vers haineux, baveux, d’imprécations, de lamentations, le Livre de l’Amour, son plus beau livre…

      Immobile, le dos tendu, Gaussin écoutait, aspirant à tout petits coups par une longue paille la boisson glacée servie devant lui. Quelque poison, bien sûr, qu’on lui avait versé là, et qui le gelait du cœur aux entrailles.

      Il grelottait malgré l’heure splendide, voyait dans une reculée blafarde des ombres qui allaient et venaient, un tonneau d’arrosage arrêté devant la Madeleine, et cet entrecroisement de voitures roulant sur la terre molle silencieusement comme sur de la ouate. Plus de bruit dans Paris, plus rien que ce qui se disait à cette table. Maintenant Déchelette parlait, c’est lui qui versait le poison :

      – Quelle atroce chose que ces ruptures… Et sa voix tranquille et railleuse prenait une expression de douceur, de pitié infinie… On a vécu des années ensemble, dormi l’un contre l’autre, confondu ses rêves, sa sueur. On s’est tout dit, tout donné. On a pris des habitudes, des façons d’être, de parler, même des traits l’un de l’autre. On se tient de la tête aux pieds… Le collage enfin !… Puis brusquement on se quitte, on s’arrache… Comment font-ils ? Comment a-t-on ce courage ?… Moi, jamais je ne pourrais… Oui, trompé, outragé, sali de ridicule et de boue, la femme pleurerait, me dirait : « Reste… » Je ne m’en irais pas… Et voilà pourquoi, quand j’en prends une, ce n’est jamais qu’à la nuit… Pas de lendemain, comme disait la vieille France… ou alors le mariage. C’est définitif et plus propre.

      – Pas de lendemain… pas de lendemain… Vous en parlez à votre aise. Il y a des femmes qu’on ne garde pas qu’une nuit… Celle-là par exemple…

      – Je ne lui ai pas donné une minute de grâce… fit Déchelette avec un placide sourire que le pauvre amant trouva hideux.

      – Alors c’est que vous n’étiez pas son type, sans quoi… C’est une fille, quand elle aime, elle se cramponne… Elle a le goût du ménage… Du reste, pas de chance dans ses installations. Elle se met avec Dejoie, le romancier ; il meurt… Elle passe à Ezano, il se marie… Après, est venu le beau Flamant, le graveur, l’ancien, modèle, – car elle a toujours eu le béguin du talent ou de la beauté, – et vous savez son épouvantable aventure…

      – Quelle aventure ?… » demanda Gaussin, la voix étranglée ; et il se remit à tirer sur sa paille, en écoutant le drame d’amour, qui passionna Paris, il y a quelques années.

      Le graveur était pauvre, fou de cette femme ; et de peur d’être lâché, pour lui maintenir son luxe, il fit de faux billets de banque. Découvert presque aussitôt, coffré avec sa maîtresse, il en fut quitte pour dix ans de réclusion, elle six mois de prévention à Saint-Lazare, la preuve de son innocence ayant été faite.

      Et Caoudal rappelait à Déchelette, – qui avait suivi le. procès, – comme elle était jolie sous son petit bonnet de Saint Lazare, et crâne, pas geignarde, fidèle à son homme jusqu’au bout… Et sa réponse à ce vieux cornichon de président, et le baiser qu’elle envoyait à Flamant par-dessus les tricornes des gendarmes, en lui criant d’une voix à attendrir les pierres : « T’ennuie pas, m’ami… Les beaux jours reviendront, nous nous aimerons encore !… » Tout de même, ça l’avait un peu dégoûtée du ménage, la pauvre fille.

      « Depuis, lancée dans le monde chic, elle a pris des amants au mois, à la СКАЧАТЬ