Sapho. Alphonse Daudet
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Название: Sapho

Автор: Alphonse Daudet

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ déjeuner avec vous… Je m’ennuie comme un hibou dans mon arbre…

      Fanny ne répondait pas, visiblement gênée de la rencontre ; lui, au contraire, accepta bien vite, curieux de l’artiste célèbre, flatté de l’avoir à sa table.

      Caoudal, très coquet dans une apparence négligée, mais où tout était calculé depuis la cravate en crêpe de chine blanc pour éclaircir un teint sabré de rides et de couperoses, jusqu’au veston serré sur la taille encore svelte et les muscles en saillie, Caoudal lui parut plus vieux qu’au bal de Déchelette.

      Mais ce qui le surprit et même l’embarrassait un peu, ce fut le ton d’intimité du sculpteur avec sa maîtresse. Il l’appelait Fanny, la tutoyait.

      – Tu sais, lui disait-il en installant son couvert sur leur nappe, je suis veuf depuis quinze jours. Maria est partie avec Morateur. Ça m’a laissé assez tranquille les premiers temps… Mais ce matin, en entrant à l’atelier, je me suis senti faignant comme tout… Impossible de travailler… Alors j’ai lâché mon groupe et je suis venu déjeuner à la campagne. Fichue idée, quand on est seul… Un peu plus je larmoyais dans ma gibelotte…

      Puis regardant le Provençal dont la barbe follette et les cheveux bouclés avaient le ton du sauternes dans les verres :

      – Est-ce beau, la jeunesse !… Pas de danger qu’on le lâche, celui-là… Et ce qu’il y a de plus fort, c’est que ça se gagne… Elle a l’air aussi jeune que lui…

      – Malhonnête !… fit-elle en riant ; et son rire sonnait bien la séduction sans âge, la jeunesse de la femme qui aime et veut se faire aimer.

      « Étonnante… Étonnante… » murmurait Caoudal, qui l’examinait tout en mangeant, avec un pli de tristesse et d’envie grimaçant au coin de sa bouche.

      – Dis donc, Fanny, te rappelles-tu un déjeuner ici… c’est loin, dam !… nous étions Ezano, Dejoie, toute la bande… tu es tombée dans l’étang. On t’a habillée en homme, avec la tunique du garde-pêche. Ça t’allait richement bien…

      – Rappelle plus… fit-elle froidement, et sans mentir ; car ces créatures changeantes et de hasard ne sont jamais qu’à l’heure présente de leur amour. Nulle mémoire de ce qui précéda, nulle crainte de ce qui peut venir.

      Caoudal, au contraire, tout au passé, dévidait à coups de sauternes ses exploits de robuste jeunesse, d’amour et de beuverie, parties de campagne, bals à l’Opéra, charges d’atelier, batailles et conquêtes. Mais, en se tournant vers eux avec l’éclair remonté à ses yeux de toutes les flammes qu’il remuait, il s’aperçut qu’ils ne l’écoutaient guère, occupés à égrener des raisins aux lèvres l’un de l’autre.

      – Est-ce assez rasant ce que je vous raconte là… Mais si, mais si, je vous assomme… Ah ! nom d’un chien… C’est bête d’être vieux…

      Il se leva, jeta sa serviette

      – Pour moi, le déjeuner, père Langlois… cria-t-il vers le restaurant.

      Il s’éloigna tristement, traînant les pieds, comme rongé d’un mal incurable. Longtemps les amoureux suivirent sa longue taille qui se voûtait sous les feuilles couleur d’or.

      « Pauvre Caoudal !… c’est vrai qu’il se tasse… » murmura Fanny d’un ton de douce commisération ; et comme Gaussin s’indignait que cette Maria, une fille, un modèle, pût s’amuser des souffrances d’un Caoudal et préférer au grand artiste… qui ?… Morateur, un petit peintre sans talent, n’ayant pour lui que sa jeunesse, elle se mit à rire : « Ah ! innocent… innocent… » et lui renversant la tête à deux mains sur ses genoux, elle le humait, le respirait, dans les yeux, dans les cheveux, partout, comme un bouquet.

      Le soir de ce jour-là, Jean pour la première fois coucha chez sa maîtresse qui le tourmentait à ce sujet depuis trois mois :

      – Mais enfin, pourquoi ne veux-tu pas ?

      – Je ne sais… ça me gêne.

      – Puisque je te dis que je suis libre, que je suis seule…

      Et la fatigue de la partie de campagne aidant, elle l’entraîna rue de l’Arcade, tout près de la gare. À l’entresol d’une maison bourgeoise d’apparence honnête et cossue, une vieille servante en bonnet paysan, l’air revêche, vint leur ouvrir.

      – C’est Machaume… Bonjour Machaume… dit Fanny lui sautant au cou. Tu sais, le voilà mon aimé, mon roi… je l’amène… Vite, allume tout, fais la maison belle…

      Jean resta seul dans un tout petit salon aux fenêtres cintrées et basses, drapées de la même soie bleue banale qui couvrait les divans et quelques meubles laqués. Aux murs trois ou quatre paysages égayaient et aéraient l’étoffe ; tous portaient un mot de dédicace : « à Fanny Legrand », « à ma chère Fanny… ».

      Sur la cheminée, un marbre demi-grandeur de la Sapho de Caoudal, dont le bronze est partout, et que Gaussin dès sa petite enfance avait vu dans le cabinet de travail de père. Et à la lueur de l’unique bougie posée près du socle, il s’aperçut de la ressemblance, affinée et comme rajeunissante, de cette œuvre d’art avec sa maîtresse. ces lignes du profil, ce mouvement de taille sous la draperie, cette rondeur filante des bras noués autour des genoux lui étaient connus, intimes ; son œil les savourait avec le souvenir de sensations plus tendres.

      Fanny, le trouvant en contemplation devant le marbre, lui dit d’un air dégagé : « Il y a quelque chose de moi, n’est ce pas ?… le modèle de Caoudal me ressemblait… » Et tout de suite elle l’emmena dans sa chambre, où Machaume en rechignant installait deux couverts sur un guéridon ; tous les flambeaux allumés, jusqu’aux bras de l’armoire à glace, un beau feu de bois, gai comme un premier feu, flambant sous le pare-étincelles, la chambre d’une femme qui s’habille pour le bal.

      – J’ai voulu souper là, dit-elle en riant… nous serons plus vite au lit.

      Jamais Jean n’avait vu d’ameublement aussi coquet. Les lampes Louis XVI, les mousselines claires des chambres de sa mère et de ses sœurs ne donnaient pas la moindre idée de ce nid ouaté, capitonné, où les boiseries se cachaient sous des satins tendres, où le lit n’était qu’un divan plus large que les autres, étalé au fond sur des fourrures blanches.

      Délicieuse, cette caresse de lumière, de chaleur, de reflets bleus allongés dans les glaces biseautées, après leur course à travers champs, l’ondée qu’ils avaient reçue, la boue des chemins creux sous le jour qui tombait. Mais ce qui l’empêchait de déguster en vrai provincial ce confort de rencontre, c’était la mauvaise humeur de la servante, le regard soupçonneux dont elle le fixait, au point que Fanny la renvoya d’un mot : « Laisse-nous Machaume… nous nous servirons… » Et comme la paysanne jetait la porte en s’en allant : « N’y fais pas attention, elle m’en veut de trop t’aimer… Elle dit que je perds ma vie… ces gens de campagne, c’est si rapace !… Sa cuisine, par exemple, vaut mieux qu’elle… goûte-moi cette terrine de lièvre. »

      Elle découpait le pâté, débouchait le champagne, oubliait de se servir pour le regarder manger, faisant à chaque geste remonter jusqu’à l’épaule les manches d’une gandoura d’Alger, de laine souple et blanche, qu’elle portait toujours à la maison. Elle lui rappelait ainsi leur première rencontre chez Déchelette ; et serrés sur le même fauteuil, mangeant dans la même assiette, СКАЧАТЬ