Название: L'avare
Автор: Molière Jean Baptiste Poquelin
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Élise. Me voilà prête à vous ouïr, mon frère. Qu’avez-vous à me dire ?
Cléante. Bien des choses, ma soeur, enveloppées dans un mot. J’aime.
Élise. Vous aimez ?
Cléante. Oui, j’aime. Mais, avant que d’aller plus loin, je sais que je dépends d’un père, et que le nom de fils me soumet à ses volontés ; que nous ne devons point engager notre foi sans le consentement de ceux dont nous tenons le jour ; que le ciel les a faits les maîtres de nos voeux, et qu’il nous est enjoint de n’en disposer que par leur conduite ; que, n’étant prévenus d’aucune folle ardeur, ils sont en état de se tromper bien moins que nous et de voir beaucoup mieux ce qui nous est propre ; qu’il en faut plutôt croire les lumières de leur prudence que l’aveuglement de notre passion ; et que l’emportement de la jeunesse nous entraîne le plus souvent dans des précipices fâcheux. Je vous dis tout cela, ma soeur, afin que vous ne vous donniez pas la peine de me le dire ? car enfin mon amour ne veut rien écouter, et je vous prie de ne me point faire de remontrances.
Élise. Vous êtes-vous engagé, mon frère, avec celle que vous aimez ?
Cléante. Non ; mais j’y suis résolu, et je vous conjure encore une fois de ne me point apporter de raisons pour m’en dissuader.
Élise. Suis-je, mon frère, une si étrange personne ?
Cléante. Non, ma soeur ; mais vous n’aimez pas ; vous ignorez la douce violence qu’un tendre amour fait sur nos coeurs, et j’appréhende votre sagesse.
Élise. Hélas ! mon frère, ne parlons point de ma sagesse : il n’est personne qui n’en manque, du moins une fois en sa vie ; et, si je vous ouvre mon coeur, peut-être serai-je à vos yeux bien moins sage que vous.
Cléante. Ah ! plût au ciel que votre âme, comme la mienne… !
Élise. Finissons auparavant votre affaire, et me dites qui est celle que vous aimez.
Cléante. Une jeune personne qui loge depuis peu en ces quartiers, et qui semble être faite pour donner de l’amour à tous ceux qui la voient. La nature, ma soeur, n’a rien formé de plus aimable ; et je me sentis transporté dès le moment que je la vis. Elle se nomme Mariane, et vit sous la conduite d’une bonne femme de mère qui est presque toujours malade, et pour qui cette aimable fille a des sentiments d’amitié qui ne sont pas imaginables. Elle la sert, la plaint et la console, avec une tendresse qui vous toucherait l’âme. Elle se prend d’un air le plus charmant du monde aux choses qu’elle fait ; et l’on voit briller mille grâces en toutes ses actions, une douceur pleine d’attraits, une bonté toute engageante, une honnêteté adorable, une… Ah ! ma soeur, je voudrais que vous l’eussiez vue !
Élise. J’en vois beaucoup, mon frère, dans les choses que vous me dites ; et, pour comprendre ce qu’elle est, il me suffit que vous l’aimez.
Cléante. J’ai découvert sous main qu’elles ne sont pas fort accommodées[1], et que leur discrète conduite a de la peine à étendre à tous leurs besoins le bien qu’elles peuvent avoir. Figurez-vous, ma soeur, quelle joie ce peut être que de relever la fortune d’une personne que l’on aime ; que de donner adroitement quelques petits secours aux modestes nécessités d’une vertueuse famille ; et concevez quel déplaisir ce m’est de voir que, par l’avarice d’un père, je sois dans l’impuissance de goûter cette joie, et de faire éclater à cette belle aucun témoignage de mon amour.
Élise. Oui, je conçois assez, mon frère, quel doit être votre chagrin.
Cléante. Ah ! ma soeur, il est plus grand qu’on ne peut croire. Car, enfin, peut-on rien voir de plus cruel que cette rigoureuse épargne qu’on exerce sur nous, que cette sécheresse étrange où l’on nous fait languir ? Hé ! que nous servira d’avoir du bien, s’il ne nous vient que dans le temps que nous ne serons plus dans le bel âge d’en jouir, et si, pour m’entretenir même, il faut que maintenant je m’engage de tous côtés ; si je suis réduit avec vous à chercher tous les jours le secours des marchands, pour avoir moyen de porter des habits raisonnables ? Enfin, j’ai voulu vous parler pour m’aider à sonder mon père sur les sentiments où je suis ; et, si je l’y trouve contraire, j’ai résolu d’aller en d’autres lieux, avec cette aimable personne, jouir de la fortune que le ciel voudra nous offrir. Je fais chercher partout, pour ce dessein, de l’argent à emprunter ; et, si vos affaires, ma soeur, sont semblables aux miennes, et qu’il faille que notre père s’oppose à nos désirs, nous le quitterons là tous deux, et nous affranchirons de cette tyrannie où nous tient depuis si longtemps son avarice insupportable.
Élise. Il est bien vrai que tous les jours il nous donne de plus en plus sujet de regretter la mort de notre mère, et que…
Cléante. J’entends sa voix. Eloignons-nous un peu pour achever notre confidence ; et nous joindrons après nos forces pour venir attaquer la dureté de son humeur.
Scène III
Harpagon, La Flèche.
Harpagon. Hors d’ici tout à l’heure, et qu’on ne réplique pas. Allons, que l’on détale de chez moi, maître juré filou, vrai gibier de potence !
La Flèche (à part.). Je n’ai jamais rien vu de si méchant que ce maudit vieillard, et je pense, sauf correction, qu’il a le diable au corps.
Harpagon. Tu murmures entre tes dents ?
La Flèche. Pourquoi me chassez-vous ?
Harpagon. C’est bien à toi, pendard, à me demander des raisons ! Sors vite, que je ne t’assomme.
La Flèche. Qu’est-ce que je vous ai fait ?
Harpagon. Tu m’as fait que je veux que tu sortes.
La Flèche. Mon maître, votre fils, m’a donné ordre de l’attendre.
Harpagon. Va-t’en l’attendre dans la rue, et ne sois point dans ma maison, planté tout droit comme un piquet à observer ce qui se passe, et faire ton profit de tout. Je ne veux point avoir sans cesse devant moi un espion de mes affaires, un traître dont les yeux maudits assiègent toutes mes actions, dévorent ce que je possède, et furettent de tous côtés pour voir s’il n’y a rien à voler.
La Flèche. Comment diantre voulez-vous qu’on fasse pour vous voler ? Êtes-vous un homme volable, quand vous renfermez toutes choses, et faites sentinelle jour et nuit ?
Harpagon. Je veux renfermer ce que bon me semble, et faire sentinelle comme il me plaît. Ne voilà pas de mes mouchards[2], qui prennent garde à ce qu’on fait ? (Bas, à part.) Je tremble qu’il n’ait soupçonné quelque chose de mon argent. (Haut.) Ne serais-tu point homme à aller faire courir le bruit que j’ai chez moi de l’argent caché ?
La Flèche. Vous avez de l’argent caché ?
Harpagon. Non, coquin, je ne dis pas cela (Bas.) J’enrage ! (Haut.) Je demande СКАЧАТЬ