Monsieur Parent. Guy de Maupassant
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Название: Monsieur Parent

Автор: Guy de Maupassant

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ n’a qu’à sortir… ce soir… après dîner… et qu’à rentrer tout de suite… il verra!… il verra si j’ai menti!… Que monsieur essaye… il verra.

      Elle avait gagné la porte de la cuisine et elle s’enfuit. Il courut derrière elle, monta l’escalier de service jusqu’à sa chambre de bonne où elle s’était enfermée, et heurtant la porte:

      – Tu vas quitter la maison à l’instant même.

      Elle répondit à travers la planche:

      – Monsieur peut y compter. Dans une heure je ne serai plus ici.

      Alors il redescendit lentement, en se cramponnant à la rampe pour ne point tomber; et il rentra dans son salon où Georges pleurait, assis par terre.

      Parent s’affaissa sur un siège et regarda l’enfant d’un oeil hébété. Il ne comprenait plus rien; il ne savait plus rien; il se sentait étourdi, abruti, fou, comme s’il venait de choir sur la tête; à peine se souvenait-il des choses horribles que lui avait dites sa bonne. Puis, peu à peu, sa raison, comme une eau troublée, se calma et s’éclairait; et l’abominable révélation commença à travailler son coeur.

      Julie avait parlé si net, avec une telle force, une telle assurance, une telle sincérité, qu’il ne douta pas de sa bonne foi, mais il s’obstinait à douter de sa clairvoyance. Elle pouvait s’être trompée, aveuglée par son dévouement pour lui, entraînée par une haine inconsciente contre Henriette. Cependant, à mesure qu’il tâchait de se rassurer et de se convaincre, mille petits faits se réveillaient en son souvenir, des paroles de sa femme, des regards de Limousin, un tas de riens inobservés, presque inaperçus, des sorties tardives, des absences simultanées, et même des gestes presque insignifiants, mais bizarres qu’il n’avait pas su voir, pas su comprendre, et qui, maintenant, prenaient pour lui une importance extrême, établissaient une connivence entre eux. Tout ce qui s’était passé depuis ses fiançailles surgissait brusquement en sa mémoire surexcitée par l’angoisse. Il retrouvait tout, des intonations singulières, des attitudes suspectes; et son pauvre esprit d’homme calme et bon, harcelé par le doute, lui montrait maintenant, comme des certitudes, ce qui aurait pu n’être encore que des soupçons.

      Il fouillait avec une obstination acharnée dans ces cinq années de mariage, cherchant à retrouver tout, mois par mois, jour par jour; et chaque chose inquiétante qu’il découvrait le piquait au coeur comme un aiguillon de guêpe.

      Il ne pensait plus à Georges, qui se taisait maintenant, le derrière sur le tapis. Mais, voyant qu’on ne s’occupait pas de lui, le gamin se remit à pleurer.

      Son père s’élança, le saisit dans ses bras, et lui couvrit la tête de baisers. Son enfant lui demeurait au moins! Qu’importait le reste? Il le tenait, le serrait, la bouche dans ses cheveux blonds, soulagé, consolé, balbutiant: «Georges… mon petit Georges, mon cher petit Georges…» Mais il se rappela brusquement ce qu’avait dit Julie!… Oui, elle avait dit que son enfant était à Limousin… Oh! cela n’était pas possible, par exemple! non, il ne pouvait le croire, il n’en pouvait même douter une seconde. C’était là une de ces odieuses infamies qui germent dans les âmes ignobles des servantes! Il répétait: «Georges… mon cher Georges». Le gamin, caressé, s’était tu de nouveau.

      Parent sentait la chaleur de la petite poitrine pénétrer dans la sienne à travers les étoffes. Elle l’emplissait d’amour, de courage, de joie; cette chaleur douce d’enfant le caressait, le fortifiait, le sauvait.

      Alors il écarta un peu de lui la tête mignonne et frisée pour la regarder avec passion. Il la contemplait avidement, éperdument, se grisant à la voir, et répétant toujours: «Oh! mon petit… mon petit Georges!…»

      Il pensa soudain: «S’il ressemblait à Limousin… pourtant!»

      Ce fut en lui quelque chose d’étrange, d’atroce, une poignante et violente sensation de froid dans tout son corps, dans tous ses membres, comme si ses os, tout à coup, fussent devenus de glace. Oh! s’il ressemblait à Limousin!… et il continuait à regarder Georges qui riait maintenant. Il le regardait avec des yeux éperdus, troubles, hagards. Et il cherchait dans le front, dans le nez, dans la bouche, dans les joues, s’il ne retrouvait pas quelque chose du front, du nez, de la bouche ou des joues de Limousin.

      Sa pensée s’égarait comme lorsqu’on devient fou; et le visage de son enfant se transformait sous son regard, prenait des aspects bizarres, des ressemblances invraisemblables.

      Julie avait dit: «Un aveugle ne s’y tromperait pas». Il y avait donc quelque chose de frappant, quelque chose d’indéniable! Mais quoi? Le front? Oui, peut-être? Cependant Limousin avait le front plus étroit! Alors la bouche? Mais Limousin portait toute sa barbe! Comment constater les rapports entre ce gras menton d’enfant et le menton poilu de cet homme?

      Parent pensait: «Je n’y vois pas, moi, je n’y vois plus; je suis trop troublé; je ne pourrais rien reconnaître maintenant… Il faut attendre; il faudra que je le regarde bien demain matin, en me levant».

      Puis il songea: «Mais s’il me ressemblait, à moi, je serais sauvé! sauvé!»

      Et il traversa le salon en deux enjambées pour aller examiner dans la glace la face de son enfant à côté de la sienne.

      Il tenait Georges assis sur son bras, afin que leurs visages fussent tout proches, et il parlait haut, tant son égarement était grand. «Oui… nous avons le même nez… le même nez… peut-être… ce n’est pas sûr… et le même regard… Mais non, il a les yeux bleus… Alors… oh! mon Dieu!… mon Dieu!… mon Dieu!… je deviens fou!… Je ne veux plus voir… je deviens fou!…»

      Il se sauva loin de la glace, à l’autre bout du salon, tomba sur un fauteuil, posa le petit sur un autre, et il se mit à pleurer. Il pleurait par grands sanglots désespérés. Georges, effaré d’entendre gémir son père, commença aussitôt à hurler.

      Le timbre d’entrée sonna. Parent fit un bond, comme si une balle l’eût traversé. Il dit: «La voilà… qu’est-ce que je vais faire?…» Et il courut s’enfermer dans sa chambre pour avoir le temps, au moins, de s’essuyer les yeux. Mais, après quelques secondes, un nouveau coup de timbre le fit encore tressaillir; puis il se rappela que Julie était partie sans que la femme de chambre fût prévenue. Donc personne n’irait ouvrir? Que faire? Il y alla.

      Voici que tout d’un coup il se sentait brave, résolu, prêt pour la dissimulation et la lutte. L’effroyable secousse l’avait mûri en quelques instants. Et puis il voulait savoir; il le voulait avec une fureur de timide et une ténacité de débonnaire exaspéré.

      Il tremblait cependant! Était-ce de peur? Oui… Peut-être avait-il encore peur d’elle? sait-on combien l’audace contient parfois de lâcheté fouettée?

      Derrière la porte qu’il avait atteinte à pas furtifs, il s’arrêta pour écouter. Son coeur battait à coups furieux; il n’entendait que ce bruit-là: ces grands coups sourds dans sa poitrine et la voix aiguë de Georges qui criait toujours, dans le salon.

      Soudain, le son du timbre éclatant sur sa tête, le secoua comme une explosion; alors il saisit la serrure, et, haletant, défaillant, il fit tourner la clef et tira le battant.

      Sa femme et Limousin se tenaient debout en face de lui, sur l’escalier.

      Elle dit, avec un air d’étonnement où apparaissait un peu d’irritation:

      – C’est toi qui ouvres, maintenant? СКАЧАТЬ