Название: Double-Blanc
Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Parfaitement… ils donnaient des représentations sur la grande place de Concarneau. J’ai assisté à la première.
– Ils y sont restés toute une semaine.
– Je ne les ai vus qu’une fois, la veille de mon départ pour Paris, mais je me souviens très bien qu’ils avaient avec eux une très jolie fille, qui dansait en jouant des castagnettes.
– Eh bien! c’est elle qui m’a tourné la tête.
– Et tu as abandonné tes chèvres pour la suivre?
– Oui… à pied… et avec six francs douze sous dans ma poche… Je marchais derrière leur carriole et, le soir, je couchais dessous… mais je n’osais pas leur parler et je vivais de croûtes de pain. Au bout de huit jours, le chef de la bande me proposa de me nourrir si je voulais m’engager comme paillasse…
– Et tu t’empressas d’accepter?
– Oui… pour rester avec Zina.
– Ah! elle s’appelait Zina… elle en avait bien l’air… toutes les Bohémiennes s’appellent Zina… et tu lui as plu?
– Dans les premiers temps, elle ne pouvait pas me regarder sans me rire au nez… plus tard, elle a eu pitié de moi, comme on a pitié d’un chien qu’on a ramassé dans la rue… et puis enfin… petit à petit, elle s’est attachée à moi, et tout d’un coup… un jour que j’avais empêché le maître de la battre… elle m’a demandé si je voulais l’épouser.
– Et tu as dit: oui?
– J’ai été trop content. C’est le vieux chef qui nous a mariés… dans une lande, entre Ploërmel et Paimpont… en cassant une cruche… à la mode de Bohême…
– Et tu t’es passé de monsieur le maire et de monsieur le curé, toi, un gars du pays de Cornouailles!
– Oh! je sais bien que j’ai mal fait, et si j’avais pu rentrer à Trégunc, j’aurais été trouver monsieur le recteur pour nous marier à l’église.
– Bon! mais je suppose qu’elle t’a planté là, ta Bohémienne.
– Mais non, monsieur Hervé; elle est toujours avec moi.
– Alors, vous demeurez ensemble?
– Depuis six mois. Elle est tombée malade pendant la foire de Saint-Cloud et le patron l’a renvoyée de la troupe… Je ne pouvais pas l’abandonner… elle n’a plus que moi pour la soigner… et je ne la guérirai pas… elle s’en va de la poitrine… mais je resterai avec elle jusqu’à la fin…
Alain s’arrêta. L’émotion lui coupait la parole. Il pleurait.
Hervé fut touché, et au lieu de sourire de la mine ridicule du troubadour larmoyant sous sa toque dont le plumet lui retombait sur les yeux, il lui dit doucement:
– Je te plains, mon pauvre gars… et je suis tout prêt à t’aider.
– Merci, monsieur Hervé! Vous venez de m’empêcher de me détruire, car s’il m’avait fallu rentrer sans argent, je serais peut-être allé me jeter à l’eau. Vous m’avez donné vingt francs et je pourrai acheter ce que le médecin a ordonné pour Zina.
– Tu feras bien, mais, avec un louis, on ne va pas loin. De quoi vivez-vous, toi et ta malade?
– Elle travaille pour une maison de broderie… pas beaucoup, parce qu’elle n’en a plus la force.
– Comment! elle travaille!… une fille de bohémiens!
– Elle n’est pas de leur race. Ils l’ont volée, toute petite.
– Bien! un roman!… quel âge a-t-elle?
– Un an de moins que moi… et si j’étais à Trégunc, je tirerais au sort l’année prochaine.
– Alors, elle va mourir à dix-neuf ans!… c’est bien triste… Ah! çà, j’espère bien que tu n’es pas aux crochets de cette malheureuse?
– Oh! monsieur Hervé, vous ne croyez pas ça. J’aimerais mieux crever de faim… et si j’avais un bon état, je vous jure qu’elle ne manquerait de rien. Mais voilà!… avant de la connaître, je n’avais jamais rien fait que de garder mes chèvres dans les landes… C’est encore heureux que monsieur le recteur de Trégunc m’a appris à lire et à écrire… quand je pense que moi qui aimais tant à servir la messe, je suis figurant au Châtelet!…
– Et pourquoi, diable! t’es-tu fait figurant?
– Pour gagner trente sous par soirée. Nous n’avons plus que ça pour vivre, Zina et moi, car, depuis un mois, elle n’a pas d’ouvrage.
Hervé n’avait pu écouter sans être ému cet exposé de la situation présente du gars aux biques, mais il doutait encore de l’exactitude du récit de ce Cornouaillais qui, à l’en croire, était venu échouer sur un théâtre de Paris, après avoir suivi une troupe de saltimbanques.
Ces aventures-là n’arrivent guère aux pâtres de la basse Bretagne, et Hervé se promettait de vérifier les faits, avant d’assister sérieusement ce compatriote dévoyé.
Il commença par lui poser une question.
– Il n’y a pas de sots métiers, dit-il, et autant celui-là qu’un autre, puisqu’il te nourrit… mais je m’étonne de te voir au bal de l’Opéra, pendant que ta femme est si malade. Tu ne devrais pas avoir le cœur à la joie.
– Oh! non, s’écria Kernoul, et je vous prie de croire que je ne suis pas venu ici pour m’amuser. J’avais entendu dire au théâtre que les clodoches rapportaient de l’argent plein leurs poches… j’ai pensé que j’en ferais bien autant qu’eux… Au pardon de Trégunc, je sautais plus haut que tous les autres gars et, quand j’étais paillasse, j’ai appris à grimacer et à me disloquer… il me manquait un costume… Zina m’en a arrangé un avec des vieilles défroques, du temps où nous jouions des pièces à spectacle.
– Il est assez réussi, ton costume, dit Hervé en souriant.
– Oui, mais je ne pouvais pas danser tout seul et les clodoches n’ont pas voulu me laisser danser avec eux. Ça fait que, si vous n’aviez pas eu pitié de moi, j’aurais perdu ma nuit. Vous m’avez donné vingt francs, mais je suis encore plus content de vous avoir retrouvé. Je savais bien que vous étiez à Paris et j’espérais toujours que j’aurais la chance de vous rencontrer…
– Alors, tu m’as reconnu dans la loge où j’étais?
– Pas tout d’abord, parce que… excusez-moi de vous dire ça… là-bas, en Bretagne, vous aviez meilleure mine… mais à force de vous regarder j’ai bien vu que c’était vous, notre maître… et quand vous êtes sorti…
– Tu es venu m’attendre dans le corridor. Tu as bien fait. Je t’aiderai. Où demeure-tu?
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