Les Diaboliques. Barbey d'Aurevilly
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Читать онлайн книгу Les Diaboliques - Barbey d'Aurevilly страница 16

Название: Les Diaboliques

Автор: Barbey d'Aurevilly

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ tête, celle-là ! – impérieuse et presque impertinente, comme doit l’être une voix de duchesse, dit tout à coup, par-dessus toutes les autres, au comte de Ravila, ces paroles qui étaient sans doute la suite et la conclusion d’une conversation, à voix basse, entre eux deux, que personne de ces femmes, qui causaient, chacune avec sa voisine, n’avait entendue :

      – Vous qui passez pour le Don Juan de ce temps-ci, vous devriez nous raconter l’histoire de la conquête qui a le plus flatté votre orgueil d’homme aimé et que vous jugez, à cette lueur du moment présent, le plus bel amour de votre vie ?…

      Et la question, autant que la voix qui parlait, coupa nettement dans le bruit toutes ces conversations éparpillées et fit subitement le silence.

      C’était la voix de la duchesse de ***. – Je ne lèverai pas son masque d’astérisques ; mais peut-être la reconnaîtrez-vous, quand je vous aurai dit que c’est la blonde la plus pâle de teint et de cheveux, et les yeux les plus noirs sous ses longs sourcils d’ambre, de tout le faubourg Saint-Germain. – Elle était assise, comme un juste à la droite de Dieu, à la droite du comte de Ravila, le dieu de cette fête, qui ne réduisait pas alors ses ennemis à lui servir de marche-pied ; mince et idéale comme une arabesque et comme une fée, dans sa robe de velours vert aux reflets d’argent, dont la longue traîne se tordait autour de sa chaise, et figurait assez bien la queue de serpent par laquelle se terminait la croupe charmante de Mélusine.

      – C’est là une idée ! – fit la comtesse de Chiffrevas, comme pour appuyer, en sa qualité de maîtresse de maison, le désir et la motion de la duchesse, – oui, l’amour de tous les amours, inspirés ou sentis, que vous voudriez le plus recommencer, si c’était possible.

      – Oh ! je voudrais les recommencer tous ! – fit Ravila avec cet inassouvissement d’Empereur romain qu’ont parfois ces blasés immenses. Et il leva son verre de champagne, qui n’était pas la coupe bête et païenne par laquelle on l’a remplacé, mais le verre élancé et svelte de nos ancêtres, qui est le vrai verre de champagne, – celui-là qu’on appelle une flûte, peut-être à cause des célestes, mélodies qu’il nous verse souvent au cœur. – Puis il étreignit d’un regard circulaire toutes ces femmes qui formaient autour de la table une si magnifique ceinture. – Et cependant, – ajouta-t-il en replaçant son verre devant lui avec une mélancolie étonnante pour un tel Nabuchodonosor qui n’avait encore mangé d’herbe que les salades à l’estragon du café Anglais, – et cependant c’est la vérité, qu’il y en a un entre tous les sentiments de la vie, qui rayonne toujours dans le souvenir plus fort que les autres, à mesure que la vie s’avance, et pour lequel on les donnerait tous !

      – Le diamant de l’écrin, – dit la comtesse de Chiffrevas songeuse, qui regardait peut-être dans les facettes du sien.

      – … Et de la légende de mon pays, – reprit à son tour la princesse Jable… qui est du pied des monts Ourals, – ce fameux et fabuleux diamant, rose d’abord, qui devient noir ensuite, mais qui reste diamant, plus brillant encore noir que rose… – Elle dit cela avec le charme étrange qui est en elle, cette Bohémienne ! car c’est une Bohémienne, épousée par amour par le plus beau prince de l’émigration polonaise, et qui a l’air aussi princesse que si elle était née sous les courtines des Jagellons.

      Alors, ce fut une explosion ! « Oui, – firent-elles toutes. – Dites-nous cela, comte ! » ajoutèrent-elles passionnément, suppliantes déjà, avec les frémissements de la curiosité jusque dans les frisons de leurs cous, par derrière ; se tassant, épaule contre épaule ; les unes la joue dans la main, le coude sur la table ; les autres, renversées au dossier des chaises, l’éventail déplié sur la bouche ; le fusillant toutes de leurs yeux émerillonnés et inquisiteurs.

      – Si vous le voulez absolument… , – dit le comte, avec la nonchalance d’un homme qui sait que l’attente exaspère le désir.

      – Absolument ! dit la duchesse en regardant comme un despote turc aurait regardé le fil de son sabre – le fil d’or de son couteau de dessert.

      – Ecoutez donc, – acheva-t-il, toujours nonchalant.

      Elles se fondaient d’attention, en le regardant. Elles le buvaient et le mangeaient des yeux. Toute histoire d’amour intéresse les femmes ; mais qui sait ? peut-être le charme de celle-ci était-il, pour chacune d’elles, la pensée que l’histoire qu’il allait raconter pouvait être la sienne… Elles le savaient trop gentilhomme et de trop grand monde pour n’être pas sûres qu’il sauverait les noms et qu’il épaissirait, quand il le faudrait, les détails par trop transparents ; et cette idée, cette certitude leur faisait d’autant plus désirer l’histoire. Elles en avaient mieux que le désir ; elles en avaient l’espérance.

      Leur vanité se trouvait des rivales dans ce souvenir évoqué comme le plus beau souvenir de la vie d’un homme, qui devait en avoir de si beaux et de si nombreux ! Le vieux sultan allait jeter une fois de plus le mouchoir… que nulle main ne ramasserait, mais que celle à qui il serait jeté sentirait tomber silencieusement dans son cœur…

      Or voici, avec ce qu’elles croyaient, le petit tonnerre inattendu qu’il fit passer sur tous ces fronts écoutants :

      Chapitre 4

      «J’ai ouï dire souvent à des moralistes, grands expérimentateurs de la vie, – dit le comte de Ravila, – que le plus fort de tous nos amours n’est ni le premier, ni le dernier, comme beaucoup le croient ; c’est le second. Mais en fait d’amour, tout est vrai et tout est faux, et, du reste, cela n’aura pas été pour moi… Ce que vous me demandez, Mesdames, et ce que j’ai, ce soir, à vous raconter, remonte au plus bel instant de ma jeunesse. Je n’étais plus précisément ce qu’on appelle un jeune homme, mais j’étais un homme jeune, et, comme disait un vieil oncle à moi, chevalier de Malte, pour désigner cette époque de la vie, “j’avais fini mes caravanes”. En pleine force donc, je me trouvais en pleine relation aussi, comme on dit si joliment en Italie, avec une femme que vous connaissez toutes et que vous avez toutes admirée… »

      Ici le regard que se jetèrent en même temps, chacune à toutes les autres, ce groupe de femmes qui aspiraient les paroles de ce vieux serpent, fut quelque chose qu’il faut avoir vu, car c’est inexprimable.

      «Cette femme était bien, – continua Ravila, – tout ce que vous pouvez imaginer de plus distingué, dans tous les sens que l’on peut donner à ce mot. Elle était jeune, riche, d’un nom superbe, belle, spirituelle, d’une large intelligence d’artiste, et naturelle avec cela, comme on l’est dans votre monde, quand on l’est… D’ailleurs, n’ayant, dans ce monde-là, d’autre prétention que celle de me plaire et de se dévouer ; que de me paraître la plus tendre des maîtresses et la meilleure des amies.

      Je n’étais pas, je crois, le premier homme qu’elle eût aimé… Elle avait déjà aimé une fois, et ce n’était pas son mari ; mais ç’avait été vertueusement, platoniquement, utopiquement, de cet amour qui exerce le cœur plus qu’il ne le remplit ; qui en prépare les forces pour un autre amour qui doit toujours bientôt le suivre ; de cet amour d’essai, enfin, qui ressemble à la messe blanche que disent les jeunes prêtres pour s’exercer à dire, sans se tromper, la vraie messe, la messe consacrée… Lorsque j’arrivai dans sa vie, elle n’en était encore qu’à la messe blanche. C’est moi qui fus la véritable messe, et elle la dit alors avec toutes les cérémonies de la chose et somptueusement, comme un cardinal. »

      A ce mot-là, le plus joli rond de sourires tourna sur ces douze délicieuses bouches attentives, comme une ondulation circulaire sur la surface limpide d’un lac… Ce fut rapide, mais ravissant !

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