Les Diaboliques. Barbey d'Aurevilly
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Название: Les Diaboliques

Автор: Barbey d'Aurevilly

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ et m’aventurer ainsi à traverser une chambre que je ne connaissais pas, où je n’étais jamais entré, et où reposaient endormis du sommeil léger des vieillards le père et la mère de la malheureuse ?… Et cependant, l’état de ma tête était tel, la peur du lendemain et de ce cadavre chez moi me galopaient avec tant de furie, que ce fut cette idée, cette témérité, cette folie de reporter Alberte chez elle qui s’empara de moi comme l’unique moyen de sauver l’honneur de la pauvre fille et de m’épargner la honte des reproches du père et de la mère, de me tirer enfin de cette ignominie. Le croirez-vous ? J’ai peine à le croire moi-même, quand j’y pense ! J’eus la force de prendre le cadavre d’Alberte et, le soulevant par les bras, de le charger sur mes épaules. Horrible chape, plus lourde, allez ! que celle des damnés dans l’enfer du Dante ! Il faut l’avoir portée, comme moi, cette chape d’une chair qui me faisait bouillonner le sang de désir il n’y avait qu’une heure, et qui maintenant me transissait !… Il faut l’avoir portée pour bien savoir ce que c’était ! J’ouvris ma porte ainsi chargé et, pieds nus comme elle, pour faire moins de bruit, je m’enfonçai dans le corridor qui conduisait à la chambre de ses parents, et dont la porte était au fond, m’arrêtant à chaque pas sur mes jambes défaillantes pour écouter le silence de la maison dans la nuit, que je n’entendais plus, à cause des battements de mon cœur ! Ce fut long. Rien ne bougeait… Un pas suivait un pas… Seulement, quand j’arrivai tout contre la terrible porte de la chambre de ses parents, – qu’il me fallait franchir et qu’elle n’avait pas, en venant, entièrement fermée pour la retrouver entr’ouverte au retour, et que j’entendis les deux respirations longues et tranquilles de ces deux pauvres vieux qui dormaient dans toute la confiance de la vie, je n’osai plus !… Je n’osai plus passer ce seuil noir et béant dans les ténèbres… Je reculai ; je m’enfuis presque avec mon fardeau ! Je rentrai chez moi de plus en plus épouvanté. Je replaçai le corps d’Alberte sur le canapé, et je recommençai, accroupi sur les genoux auprès d’elle, les suppliciantes questions : “Que faire ? que devenir ?… ” Dans l’écroulement qui se faisait en moi, l’idée insensée et atroce de jeter le corps de cette belle fille, ma maîtresse de six mois ! par la fenêtre, me sillonna l’esprit. Méprisez-moi ! J’ouvris la fenêtre… j’écartai le rideau que vous voyez là… et je regardai dans le trou d’ombre au fond duquel était la rue, car il faisait très sombre cette nuit-là. On ne voyait point le pavé. “On croira à un suicide”, pensai-je, et je repris Alberte, et je la soulevai… Mais voilà qu’un éclair de bon sens croisa la folie ! “D’où se sera-t-elle tuée ? D’où sera-t-elle tombée si on la trouve sous ma fenêtre demain ?… ” me demandai-je. L’impossibilité de ce que je voulais faire me souffleta ! J’allai refermer la fenêtre, qui grinça dans son espagnolette. Je retirai le rideau de la fenêtre, plus mort que vif de tous les bruits que je faisais. D’ailleurs, par la fenêtre, – sur l’escalier, – dans le corridor, – partout où je pouvais laisser ou jeter le cadavre, éternellement accusateur, la profanation était inutile. L’examen du cadavre révélerait tout, et l’œil d’une mère, si cruellement avertie, verrait tout ce que le médecin ou le juge voudrait lui cacher… Ce que j’éprouvais était insupportable, et l’idée d’en finir d’un coup de pistolet, en l’état lâche de mon âme démoralisée (un mot de l’Empereur que plus tard j’ai compris !), me traversa en regardant luire mes armes contre le mur de ma chambre. Mais que voulez-vous ?… Je serai franc : j’avais dix-sept ans, et j’aimais… mon épée. C’est par goût et sentiment de race que j’étais soldat. Je n’avais jamais vu le feu, et je voulais le voir. J’avais l’ambition militaire. Au régiment nous plaisantions de Werther, un héros du temps, qui nous faisait pitié, à nous autres officiers ! La pensée qui m’empêcha de me soustraire, en me tuant, à l’ignoble peur qui me tenait toujours, me conduisit à une autre qui me parut le salut même dans l’impasse où je me tordais ! “Si j’allais trouver le colonel ?” me dis-je. – Le colonel c’est la paternité militaire, – et je m’habillai comme on s’habille quand bat la générale, dans une surprise… Je pris mes pistolets par une précaution de soldat. Qui savait ce qui pourrait arriver ?… J’embrassai une dernière fois, avec le sentiment qu’on a à dix-sept ans, – et on est toujours sentimental à dix-sept ans, – la bouche muette, et qui l’avait été toujours, de cette belle Alberte trépassée, et qui me comblait depuis six mois de ses plus enivrantes faveurs… Je descendis sur la pointe des pieds l’escalier de cette maison où je laissais la mort… Haletant comme un homme qui se sauve, je mis une heure (il me sembla que j’y mettais une heure !) à déverrouiller la porte de la rue et à tourner la grosse clé dans son énorme serrure, et après l’avoir refermée avec les précautions d’un voleur, je m’encourus, comme un fuyard, chez mon colonel.

      J’y sonnai comme au feu. J’y retentis comme une trompette, comme si l’ennemi avait été en train d’enlever le drapeau du régiment ! Je renversai tout, jusqu’à l’ordonnance qui voulut s’opposer à ce que j’entrasse à pareille heure dans la chambre de son maître, et une fois le colonel réveillé par la tempête du bruit que je faisais, je lui dis tout. Je me confessai d’un trait et à fond, rapidement et crânement, car les moments pressaient, le suppliant de me sauver…

      C’était un homme que le colonel ! Il vit d’un coup d’œil l’horrible gouffre dans lequel je me débattais… Il eut pitié du plus jeune de ses enfants, comme il m’appela, et je crois que j’étais alors assez dans un état à faire pitié ! Il me dit, avec le juron le plus français, qu’il fallait commencer par décamper immédiatement de la ville, et qu’il se chargerait de tout… qu’il verrait les parents dès que je serais parti, mais qu’il fallait partir, prendre la diligence qui allait relayer dans dix minutes à l’hôtel de la Poste, gagner une ville qu’il me désigna et où il m’écrirait… Il me donna de l’argent, car j’avais oublié d’en prendre, m’appliqua cordialement sur les joues ses vieilles moustaches grises, et dix minutes après cette entrevue, je grimpais (il n’y avait plus que cette place) sur l’impériale de la diligence, qui faisait le même service que celle où nous sommes actuellement, et je passais au galop sous la fenêtre (je vous demande quels regards j’y jetai) de la funèbre chambre où j’avais laissé Alberte morte, et qui était éclairée comme elle l’est ce soir. »

      Le vicomte de Brassard s’arrêta, sa forte voix un peu brisée. Je ne songeais plus à plaisanter. Le silence ne fut pas long entre nous.

      – Et après ? – lui dis-je.

      – Eh bien ! voilà – répondit-il, il n’y a pas d’après ! C’est cela qui a bien longtemps tourmenté ma curiosité exaspérée. Je suivis aveuglément les instructions du colonel. J’attendis avec impatience une lettre qui m’apprendrait ce qu’il avait fait et ce qui était arrivé après mon départ. J’attendis environ un mois ; mais, au bout de ce mois, ce ne fut pas une lettre que je reçus du colonel, qui n’écrivait guère qu’avec son sabre sur la figure de l’ennemi ; ce fut l’ordre d’un changement de corps. Il m’était ordonné de rejoindre le 35e, qui allait entrer en campagne, et il fallait que sous vingt-quatre heures je fusse arrivé au nouveau corps auquel j’appartenais. Les immenses distractions d’une campagne, et de la première ! les batailles auxquelles j’assistai, les fatigues et aussi les aventures de femmes que je mis par-dessus celle-ci, me firent négliger d’écrire au colonel, et me détournèrent du souvenir cruel de l’histoire d’Alberte, sans pouvoir pourtant l’effacer. Je l’ai gardé comme une balle qu’on ne peut extraire… Je me disais qu’un jour ou l’autre je rencontrerais le colonel, qui me mettrait enfin au courant de ce que je désirais savoir, mais le colonel se fit tuer à la tête de son régiment à Leipsick… Louis de Meung s’était aussi fait tuer un mois auparavant… C’est assez méprisable, cela, – ajouta le capitaine, – mais tout s’assoupit dans l’âme la plus robuste, et peut-être parce qu’elle est la plus robuste… La curiosité dévorante de savoir ce qui s’était passé après mon départ finit par me laisser tranquille. J’aurais pu depuis bien des années, et changé comme j’étais, revenir sans être reconnu dans cette petite ville-ci СКАЧАТЬ