Les Diaboliques. Barbey d'Aurevilly
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Les Diaboliques - Barbey d'Aurevilly страница 11

Название: Les Diaboliques

Автор: Barbey d'Aurevilly

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

Серия:

isbn:

isbn:

СКАЧАТЬ retenti de son choc et qui eût pu les réveiller.

      – Ah ! – fis-je, – on n’est pas plus brave à la tranchée. Elle était digne d’être la maîtresse d’un soldat !

      – Et elle le fut dès cette première nuit-là, reprit le vicomte. – Elle le fut aussi violente que moi, et je vous jure que je l’étais ! Mais c’est égal… voici la revanche ! Elle ni moi ne pûmes oublier, dans les plus vifs de nos transports, l’épouvantable situation qu’elle nous faisait à tous les deux. Au sein de ce bonheur qu’elle venait chercher et m’offrir, elle était alors comme stupéfiée de l’acte qu’elle accomplissait d’une volonté pourtant si ferme, avec un acharnement si obstiné. Je ne m’en étonnai pas. Je l’étais bien, moi, stupéfié ! J’avais bien, sans le lui dire et sans le lui montrer, la plus effroyable anxiété dans le cœur, pendant qu’elle me pressait à m’étouffer sur le sien. J’écoutais, à travers ses soupirs, à travers ses baisers, à travers le terrifiant silence qui pesait sur cette maison endormie et confiante, une chose horrible : c’est si sa mère ne s’éveillait pas, si son père ne se levait pas ! Et jusque par-dessus son épaule, je regardais derrière elle si cette porte, dont elle n’avait pas ôté la clé, par peur du bruit qu’elle pouvait faire, n’allait pas s’ouvrir de nouveau et me montrer, pâles et indignées, ces deux têtes de Méduse, ces deux vieillards, que nous trompions avec une lâcheté si hardie, surgir tout à coup dans la nuit, images de l’hospitalité violée et de la Justice ! Jusqu’à ces voluptueux craquements du maroquin bleu, qui m’avaient sonné la diane de l’Amour, me faisaient tressaillir d’épouvante… Mon cœur battait contre le sien, qui semblait me répercuter ses battements… C’était enivrant et dégrisant tout à la fois, mais c’était terrible ! Je me fis à tout cela plus tard. A force de renouveler impunément cette imprudence sans nom, je devins tranquille dans cette imprudence. A force de vivre dans ce danger d’être surpris, je me blasai. Je n’y pensai plus. Je ne pensai plus qu’à être heureux. Dès cette première nuit formidable, qui aurait dû l’épouvanter des autres, elle avait décidé qu’elle viendrait chez moi de deux nuits en deux nuits, puisque je ne pouvais aller chez elle, – sa chambre de jeune fille n’ayant d’autre issue que dans l’appartement de ses parents, – et elle y vint régulièrement toutes les deux nuits ; mais jamais elle ne perdit la sensation, – la stupeur de la première fois ! Le temps ne produisit pas sur elle l’effet qu’il produisit sur moi. Elle ne se bronza pas au danger, affronté chaque nuit. Toujours elle restait, et jusque sur mon cœur, silencieuse, me parlant à peine avec la voix, car, d’ailleurs, vous vous doutez bien qu’elle était éloquente ; et lorsque plus tard le calme me prit, moi, à force de danger affronté et de réussite, et que je lui parlai, comme on parle à sa maîtresse, de ce qu’il y avait déjà de passé entre nous, – de cette froideur inexplicable et démentie, puisque je la tenais dans mes bras, et qui avait succédé à ses premières audaces ; quand je lui adressai enfin tous ces pourquoi insatiables de l’amour, qui n’est peut-être au fond qu’une curiosité, elle ne me répondit jamais que par de longues étreintes. Sa bouche triste demeurait muette de tout… excepté de baisers ! Il y a des femmes qui vous disent : « Je me perds pour vous » ; il y en a d’autres qui vous disent : « Tu vas bien me mépriser » ; et ce sont là des manières différentes d’exprimer la fatalité de l’amour. Mais elle, non ! Elle ne disait mot… Chose étrange ! Plus étrange personne ! Elle me produisait l’effet d’un épais et dur couvercle de marbre qui brûlait, chauffé par en dessous… Je croyais qu’il arriverait un moment où le marbre se fendrait enfin sous la chaleur brûlante, mais le marbre ne perdit jamais sa rigide densité. Les nuits qu’elle venait, elle n’avait ni plus d’abandon, ni plus de paroles, et, je me permettrai ce mot ecclésiastique, elle fut toujours aussi difficile à confesser que la première nuit qu’elle était venue. Je n’en tirai pas davantage… Tout au plus un monosyllabe arraché, d’obsession, à ces belles lèvres dont je raffolais d’autant plus que je les avais vues plus froides et plus indifférentes pendant la journée, et, encore, un monosyllabe qui ne faisait pas grande lumière sur la nature de cette fille, qui me paraissait plus sphinx, à elle seule, que tous les Sphinx dont l’image se multipliait autour de moi, dans cet appartement Empire.

      – Mais, capitaine, interrompis-je encore, – il y eut pourtant une fin à tout cela ? Vous êtes un homme fort, et tous les Sphinx sont des animaux fabuleux. Il n’y en a point dans la vie, et vous finîtes bien par trouver, que diable ! ce qu’elle avait dans son giron, cette commère-là !

      – Une fin ! Oui, il y eut une fin, – fit le vicomte de Brassard en baissant brusquement la vitre du coupé, comme si la respiration avait manqué à sa monumentale poitrine et qu’il eût besoin d’air pour achever ce qu’il avait à raconter. – Mais le giron, comme vous dites, de cette singulière fille n’en fut pas plus ouvert pour cela. Notre amour, notre relation, notre intrigue, – appelez cela comme vous voudrez, – nous donna, ou plutôt me donna, à moi, des sensations que je ne crois pas avoir éprouvées jamais depuis avec des femmes plus aimées que cette Alberte, qui ne m’aimait peut-être pas, que je n’aimais peut-être pas ! ! Je n’ai jamais bien compris ce que j’avais pour elle et ce qu’elle avait pour moi, et cela dura plus de six mois ! Pendant ces six mois, tout ce que je compris, ce fut un genre de bonheur dont on n’a pas l’idée dans la jeunesse. Je compris le bonheur de ceux qui se cachent. Je compris la jouissance du mystère dans la complicité, qui, même sans l’espérance de réussir, ferait encore des conspirateurs incorrigibles. Alberte, à la table de ses parents comme partout, était toujours la Madame Infante qui m’avait tant frappé le premier jour que je l’avais vue. Son front néronien, sous ses cheveux bleus à force d’être noirs, qui bouclaient durement et touchaient ses sourcils, ne laissaient rien passer de la nuit coupable, qui n’y étendait aucune rougeur. Et moi qui essayais d’être aussi impénétrable qu’elle, mais qui, j’en suis sûr, aurais dû me trahir dix fois si j’avais eu affaire à des observateurs, je me rassasiais orgueilleusement et presque sensuellement, dans le plus profond de mon être, de l’idée que toute cette superbe indifférence était bien à moi et qu’elle avait pour moi toutes les bassesses de la passion, si la passion pouvait jamais être basse ! Nul que nous sur la terre ne savait cela… et c’était délicieux, cette pensée ! Personne, pas même mon ami, Louis de Meung, avec lequel j’étais discret depuis que j’étais heureux ! Il avait tout deviné, sans doute, puisqu’il était aussi discret que moi. Il ne m’interrogeait pas. J’avais repris avec lui, sans effort, mes habitudes d’intimité, les promenades sur le Cours, en grande ou en petite tenue, l’impériale, l’escrime et le punch ! Pardieu ! quand on sait que le bonheur viendra, sous la forme d’une belle jeune fille qui a comme une rage de dents dans le cœur, vous visiter régulièrement d’une nuit l’autre, à la même heure, cela simplifie joliment les jours !

      « – Mais ils dormaient donc comme les Sept Dormants, les parents de cette Alberte ? – fis-je railleusement, en coupant net les réflexions de l’ancien dandy par une plaisanterie, et pour ne pas paraître trop pris par son histoire, qui me prenait, car, avec les dandys, on n’a guère que la plaisanterie pour se faire un peu respecter.

      – Vous croyez donc que je cherche des effets de conteur hors de la réalité ? – dit le vicomte. – Mais je ne suis pas romancier, moi ! Quelquefois Alberte ne venait pas. La porte, dont les gonds huilés étaient moelleux comme de la ouate maintenant, ne s’ouvrait pas de toute une nuit, et c’est qu’alors sa mère l’avait entendue et s’était écriée, ou c’est que son père l’avait aperçue, filant ou tâtonnant à travers la chambre. Seulement Alberte, avec sa tête d’acier, trouvait à chaque fois un prétexte. Elle était souffrante… Elle cherchait le sucrier sans flambeau, de peur de réveiller personne… »

      – Ces têtes d’acier-là ne sont pas si rares que vous avez l’air de le croire, capitaine ! – interrompis-je encore. J’étais contrariant. – Votre Alberte, après tout, n’était pas plus forte que la jeune fille qui recevait toutes les nuits, dans la chambre de sa grand-mère, endormie derrière СКАЧАТЬ