Название: Le pouce crochu
Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
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Le pitre vint au-devant des questions qu’elle allait lui adresser.
– Maintenant, mademoiselle, dit-il d’un air triomphant, nous tenons notre homme… ou du moins, nous l’aurons quand nous voudrons. Avec un limier comme cette bête-là, je suis sûr de retrouver Zig-Zag. Et je me mettrai en chasse dès ce soir.
– Pourquoi pas maintenant?
– Parce que, en plein jour, les voyous me courraient après, et les sergots voudraient savoir ce qu’il y a dans la boîte.
– Moi aussi, je voudrais le savoir, murmura Camille.
– Ça m’étonnerait qu’il y ait de l’argent. Quand Zig-Zag en a, il le fait danser, et il n’a pas laissé là-dedans celui qu’il a volé à votre père. Tenez, chaque fois que Vigoureux se secoue, ça sonne la vieille ferraille, mais ça ne sonne pas les écus.
– La somme que Zig-Zag a prise était en billets de banque.
– Le diable, c’est qu’il n’y a pas moyen d’ouvrir la boîte ni même de la prendre. Vigoureux ne peut pas ouvrir la gueule et si je le démuselais, il nous mangerait tous. Je serai forcé de l’emmener comme il est. Seulement je me demande où je le remiserai jusqu’à la nuit.
– Chez moi, dit Camille.
– Comment, mademoiselle, vous voulez que j’entre chez vous, fait comme me voilà?
– J’habite seule avec ma vieille nourrice, et à deux pas d’ici. Vous allez m’accompagner chez moi. Vous attacherez ce chien dans la cuisine, vous me laisserez votre fils et vous irez acheter des vêtements pour vous et pour lui. Quand vous les aurez, vous viendrez me retrouver, vous changerez de costume tous les deux, vous dînerez avec moi et demain vous chercherez un logement convenable.
– Ça tient donc toujours, ce que vous m’avez offert? demanda timidement Courapied.
– Plus que jamais. Venez, nous n’avons pas de temps à perdre.
– Pourvu que nous ne soyons pas obligés de traîner Vigoureux… tenez! il tire tant qu’il peut du côté du boulevard Voltaire…
– C’est justement là que nous allons.
– Va bien, alors. En route, Georget! Tu ne jeûneras plus, mon garçon. Remercie la dame et sers-la bien, car si elle n’était pas venue nous tendre la main, nous n’avions plus qu’à nous jeter à l’eau.
– J’aime mieux me jeter dans le feu pour elle, dit le petit, qui avait les larmes aux yeux.
III. Cette année-là, Pâques tombait très tard…
Cette année-là, Pâques tombait très tard. La foire au pain d’épice durait encore et les cafés-concerts des Champs-Élysées venaient déjà d’ouvrir. À Paris, c’est signe que le printemps commence. Les viveurs n’ont pas besoin de consulter le calendrier pour changer de plaisirs. Au lieu de s’enfermer dans les théâtres, ils vont là où ils sont sûrs de trouver des femmes en toilettes claires et de dîner en musique.
Ainsi avaient fait Julien Gémozac et Alfred de Fresnay, le soir du jour où Camille Monistrol s’était présentée pour la première fois chez l’associé de son père.
Julien n’avait pas encore digéré le mauvais tour que son camarade lui avait joué en le plantant là après leur aventure de la barrière du Trône. Il le lui reprochait souvent et, au fond, il lui en gardait rancune, mais rien ne lie comme les vices, et ces deux garnements étaient inséparables.
Ils s’étaient rencontrés, comme d’habitude, à la partie de baccarat du Cercle, de quatre à sept; par exception, ils avaient gagné et le gain les ayant mis en belle humeur, ils avaient décidé, d’un commun accord, de passer la soirée au café des Ambassadeurs.
Ils s’étaient fait servir sur la terrasse qui domine le concert, et ils y mangeaient en nombreuse compagnie. La fine fleur du quart-de-monde était là. On se disputait les tables, et ces messieurs s’estimaient fort heureux d’en occuper une des mieux placées – juste au milieu et tout contre la balustrade. Ils étaient venus pour s’amuser et ils s’amusaient, mais les deux convives n’étaient pas montés au même diapason de gaieté.
Fresnay, tout à la joie, échangeait des signes avec les horizontales assises dans le voisinage, interpellait gaiement les messieurs qu’il connaissait, – et il en connaissait beaucoup, car il était un peu de toutes les bandes, – blaguait les chanteuses qui s’égosillaient sur la scène, et ces distractions diverses ne l’empêchaient pas de boire et de manger comme quatre; de boire surtout, et du train dont il allait, il devait infailliblement finir par se griser.
Julien, moins exubérant de sa nature, prenait son plaisir en dedans et pensait à une foule de choses qui n’avaient aucun rapport avec le bruyant entourage qui s’agitait sous ses yeux. Il pensait que l’existence, même dorée, devient monotone quand elle n’a pas de but; que les farceuses à la mode se ressemblent toutes et que le bonheur ne consiste pas à souper avec ces demoiselles et à tracasser la dame de pique.
Il pensait qu’il approchait de la trentaine et que la vie de famille a son charme.
Il pensait surtout à Camille Monistrol.
La jeune fille qu’il avait vue le matin, si belle et si sérieuse, lui apparaissait comme un vivant contraste avec toutes ces dévoyées qui n’étaient venues là que pour chercher fortune. Leurs manèges le dégoûtaient et ses nerfs se crispaient quand il les entendait rire à faux des plaisanteries stupides de leurs amis de rencontre.
Et il en était à se demander s’il ne ferait pas mieux de passer carrément et d’un seul saut dans le camp des bourgeoises.
Il dépendait de lui de prendre, pour y entrer, un chemin que mademoiselle Monistrol lui avait indiqué et qui lui plaisait, précisément parce qu’il n’était pas facile à suivre. Courir les aventures et braver des dangers pour conquérir la main d’une honnête fille, c’était plus tentant et plus neuf que de subventionner des drôlesses et même que de se laisser tranquillement marier par ses parents à quelque riche héritière.
Ces sages réflexions juraient avec les grimaces du comique de l’endroit, qui mimait, en ce moment, une chansonnette désopilante, et elles ennuyaient Fresnay, qui se mit à dire:
– Ah! tu as le vin triste, toi! Nous en sommes à notre troisième bouteille de Rœderer, et tu n’as encore ouvert la bouche que pour boire. À la seconde, j’étais déjà gai comme un pinson. Maintenant, je commence à avoir envie de faire des bêtises.
– Moi pas, répliqua laconiquement Julien.
– Veux-tu parier cent francs que je grimpe sur l’estrade là-bas, et que je dégoise une romance?
– Tu en es bien capable, mais on te mettrait au poste et je t’y laisserais… quand ce ne serait que pour t’apprendre à me lâcher comme tu l’as fait l’autre jour.
– Comment! tu m’en veux encore?… mais tu devrais me remercier. Je t’ai laissé en tête-à-tête avec une personne qui t’avait donné dans l’œil…
– Et СКАЧАТЬ