Rose d'amour. Alfred Assollant
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Название: Rose d'amour

Автор: Alfred Assollant

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ qu’il faut croire que vous me ferez la loi. Pauvreté n’est pas vice, voyez-vous, vieux Sans-Souci, et les Bernard ont toujours eu la tête près du bonnet ; et il ne faut pas croire qu’il n’y a qu’une fille ici et que Bernard n’en trouverait pas d’autre à épouser : car, pour les filles, nous en avons, Dieu merci, par douzaines, et, toute brûlée qu’est ma maison, Bernard n’est pas encore un parti à dédaigner, et je connais des filles d’huissier qui s’en lécheraient les doigts bien volontiers ; mais il n’est pas fait pour leur nez. »

      À ces mots, mon père se mit à bourrer tranquillement sa pipe en faisant signe du coin de l’œil au père Bernard.

      « Oui, oui, j’entends bien vos signes, vieux sans-cœur, vieux Sans-Souci, dit-elle. Vous avez l’air de dire à Bernard : Laisse couler l’eau, ou : Autant en emporte le vent, car vous vous entendez tous entre hommes comme larrons en foire. Au lieu de pleurer comme moi mon pauvre Bernard et de le tirer d’embarras et du service militaire, vous fumez là vos pipes comme des va-nu-pieds. Eh bien ! c’est moi qui le sauverai, moi, sa mère.

      – Comment ? dit le vieux Bernard.

      – J’irai chez le maire, j’irai chez le sous-préfet, j’irai chez le préfet, chez le général, s’il le faut, mais je ne laisserai pas emmener mon enfant, car ils vont me l’emmener et me le faire tuer en Afrique, pour sûr.

      – Va ! dit le père.

      – Oui, va, c’est bientôt dit. Et comment veux-tu que j’aille ? Est-ce que je les connais, moi, ces gens-là et ces seigneurs ? Mais tu me laisses toujours la besogne sur le dos, grand fainéant, et tu engraisses là au coin du feu, les mains dans les poches, pendant que je trotte et que je cours par les chemins, sous la pluie, le vent et la neige, cherchant le pain de la famille.

      – Alors n’y va pas, reprit le vieux Bernard.

      – Oui, n’y va pas ! Et si je n’y vais pas, qui donc ira ? Est-ce toi, vieille poule mouillée, homme de carton, bœuf au pâturage ? Et tu auras le cœur et le front de laisser partir notre enfant, notre dernier enfant, le seul qui nous soit resté de quatre que j’ai nourris ! Pauvre Bernard, pauvre ami, soutien de ma vieillesse, qui donc t’aimera, puisque ton père te jette là au coin de la borne comme une vieille casquette ? »

      Les deux hommes se levèrent et allèrent s’asseoir sur un banc devant la porte pour fumer tranquillement leurs pipes ; mais leur tranquillité ne fit qu’irriter davantage la pauvre femme, qui se mit à dire que tout le monde l’abandonnait, qu’elle le voyait bien, qu’on ne lui parlait même plus, qu’elle était bonne à porter en terre, que le plus tôt serait le meilleur, et qui, finalement, fondit en larmes et embrassa Bernard en sanglotant pendant plus d’une heure.

      À ce moment, les forces lui manquèrent. Elle se jeta sur son lit et s’endormit. C’était le moment que nous attendions, Bernard et moi, sans nous le dire. Nos pères étaient rentrés et s’étaient couchés aussi ; car le chagrin même ne pouvait pas leur faire oublier le travail du lendemain, et les pauvres gens, par bonheur, ont trop d’affaires pour se lamenter éternellement, comme ceux qui ont des rentes et du loisir.

      Je menai Bernard dans ma chambre. Il s’assit sur la table et moi sur une chaise à côté de lui. Si vous trouvez, madame, que c’était une démarche bien hardie, il faut penser que cette entrevue était la dernière, que nous ne devions pas nous retrouver avant sept ans, que nous avions mille choses à nous dire pour lesquelles il ne fallait pas de témoin, et qu’enfin je lui avais, par malheur, donné des droits sur moi. Au reste, il n’était pas disposé à en abuser ce soir-là, car nous nous sentions tous deux le cœur serré, et nous retenions à peine nos larmes.

      « Rose, ma chère Rose, me dit-il dès que nous fûmes assis, c’est la dernière fois que je te parle, il ne faut pas que tu me caches rien. M’aimes-tu comme je t’aime et comme je t’aimerai toujours ? M’aimes-tu assez pour attendre mon retour sans inquiétude, et de me jurer de ne pas te marier et de n’écouter les discours de personne pendant tout ce long temps ? Dis, m’aimes-tu assez pour cela ? »

      Tout en parlant il serrait mes mains dans les siennes avec une force et une tendresse extraordinaires.

      « Oui, je t’aime assez pour t’aimer éternellement, dis-je à mon tour.

      – Pense, reprit-il, que j’ai vingt ans aujourd’hui, et que j’en aurai vingt-sept et toi vingt-quatre à mon retour. Pense que ce temps est bien long, qu’il viendra peut-être beaucoup de gens pour te regarder dans les yeux, pour te dire que tu es belle, que je suis loin et que je ne reviendrai jamais ; pense…

      – J’ai pensé à tout, lui dis-je. Mais toi, veux-tu jurer de m’être toujours fidèle, d’avoir en moi une confiance entière, non pas seulement aujourd’hui, ni demain, mais tous les jours de l’année, et dans deux ans, et dans dix ans, et durant la vie entière ? Veux-tu jurer de ne croire personne avant moi, quelque chose qu’on puisse te dire de ma conduite, quelque parole qu’on puisse te rapporter ?

      – Je le jure !

      – Pense à ton tour qu’il est bien facile de dire du mal d’une honnête fille, qu’il ne faut qu’un mot d’une mauvaise langue et qu’un mensonge pour la déshonorer, qu’il se fait bien des histoires dans le pays et qu’on pourra me mettre dans quelqu’une de ces histoires. Es-tu bien résolu et déterminé à n’écouter rien de ce qu’on pourra te dire contre moi, à moins que tu ne l’aies vu de tes deux yeux ; et veux-tu jurer, si l’on te fait quelque rapport, quand ce rapport viendrait de ton père ou de ta mère, ou des personnes que tu respectes le plus, de me le dire à moi avant toute chose, afin que je puisse me justifier et confondre le mensonge ?

      – Je le jure ! Et maintenant, Rose, nous sommes mariés pour la vie. Prends cet anneau d’or que j’ai acheté aujourd’hui pour toi ; et si je manque à mon serment, que je meure ! ».

      Je ne répéterai pas, madame, le reste de notre conversation. Nos parents mêmes auraient pu l’écouter sans nous faire rougir, et Bernard évita avec soin tout ce qui aurait pu me rappeler la faute que nous avions commise. Moi-même je n’osai y faire la moindre allusion, par un sentiment de pudeur que vous comprendrez aisément. Hélas ! il était bien tard pour me garder.

      Le lendemain, Bernard partit avec les conscrits de sa classe et alla rejoindre son régiment.

      Dès qu’il fut parti, je me trouvai seule comme dans un désert. Je sentais que mes vrais malheurs allaient commencer.

      V

      Cependant, comme après tout il faut vivre, et comme les pauvres gens ne vivent pas sans manger, et comme ils ne mangent pas sans travailler, et comme il fait froid en hiver, ce qui oblige d’avoir des robes de laine, et chaud en été, ce qui oblige d’avoir des robes de coton, et comme les robes de laine coûtent fort cher, et comme on ne donne pas pour rien les robes de coton, je me remis à travailler comme à l’ordinaire, dès le lendemain du départ de Bernard.

      Ce ne fut pas sans une amère tristesse. Bien souvent je baissais la tête sur mon ouvrage, et je m’arrêtais à rêver de l’absent, et à me rappeler les dernières paroles qu’il m’avait dites et les derniers regards qu’il m’avait jetés en partant le sac sur le dos ; mais le contremaître de l’atelier ne tardait pas à me réveiller, et je reprenais mon travail avec ardeur.

      Car il faut vous dire, madame, que je travaillais dans un atelier avec trente ou quarante ouvrières. Chacune de nous avait son métier et gagnait à peu près soixante-quinze centimes. Pour une femme, et dans ce pays, СКАЧАТЬ