Le crime de l'omnibus. Fortuné du Boisgobey
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Название: Le crime de l'omnibus

Автор: Fortuné du Boisgobey

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ de la rue des Martyrs, l’intérieur de l’omnibus ressemblait à un dortoir.

      La massive machine roulait comme un navire balancé par la houle et berçait si doucement les passagers, qu’ils se laissaient presque tous aller peu à peu à dodeliner de la tête et à fermer les yeux.

      Il n’y avait plus guère que le grand brun qui se tint droit. Le conducteur suivait à pied pour se dégourdir les jambes, et le cocher faisait claquer son fouet pour se réchauffer.

      Au dernier tiers de la montée, la grosse commère se réveilla en sursaut et se mit aussitôt à crier qu’elle voulait descendre.

      L’endroit n’est pas commode pour arrêter, car la pente est si raide que les chevaux glissent et reculent aussitôt qu’ils cessent d’avancer. Les dames qui tiennent à mettre pied à terre avant d’arriver au haut de l’escarpement doivent requérir l’aide du conducteur.

      Ainsi fit la femme obèse, non sans grommeler des mots peu gracieux à l’adresse de ce brave employé qui n’arrivait pas assez vite pour la recevoir dans ses bras. Elle se précipita vers la sortie en écrasant les orteils de ses voisines, et dès qu’elle eut touché le pavé, elle se mit à crier qu’elle était descendue trop tôt, qu’elle aurait dû attendre jusqu’à l’avenue Trudaine, puisqu’elle demeurait chaussée Clignancourt, et cent autres récriminations qui n’émurent personne.

      Elle se décida pourtant à marcher, et l’omnibus continua son ascension qui touchait à son terme.

      À ce moment, l’artiste, qui songeait toujours aux deux femmes assises en face de lui, fut brusquement distrait de sa rêverie par un bruit qui partait de l’impériale, le bruit de trois coups de talon de botte, trois coups successifs, séparés par un léger intervalle et vigoureusement frappés.

      Tiens! se dit-il, le voyageur de l’impériale qui fait des appels du pied comme un maître d’armes. Il paraît qu’il est encore là. En voilà un que dix degrés au-dessous de zéro ne gênent pas.

      Ah! cependant, il en a assez, car il se décide à descendre.

      En effet, les bottes qui venaient d’exécuter ce roulement apparurent sur le marchepied aérien, les jambes suivirent, puis le torse, et enfin l’homme, après avoir jeté un rapide coup d’œil dans l’intérieur de l’omnibus, sauta sur le pavé. Le peintre, qui observait ses mouvements, le vit s’éloigner à grands pas par la rue de la Tour-d’Auvergne.

      Allons! pensa-t-il, ce bonhomme si lourdement botté n’a pas les intentions que je lui supposais. Je me figurais qu’il attendrait à la sortie la dame qui a accepté sa place, et qu’il tâcherait de lui faire aussi accepter son bras.

      Pas du tout. Il s’en va tranquillement tout seul. Il a raison, car cette personne ne me semble pas d’humeur à se familiariser avec des messieurs de son espèce.

      Pendant qu’il se tenait à lui-même ce judicieux discours, l’omnibus atteignait le point où la rue des Martyrs croise deux autres rues, fort habitées: la rue de Laval, à gauche, et la rue Condorcet, à droite.

      On s’arrête toujours là pour dételer le cheval de renfort, et aussi parce qu’à cet endroit du parcours, il arrive souvent que la voiture se vide. Les voyageurs, et surtout les voyageuses, descendent en masse.

      Et ce soir-là, elles n’y manquèrent pas. Presque toutes se levèrent à la fois, et ce fut à qui sortirait la première.

      Tant et si bien qu’après cette dégringolade générale, il ne resta plus dans l’intérieur que le grand brun et les deux femmes assises en face de lui.

      Encore, celle qui soutenait la dormeuse faisait-elle mine de partir aussi.

      – Monsieur, dit-elle vivement, cette pauvre enfant qui s’appuie sur moi dort d’un si bon sommeil que je me reprocherais de la réveiller… et cependant, il faut que je descende… je demeure tout près d’ici, et il est tard… Oserai-je vous demander de me remplacer dans mes fonctions de reposoir?

      – Avec le plus grand plaisir, répondit le jeune homme en s’asseyant à la place que la grosse marchande d’oranges venait d’abandonner.

      – Attendez encore un peu, je vous prie, cria la charitable dame au conducteur qui allait donner le signal du départ.

      En même temps elle soulevait, avec des précautions infinies, la tête de la jeune fille qui reposait sur son épaule, et elle la plaçait délicatement sur l’épaule du grand brun, tout prêt à la recevoir.

      La dormeuse se laissa faire sans donner signe d’existence, et s’abandonna si complètement que le voisin auquel on la confiait crut devoir la soutenir par la taille.

      – Je vous remercie, monsieur, dit la dame voilée. Il m’en coûtait de la laisser seule; mais puisque vous allez jusqu’au bout de la ligne, je puis la quitter. Si vous pouviez la reconduire jusqu’à la porte de la maison où elle va, vous feriez assurément une bonne action, car, à l’heure qu’il est, ce quartier est dangereux pour une jeune fille.

      Et, sans attendre la réponse de son suppléant, elle se coula rapidement hors de l’omnibus qui venait d’enfiler la rue de Laval. Le conducteur s’était accoté dans le coin, à l’entrée de la voiture, au-dessous du compteur, et il s’occupait à vérifier, à la clarté fugitive des becs de gaz, les derniers pointages de sa feuille.

      Le peintre restait donc tout à fait en tête-à-tête avec la belle dormeuse, et personne ne l’empêchait de lui dire des douceurs ou de lui demander une séance de portrait; mais, pour en venir là, il fallait d’abord la réveiller, et il voulait y mettre des formes.

      Il la serrait discrètement contre sa poitrine, et il espérait qu’en accentuant un peu cette pression décente, il réussirait à la tirer de sa torpeur.

      Il se trompait. Il eut beau appuyer un peu plus, sa main ne sentit pas battre le cœur de cette enfant, qui ne devait cependant pas être accoutumée à se laisser étreindre ainsi. L’idée vint alors à ce malin garçon qu’elle n’était pas si endormie qu’elle en voulait avoir l’air, et qu’elle ne demandait pas mieux que de devenir son obligée.

      Il était Parisien; il avait de l’expérience et du flair. Aussi ne croyait-il guère à la vertu des demoiselles qui montent en omnibus toutes seules, à minuit moins un quart, et qui se dirigent, à cette heure indue, vers les boulevards extérieurs.

      Il voulut savoir à quoi s’en tenir, et il se pencha un peu, afin de voir de près le visage de cette dormeuse obstinée; mais la dernière lanterne, celle qui agonisait dès le départ, avait fini par s’éteindre, et l’intérieur de la voiture était plongé dans une obscurité complète.

      Il se pencha jusqu’à toucher presque la figure de la jeune fille, et il s’aperçut qu’elle était pâle comme de l’albâtre, et qu’aucun souffle ne sortait de sa bouche entrouverte.

      Il prit une de ses mains qui étaient restées dans le manchon, et il trouva que cette main était glacée.

      – Elle est évanouie, murmura-t-il. Elle a besoin de secours.

      Et il appela le conducteur, qui lui répondit, sans s’émouvoir:

      – Nous voilà à la station. Ce n’est pas la peine d’arrêter pour si peu.

      En effet, vivement mené par un cocher pressé d’aller se coucher et par des chevaux СКАЧАТЬ