La 628-E8. Octave Mirbeau
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу La 628-E8 - Octave Mirbeau страница 7

Название: La 628-E8

Автор: Octave Mirbeau

Издательство: Bookwire

Жанр: Книги о Путешествиях

Серия:

isbn: 4064066078003

isbn:

СКАЧАТЬ un excellent compagnon de route, gai, débrouillard, attentif sans servilité, et, hormis ces légères fantaisies de comptabilité, très fidèle. Il m'amuse, et avec lui je jouis de la plus complète sécurité. Il a un sang-froid imperturbable, de la prudence, et, quand il le faut, de la hardiesse. Il ignore la fatigue, et, dans toutes les circonstances, garde sa belle humeur... Il faut le voir aux prises avec les agents cyclistes et les gendarmes, qu'il étourdit de sa gentillesse pittoresque, ce qui fait qu'il passe, presque toujours indemne, au travers des contraventions les mieux établies...

      Et puis, il aime sa machine; il en est fier; il en parle comme d'une belle femme.

      Le mois dernier, nous revenions de Bordeaux, la nuit. Entre Blois et Chartres «nous avions crevé»... quatre fois...; au delà de Versailles, tout près de Ville-d'Avray, pour la cinquième fois, un pneu éclata. J'étais énervé, pressé de rentrer. En outre, j'avais vraiment pitié de ce pauvre Brossette.

      —Tant pis! lui dis-je... Marchons comme ça!...

      Il avait arrêté la voiture:

      —Non, monsieur, c'est impossible... fit-il. Ça fatigue trop le différentiel...

      Et il se mit à travailler, en aidant son courage d'une chanson.

      Les mécaniciens exercent sur l'imagination des cuisinières et des femmes de chambre un prestige presque aussi irrésistible que les militaires. Ce prestige a une cause noble; il vient du métier même qu'elles jugent héroïque, plein de dangers, et qu'elles comparent à celui de la guerre. Pour elles, un homme toujours lancé à travers l'espace, comme la tempête et le cyclone, a vraiment quelque chose de surhumain. Elles se rappellent avoir vu des gravures où des anges guerriers soufflaient dans les longues trompettes, pour exciter la frénésie meurtrière des armées, ou bien des petits dieux joufflus dont l'haleine soulevait la mer, culbutait les forêts, emportait les montagnes, comme des fétus de paille... Je pense qu'elles se font une idée semblable du mécanicien d'automobile.

      Pourtant, Brossette n'est pas beau. Son aspect n'a rien d'exaltant et qui puisse éveiller, dans l'esprit, de telles allégories, de tels prodiges. Il a le dos voûté, la poitrine plate, les jambes maigres et un peu cagneuses. On dirait que sa moustache, très courte, est rongée par la pelade. N'était un sourire assez joli, qui lui donne parfois une expression de joviale malice, un air de gaieté spirituelle et farceuse, son visage n'offrirait aucun charme spécial à l'amour. Sa tenue lâchée, ses vêtements le plus souvent sales et fripés, sa casquette enfoncée en arrière, sur la nuque, sa démarche lourde et raide d'ouvrier, n'excitent pas aux rêves de volupté et de gloire...

      Eh bien! il n'y en a que pour lui, à l'office.

      La cuisinière l'adore, et la femme de chambre en est folle. On le soigne comme un pacha; on le dorlote comme un enfant. L'une le gorge de petits plats amoureusement mijotés, et de friandises; l'autre n'est occupée qu'à tenir sa garde-robe, son linge... Il est comblé de cadeaux de toute sorte, et mes boîtes de cigares y passent, l'une après l'autre. Lui, se laisse faire, gentiment, gaiement, sans trop d'empressement, en homme blasé de toutes ces faveurs. Ménager de ses forces et de sa moelle, Brossette n'a pas un tempérament d'amoureux. De l'amour, il aime surtout les blagues un peu grasses, qui n'engagent à rien, et les petits profits. Il se passe volontiers du reste.

      Tout cela ne va pas, bien entendu, sans de terribles scènes de jalousie. Souvent les deux rivales se menacent, se prennent aux cheveux. Il y a de tels fracas dans la batterie de cuisine et dans la vaisselle, que, pour mettre d'accord ces enragées, souvent je suis obligé de les mettre à la porte... Et puis cela recommence avec les autres... J'ai cru qu'en éloignant Brossette de la maison, j'y ramènerais le calme... Je lui ai dit:

      —Écoutez, Brossette... vous êtes assommant... Vous mettez tout sens dessus dessous, chez moi. Je n'ai plus de maison. Dorénavant, vous logerez et vous prendrez vos repas dehors.

      Et lui, philosophe, m'a répondu:

      —Monsieur a bien raison... Au moins, je pourrai lire L'Auto à mon aise... Mais, allez!... ça ne changera rien à rien... Elles en veulent, monsieur... Ah! ces sacrées femmes, ce qu'elles sont embêtantes!...

      En voyage, il est bombardé de lettres... À peine s'il les lit, en haussant les épaules... Il n'y répond jamais... Mais il écrit copieusement à des amis, à qui il raconte des aventures émouvantes, des prouesses de plus en plus extraordinaires, et il tient pour eux un livre de «moyennes», jamais atteintes, ai-je besoin de le dire?

      Ce que j'admire en Brossette, c'est la puissance de sa vue, qui lui permet d'apercevoir, à des kilomètres de distance, le moindre obstacle sur la route; ce que j'admire surtout, c'est le sens étonnant, mystérieux, qu'il a de l'orientation. Cette faculté, qui semble un prodige, on peut l'expliquer, on l'explique, par des raisons physiques, très claires, chez les pigeons, les canards sauvages, les hirondelles... Mais comment l'expliquer chez Brossette? Et lui qui aime tant à se vanter de tout, il est, sur ce point, d'une modestie qui me surprend... Il n'y pense pas... n'en parle pas... Il est comme ça... il a toujours été comme ça... voilà... Je l'observe souvent. Le dos rond, la main touchant à peine le volant, la figure grave et plissée, surveillant tour à tour le graisseur, le voltmètre, le manomètre, la campagne... l'oreille attentive aux moindres bruits du moteur, il va, sans s'inquiéter jamais de la borne indicatrice, du poteau, dont les flèches montrent le chemin... Aux carrefours, il dresse un peu plus la tête... Il regarde l'horizon, flaire le vent, puis il s'engage résolument dans l'une des quatre ou six routes qui sont devant lui... C'est toujours la bonne... Il n'arrive pour ainsi dire pas qu'il se trompe...

      Il y a deux ans de cela... Nous revenions de Marseille. Nous nous étions arrêtés à Lyon, un jour... Brossette se montrait particulièrement gai... jamais je ne l'avais vu si gai. Je lui en fis la remarque.

      —C'est la machine, monsieur... Elle va comme un ange... Ça me fait plaisir.

      Nous quittâmes Lyon, au petit matin. Je pensais rentrer par Dijon, où j'avais l'intention de déjeuner chez un ami... Je m'aperçus bientôt que nous n'étions pas sur la route... Mais Brossette me dit avec une tranquille assurance:

      —Que monsieur ne se fasse pas de mauvais sang!... Ça va bien... Ça va très bien.

      Il était tellement sûr de son fait que je n'osai pas insister davantage... Pourtant, je ne cessai de me répéter à moi-même: «Nous ne sommes pas sur la route... Nous ne sommes pas sur la route.»

      Le temps était très frais... presque froid. Pas de soleil dans le ciel... pas de brume, non plus... une atmosphère limpidement grise, subtilement argentée, où toutes les choses prenaient des colorations délicates... J'avais le cœur réjoui... La machine était ardente, excitée par une carburation régulière et forte... Et nous allions... nous allions... C'étaient des paysages, des villages, des villes, des côtes que nous passions à toute vitesse, et dont j'étais bien sûr que nous ne les avions jamais rencontrés; du moins, jamais rencontrés entre Lyon et Dijon... Deux heures... trois heures... quatre heures. Aux formes des terrains, au type des visages, je sentais que nous nous approchions de la Touraine, que nous étions peut-être en Touraine, que peut-être, nous l'avions déjà dépassée.

      Il fallut faire de l'essence, dans un bourg. Je consultai la carte... Parbleu! qu'est-ce que je disais?... Triomphalement, je montrai la carte à Brossette, heureux de le prendre, une fois, en défaut.

      —Encore quatre heures de ce train-là, Brossette.. et nous sommes à Bordeaux. Nous courons vers l'ouest, mon ami... nous y courons, comme l'avenir...

      Mais Brossette hocha la tête:

СКАЧАТЬ