La 628-E8. Octave Mirbeau
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Название: La 628-E8

Автор: Octave Mirbeau

Издательство: Bookwire

Жанр: Книги о Путешествиях

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isbn: 4064066078003

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СКАЧАТЬ m'apercevoir de rien, à chaque pas qui me pousse et qui m'entraîne, je vais plus vite... encore plus vite... Mes reins ont des élasticités de caoutchouc neuf; mes semelles, sur les pavés, les trottoirs, rebondissent, devant moi, derrière moi, comme des balles de tennis... Je cours pour les rattraper... Je cours... je cours...

      Je commence par les musées, n'est-ce pas?... par ces musées magnifiques où, devant le génie de Rembrandt et de Vermeer, je suis venu oublier les Expositions parisiennes, les pauvres esthétiques, essoufflées et démentes de nos esthéticiens... Des salles, des salles, des salles, dans lesquelles il me semble que je suis immobile, et où ce sont les tableaux qui passent avec une telle rapidité que c'est à peine si je puis entrevoir leurs images brouillées et mêlées... Et l'instant d'après, sans trop savoir ce qui m'est arrivé, je me trouve longeant les canaux, les canaux aux eaux mortes, bronzées et fiévreuses, où glissent, pareilles aux jonques chinoises, ces massives et belles barques néerlandaises qui laissent tomber, sur la surface noire, le reflet vert, acide et mouvant de leurs proues renflées.

      Maintenant, me voici sur des places, dans des rues, dans des ruelles qui se croisent et s'entre-croisent, ces rues si prodigieusement colorées, où défilent, défilent des maisons en porte-à-faux, d'un dessin si souple, de hautes façades, étroites et pointues, qui se penchent les unes sur les autres, s'étranglent les unes entre les autres, s'écrasent les unes contre les autres. Deux fois, trois fois, j'ai traversé le Dam... Je vais toujours, et, devant les glaces des magasins, je me surprends à regarder passer une image forcenée, une image de vertige et de vitesse: la mienne.

      Et ce sont des jardins, avec des massifs de tulipes... d'énormes monuments de brique... des banques comme des citadelles, la Bourse, toute rouge, encore des canaux, des canaux, des ponts, des ponts, et encore des maisons qui dansent et croulent, et, à deux enjambées de la Kalverstraat, c'est le petit béguinage catholique, invisible, silencieux, tout à fait perdu au milieu des boutiques vivantes et trafiquantes, avec sa minuscule église, ses étroits jardins triangulaires, si tristes d'être sans verdure et sans fleurs, ses petites maisons à pignon vert, au seuil desquelles, accroupies et tassées sous leurs coiffes plates, l'on voit prier et dodeliner de la tête, des vieilles très anciennes, qui ne vous regardent pas, qui ne regardent jamais rien, qui n'ont jamais rien regardé...

      Je vais toujours... Ah! c'est le port...

      Le soir est venu... Il souffle un vent humide et très froid. Je n'aperçois dans la brume que des feux rouges, jaunes, verts, qui clignotent, très pâles, sur le canal... Les sirènes ne discontinuent pas de crier, comme des chiens perdus dans la nuit. Alors, je m'enfonce dans les quartiers presque inconnus de ce port, où se cachent d'affreux bouges, des musicos hurlants, toute une Inde étrange, boueuse et glacée, un carnaval mi-septentrional, mi-javanais, qui vous racle les nerfs de ses musiques aigres et traînantes, vous prend à la gorge, par ses odeurs de salure marine, de goudron, d'alcool, d'opium, de pétrole, d'oripeaux fétides, de chairs noires ou cuivrées, où, ici et là, autour d'un bras levé, d'une cheville en l'air, reluit un cercle d'or... Que sais-je?...

      Car tout est nouveau, à Amsterdam, tout vous arrête, à ses aspects multiples, tragiques et lointains... Mais je ne m'arrête pas... je ne m'arrête nulle part... Je bouscule une négresse qui s'est accrochée à moi, et, de ses grosses lèvres rougies de bétel, me souffle au visage, avec des paroles de luxure, une odeur de mort... Et je vais... je vais sans savoir où je vais... Je garde le souvenir vague de brasseries obscures et profondes, en voûte de chapelle, où des visages d'ombre et de silence regardent des foules qui passent, sans cesse, en cortèges noirs, sous des lumières aveuglantes, comme des projections de lanterne magique... Et puis rien... rien que des choses qui glissent... qui fuient... qui tournoient comme des ondes... et se balancent comme des vagues...

      Rentré à l'hôtel, exténué, fourbu, la tête éclatant sous la pression de tout ce que j'y ai entassé d'images tronquées, qui cherchent vainement à se rejoindre, je n'ai plus qu'une obsession: m'en aller, m'en aller... Oh! m'en aller...

      Brossette est là qui m'attend... Il cause avec le portier. Il fait le héros... Avec des gestes imitatifs, il décrit des virages, des vitesses extravagantes, raconte des voyages admirables qu'il n'a jamais accomplis, et où son sang-froid, son audace, sa science de mécanicien m'ont sauvé de la mort... Je suis si heureux de le voir là, que j'ai envie de l'embrasser.

      —Eh bien, mon bon Brossette... La voiture est prête?

      —Oui, monsieur.

      —Alors... demain matin..., sept heures précises, Brossette... Nous partons... nous partons...

      Brossette ne s'étonne pas... Il a l'habitude de ces brusques sautes dans mes résolutions... Pourtant, il ne peut s'empêcher—mais avec discrétion—de manifester son contentement... Je sais qu'il n'aime pas Amsterdam. Il m'a dit, un jour de spleen:

      —Ça n'est pas une ville pour un chauffeur...

      Il préfère Trouville, Dieppe, Monte-Carlo, Ostende... Ça, c'est des garages... Il préfère surtout l'avenue de la Grande-Armée, la vraie patrie du chauffeur.

      Il me demande:

      —Alors, monsieur rentre à Paris?

      —Oui, oui... Et d'un trait, Brossette... d'un trait...

      —Monsieur a raison.

      En se retirant, il hausse les épaules:

      —Que monsieur ne me parle pas d'un pays où on tire l'essence à même un tonneau.

      Et puis, lui aussi, sans doute, a le vertige, quand il n'est plus sur sa machine, la main au volant... C'est là que le calme rentre dans son âme, et dans la mienne...

      Il savait si bien à quoi s'en tenir, ce malin de Brossette, qu'en dépit de mes ordres, il n'a descendu de l'auto que ma valise...

      Ah! comment faire pour attendre à demain? car je sens que je ne dormirai pas... Malgré le calme de cet hôtel, tous mes nerfs vibrent et trépident... Je suis comme la machine qu'on a mise au point mort, sans l'éteindre, et qui gronde...

      Le garage.

      Charles Brossette? Il vaut la peine d'une digression...

      Mais avant que de parler de lui, je dois dire un mot du milieu où naquit et se développa cette nouvelle forme zoologique: le mécanicien.

      L'automobilisme est un commerce en marge des autres, un commerce qui ressemble encore un peu à celui des tripots et des restaurants de nuit. À son début, il ne s'adressait exclusivement qu'au monde du plaisir et du luxe. Il groupa donc, fatalement, automatiquement, autour de lui, le même personnel, à peu près: fêtards décavés, gentilshommes tire-sous, pantins sportifs, échappés des albums de Sem, cocottes allumeuses et proxénètes, toute cette apacherie brillante, toute cette pègre en gilets à fleurs, qui vit des mille métiers obscurs, inavouables, que produisent la galanterie et le jeu, et dont les cabinets de toilette, les cercles, sont les ordinaires bureaux. Les «grands noms de France», soutiens des religions mortes et des monarchies disparues, qui rougiraient de pratiquer des commerces licites, s'adonnent le plus volontiers du monde aux pires commerces clandestins, pourvu que leur élégance n'en souffre pas trop, publiquement, et que s'y rassurent leurs principes traditionnels. Car il est faux de dire qu'ils déchoient, ces gentilshommes; ils continuent. Ils se ruèrent donc sur l'automobilisme avec frénésie. Tel duc, tel vicomte, qui gagnait péniblement sa vie, en procurant à des Américains, à des banquiers enrichis, de vieux meubles truqués, d'antiques bibelots maquillés, des tableaux contestables, et, à l'occasion, des demoiselles СКАЧАТЬ