Les ailes brûlées. Lucien Biart
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Читать онлайн книгу Les ailes brûlées - Lucien Biart страница 6

Название: Les ailes brûlées

Автор: Lucien Biart

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066323325

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СКАЧАТЬ dénoués, les épaules couvertes d’une pelisse de cachemire brodée d’or qui s’obstinait à glisser, qu’il fallait sans cesse remettre en place. Peu à peu M. de Lansac sortit de sa réserve et risqua de loin en loin un compliment.

      –Oh, oh! disait alors la jolie femme avec une moue délicieuse, voilà, ce me semble, qui dépasse les justes bornes de l’amitié.

      En même temps, son regard semblait remercier, encourager le complimenteur; elle lui souriait, ses paupières s’abaissaient palpitantes. Elle se taisait, écoutait, rêvait.

      Les allures de Mme de Lesrel ne ressemblaient en rien aux manœuvres ordinaires des coquettes; elle séduisait sans provocation apparente, par le charme de sa beauté, par la vive sympathie qu’inspirait son caractère. Bien que le colonel ne péchât ni par excès d’audace ni par fatuité, il fut frappé, certain soir, des inflexions caressantes que prenait la voix de la jeune femme lorsqu’elle s’adressait à lui, et il se dit avec conviction:

      –Elle m’aime.

      Il n’en devint pas plus entreprenant, mais, à dater de cette heure, qui eût dû le rendre heureux, il souffrit.

      Il souffrit de voir Mme de Lesrel s’appuyer sur le bras de son mari, il souffrit de la voir distribuer à chacun des amis qui la visitaient des poignées de main, des sourires, une part de cette grâce qu’il eût voulu tout entière. Ildevint jaloux et, à plusieurs reprises, se montra maussade en face de la jolie femme, dont les grands yeux profonds le regardaient alors avec une candeur à le rendre fou.

      En dépit de cette jalousie, l’amour du colonel, comme il devait arriver étant donné son caractère loyal et droit, se maintenait dans les hauteurs les plus éthérées. Certes il souhaitait voir sa passion devenir contagieuse; mais il estimait trop la jeune femme pour admettre qu’elle pût jamais faillir. L’aimer, en être aimé, ses rêves n’allaient pas au delà.

      Tout à coup, à l’abandon familier de Mme de Lesrel avec lui, succéda une sorte de contrainte, d’embarras qui n’échappa pas au colonel. Elle se montra capricieuse, fébrile, et parut prendre à tâche de le contredire. Elle si bonne, d’une égalité d’humeur si parfaite, eut pour lui des railleries et des mots cruels. Il ne répliquait pas; mais, en le voyant sombre, attristé, la jeune femme pansait la blessure qu’elle venait de lui infliger par une caresse de son regard, et le remède était peut-être plus troublant encore que le mal.

      Lorsqu’elle devait dîner en ville, Mme de Lesrel, afin de ne perdre aucun des instants que lui consacraient ses amis, apparaissait souvent dès six heures en grande toilette. Un soir qu’admirablement parée elle semblait plus belle encore que de coutume, M. de Lansac demeura le dernier dans le salon. Il mordillait la pomme de sa badine et, l’œil ardent, il regardait la jolie femme marcher, tourner autour de lui, cambrer sa taille, rajuster une dentelle de sa jupe, une fleur de son corsage, un diamant dans ses cheveux. La discrète lumière filtrée par les abat-jour teintait de rose ses épaules satinées. L’air, doucement agité par ses mouvements félins, arrivait parfumé aux narines dilatées de M. de Lansac et l’enivrait. Avant de se draper dans un riche burnous, l’irrésistible charmeuse se posa devant l’officier.

      –Suis-je à votre goût? lui demanda-t-elle.

      M. de Lansac se leva brusquement.

      –Qu’avez-vous donc? dit la jeune femme en l’inondant des rayons de son regard azuré.

      Il fit un effort et dit d’une voix étranglée:

      –Je vous aime.

      –Je le sais, répliqua Mme de Lesrel, et votre amitié est un de mes bonheurs.

      –Je vous aime d’amour.

      Elle recula comme un oiseau effarouché.

      –Bon, une plaisanterie, n’est-ce pas? dit-elle d’un air inquiet.

      –Une plaisanterie! répéta douloureusement M. de Lansac. Je vous aime, madame, et depuis longtemps; vous le savez!

      –Vous vous trompez, monsieur, répondit-elle; je l’apprends à l’instant, parce que vous me le dites. Mais reprenez vos paroles, et je l’oublierai.

      Il répéta:

      –Je vous aime.

      –Quoi! vous aussi, dit la jeune femme, vous que… ? Adieu, monsieur de Lansac, votre indiscrétion me navre, car elle me prive d’un ami. Dans trois mois, dans six…

      –Vous me chassez? s’écria le colonel.

      –Non; je vous exile. Je ne veux pas entendre une seconde fois ce que vous venez de dire.

      La voix de Mme de Lesrel, devenue soudain sèche, brève, frappa M. de Lansac de stupeur. La jeune femme sortit sans se retourner, sans prendre garde au geste suppliant qu’il lui adressa. Il arpenta un instant le salon, fou de rage et de douleur, décidé à saisir la coquette entre ses bras et à l’étouffer, si elle reparaissait.

      Vers onze heures du soir, lorsque Louis pénétra dans la chambre de son maître, il le vit le front appuyé sur une console, le visage caché. Le premier mouvement du brave garçon fut de s’élancer vers son frère de lait; mais il avait ses heures de tact: il se retint et sortit sans bruit.

      –Tonnerre de femmes! s’écria-t-il aussitôt dehors et en homme qui le sait par expérience, avec elles, ça finit toujours comme ça!

      V

      M. de Lansac passa la nuit sur son balcon, las, inerte, ressassant malgré lui les mêmes idées. Il vit le gaz s’éteindre, le ciel blanchir, les travailleurs matineux passer sous ses fenêtres. Quelques-uns fredonnaient, et il s’étonna qu’il y eût au monde des hommes assez insouciants pour chanter. Il faisait grand jour lorsqu’il rentra dans sa chambre; le lendemain et le surlendemain il eut la fièvre; puis, l’épuisement amena le sommeil.

      A son réveil, ses idées, moins tumultueuses, lui permirent la réflexion; il aimait une coquette, une coquette dont le jeu savant l’avait séduit tout entier.

      Surprise probablement de trouver un rebelle à son joug, Mme de Lesrel avait voulu savoir si le fort contre lequel elle venait de se heurter était véritablement imprenable. Il ne l’était pas, et l’épreuve qui le démontrait le laissait démantelé, ouvert à tous les vents du désespoir.

      Il aimait sans être aimé! Et pourtant, en rassemblant ses souvenirs, M. de Lansac se prenait à douter. Un éclair de satisfaction brillait certainement dans les yeux de Mme de Lesrel lorsqu’il apparaissait: elle avait pour lui des préférences remarquées. Avait-elle reculé soudain devant une vérité qu’elle n’osait s’avouer? Pourquoi, au lieu de lui imposer doucement silence, de le laisser vivre près d’elle, comme tant d’autres aussi coupables que lui, l’avait-elle durement repoussé, chassé? Que signifiait cette conduite brutale?

      Une souffrance amère tortura l’âme de cet homme énergique, trop fier pour prendre un confident. Il ne se proposa pas d’oublier; la blessure était trop profonde pour qu’il pût espérer en guérir. Il venait de perdre une bataille; il se promit une revanche, une vengeance, et ce qu’il voulait, il le voulait bien.

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