L'Écuyère. Paul Bourget
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Название: L'Écuyère

Автор: Paul Bourget

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066081218

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СКАЧАТЬ Le désir de savoir à quoi s'en tenir, autant, pour le moins, que l'impression produite sur lui par la beauté de la jeune fille, le poussa donc à insister encore,—ruse bien simple, mais qui lui parut d'un effet infaillible: «Oui,» reprit-il, «on l'arrêtera... C'est un exemple nécessaire. Il y a trop longtemps que l'on se plaint des rôdeurs et des rôdeuses à mine sinistre qui encombrent ces allées, autrefois si sûres... Mais on n'avait pas encore entendu dire qu'en 1902 l'on risquât d'être dévalisé et assassiné en plein Bois de Boulogne, à dix heures du matin, comme si l'on était en 1825 sur les routes de Naples ou de Sicile. Oui, il faut que la plainte soit déposée aussitôt. Il le faut, pour nous tous... Vous êtes encore trop émue, madame, pour ne pas désirer rentrer au plus vite. Si vous m'y autorisez, j'irai chez le commissaire de police le plus proche, à votre lieu et place... en votre nom.»

      Hilda Campbell hésita une seconde. Elle comprit bien que son sauveur employait ce moyen détourné pour ne pas se séparer d'elle ainsi. Cette insistance, dont le but évident était contenu dans ces deux derniers mots: «Votre nom,» trahissait un intérêt commençant qui lui fit soudain chaud au cœur. Il eût été naturel qu'elle cédât aussitôt à cette impression. Tout au contraire, un irrésistible instinct de défense, le signe, chez la femme, le plus certain d'un début d'amour, la fit se dérober d'abord à l'inquisition déguisée du jeune homme et à son propre désir:

      —«Je ne sais pas encore ce que je ferai...» répondit-elle. «Je dois réfléchir, consulter... J'ai votre adresse,» continua-t-elle. «Si je me décide à déposer une plainte, vous serez averti... Adieu, monsieur.»

      Un nouveau remerciement lui vint aux lèvres, après ces phrases si sèches, si peu révélatrices de l'émotion qu'elle éprouvait déjà. Ce remerciement, elle ne le formula pas. Elle inclina sa tête en signe d'adieu, d'un mouvement où il y avait plus de raideur encore que de grâce. Et, pourtant, son cœur battait à se rompre sous son corsage, dont le col, rattaché par une épingle piquée en toute hâte, dénonçait encore, par son désordre, l'effroyable danger couru quelques minutes auparavant, et elle paraissait si ingrate envers celui qui l'en avait délivrée, au péril de sa propre vie,—comme un des chevaliers de ces romans de Scott, chers à sa mère: un Ivanhoë ou un Noir-Fainéant! Au bord de son chapeau, le débris de son voile mettait comme une frange. Les mèches de ses cheveux s'échappaient du chignon mal relevé. Sans doute, elle ne se souciait pas de provoquer, par son aspect seul, la curiosité des habitués du Bois, car, après avoir pris ce brusque congé, elle s'engagea, au galop de son cheval, dans une allée un peu détournée. Maligny regarda la fine silhouette disparaître au tournant de droite. C'était la direction de l'Hippodrome d'Auteuil. Le plan du Bois se dessina tout entier devant l'esprit de Jules. Par cette route, la jeune femme ne pouvait gagner que deux sorties: celle de la Muette ou de la Porte-Dauphine. Sans plus se préoccuper de la douleur, aiguë cependant, que lui infligeait la blessure de sa main, Maligny mit lui-même sa bête au grand galop.

      Allait-il apercevoir à nouveau la robe alezane du cheval de la mystérieuse enfant? Il était bien décidé, dût-elle penser qu'il abusait de la situation, à la suivre cette fois, s'il la rencontrait... Elle devait avoir eu, de son côté, un pressentiment de cette poursuite, et son désir passionné d'éviter Maligny alternait sans doute, chez elle, avec un désir, non moins passionné, de le revoir. Il la reconnut, en effet, à la hauteur du lac supérieur, qui avait mis son cheval au pas, et elle regardait sans cesse derrière elle. A son tour, elle reconnut le jeune homme. Elle rougit si profondément, qu'à cette distance il put voir la pourpre du sang incendier ce délicat visage, dont il ne distinguait pas les traits. Cependant, elle ne changea pas aussitôt l'allure paisible qu'elle venait d'adopter. Visiblement, elle ne voulait pas sembler craindre l'approche du poursuivant, qui l'eut bientôt rejointe. Il la salua en la croisant et, l'ayant dépassée, se trouva singulièrement embarrassé. S'il revenait en arrière, il avait par trop l'air de l'épier. S'il poussait de l'avant, il la perdait tout à fait. Un seul procédé s'indiquait: obliquer vers la Muette, toute voisine, surveiller la porte cinq minutes—c'était le temps qu'il fallait à la jeune femme pour y arriver au pas.—Ces cinq minutes écoulées, si elle n'avait pas paru, il gagnerait la Porte-Dauphine, en coupant au plus court de toute la vitesse de sa bête, et il attendrait là, de nouveau.

      —«Mais qui peut-elle être?...» se disait-il en exécutant la première partie de ce programme, puis la seconde. «Voilà ce que c'est que de jouer trop cher et d'être emmené loin de Paris tout l'hiver, par une maman inquiète!...» Jules, en effet, avait dû, au mois d'octobre précédent, avouer de très grosses pertes au baccara. Sa mère avait mis, pour condition au règlement de cette dette, que son fils passerait l'hiver avec elle à La Capite, une grande terre qu'ils possédaient en Provence, à mi-chemin entre Hyères et Saint-Tropez. Mme de Maligny était veuve. Elle adorait son enfant unique, ce garçon généreux intelligent, charmant, qu'elle avait follement gâté,—on saura, tout à l'heure, pourquoi,—mais les légèretés de ce caractère l'inquiétaient, maintenant, jusqu'à la torture. Le sang des Maligny, de ces Parisiens à moitié Slaves, lui était connu par une triste expérience: son défunt mari l'avait à moitié ruinée. Elle avait donc imaginé ce moyen d'enlever Jules plusieurs mois aux tentations de Paris. Par la même occasion, elle surveillerait d'un peu plus près une exploitation d'où dépendait le meilleur de leurs revenus. Ils étaient rentrés rue de Monsieur, dans le vieil hôtel familial, depuis trois semaines, et le jeune homme, qui s'était parfaitement amusé dans cet exil rustique,—il s'amusait toujours, et de tout, et partout,—commençait, malgré de solennelles promesses, à respirer avec gourmandise les effluves retrouvés du boulevard et des Champs-Elysées. «Je ne connais plus,» continuait-il, «les nouvelles recrues du bataillon de Cythère, comme disent les journaux que lisent ces dames!... C'en doit être une...» Est-il besoin de commenter cette formule, qui prouvait dans quelle variété le jeune homme classait définitivement la gracieuse enfant à laquelle il venait de rendre un si courageux service et si spontané? «Mais, alors, pourquoi ne m'a-t-elle pas donné son nom?... Pourquoi?... Son monsieur est peut-être jaloux... Peut-être ne veut-elle pas qu'il sache qu'elle est sortie ce matin, et seule... Dieu sait avec qui elle avait rendez-vous, quand elle a été attaquée par le chemineau!... En tous cas, le monsieur, si monsieur il y a, fait rudement les choses. Il n'a pas lésiné sur le cheval. Quelle admirable bête, et comme cette petite s'y tenait!» Hilda était déjà cette petite! «C'est une Anglaise ou une Américaine. Il n'y a que ces femmes-là pour avoir cette souplesse et cette énergie. C'est égal, pour un joli début d'histoire, c'est un joli début... Et maman qui m'a ramené à Paris avec l'idée de me marier! Si elle savait!... Il faudra expliquer les coupures de ma main. Bah! je trouverai. J'y penserai plus tard... Pour le moment, la grande affaire, c'est de ne pas manquer ma Dulcinée, puisque je joue les Don Quichotte, maintenant... Pourquoi diable a-t-elle paru si contrariée à l'idée de déposer une plainte?... Elle veut consulter? Mais qui? Elle aura eu honte de mentionner un protecteur. C'est encore très anglo-saxon, cela... Bon! je la vois... Oui, c'est elle... Cette fois, je saurai qui elle est, ou je ne m'appelle plus Maligny...»

      L'innocente et farouche écuyère arrivait, en effet, juste à ce moment où Jules portait sur elle, dans sa pensée, un jugement qui l'eût consternée, si elle avait pu en connaître les termes et les comprendre. Elle approchait de la Porte-Dauphine, en longeant le trottoir de droite, au lieu de suivre l'allée cavalière, à gauche,—toujours dans le même désir d'échapper aux interrogations des habitués des Poteaux, qui la connaissaient. Maligny, lui, se tenait dans cette allée. Il passait, entre eux deux, tant de voitures et tant d'automobiles, dans cette avenue, la plus fréquentée de Paris à onze heures du matin, au printemps, que miss Campbell ne vit pas son sauveur, déjà transformé, de par les tristes lois de la brutalité masculine, en un suborneur. Elle franchit la grille au trot allongé de son cheval, contourna la petite gare, toujours à droite, et longea le boulevard Flandrin, qui longe lui-même la voie du chemin de fer. Maligny, qui venait par derrière, put de nouveau constater son talent équestre, dans une bataille contre son cheval, qui s'effara, cette fois, au sifflement d'une locomotive. Le Rhin, tout à l'heure si paisible, se défendit, pendant deux minutes, avec la sauvagerie СКАЧАТЬ