L'Écuyère. Paul Bourget
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Название: L'Écuyère

Автор: Paul Bourget

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066081218

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СКАЧАТЬ sa main. Il faisait jouer ses doigts. «Je me suis coupé à la lame du couteau de cet apache, mais pas gravement. Ce ne sera rien... Les plaies ont saigné beaucoup. C'est mieux ainsi...» Il avait, en parlant, tiré son mouchoir de sa poche. Il commença à l'enrouler sur sa main malade. En quelques secondes, le linge fut rouge de sang. Tandis qu'il exécutait ce petit pansement, avec une mâle insouciance qui s'accordait bien à sa bravoure de tout à l'heure, la jeune Anglaise, revenue entièrement à elle, le regardait avec des yeux où la reconnaissance se mêlait déjà à une admiration. Il venait de lui sauver la vie, dans une rencontre presque fantastique, en l'an de grâce 1902, aux portes de Paris,—que dis-je? dans Paris même!—C'était bien de quoi éprouver, devant lui, ce petit sentiment d'enthousiasme, si naturel à une enfant de son âge! Mais elle l'eût rencontré, ce personnage, dans n'importe quelle circonstance, qu'elle l'eût, certes, remarqué, quitte à esquisser, comme si souvent, un hochement de tête et à se répéter un des propos familiers de sa mère:

      —«On ne doit pas aimer son mari avec ses yeux, mais avec son cœur...»

      Le sauveur d'Hilda était un jeune homme d'environ vingt-cinq ans, très bien pris dans sa moyenne taille, et dont la sveltesse vigoureuse révélait une libre vie d'épanouissement, sans aucune fatigue d'un travail quelconque. C'était celle que menaient, dans ces années,—qui ressemblaient à celles de l'ancien régime, on s'en rend compte à distance, par la douceur de vivre,—les oisifs comblés des hautes classes françaises. Son costume de cavalier était taillé d'après la mode la plus récente. Il constituait, à lui seul, un signalement social, et, plus encore, une frappante physionomie, où les plus farouches partisans des idées égalitaires eussent été obligés de reconnaître l'évidence de ce mystérieux et indiscutable prestige: la Race. Il y avait, dans la coupe des joues du courageux garçon, dans le pli de ses lèvres, dans la ligne un peu aiguë de son nez, une élégance qui rappelait celle de certains portraits du musée de Versailles: quelque chose de très viril et de très délicat, de très naturel et d'extrêmement raffiné. Des yeux noirs, d'une douceur calme et spirituelle, des lèvres aisément souriantes et d'un joli dessin sous une moustache brune, encore légère, achevaient d'en faire un type accompli de jeune patricien. Disons tout de suite qu'il portait, en effet, un des bons noms du Blaisois et qui figure, avec honneur, dans les mémoires sur la vie du maréchal de Vieilleville, écrits par Carloix. Il s'appelait Jules de Maligny. Un Maligny a épousé, à la fin du XVIIIe siècle, à Varsovie, où l'avaient entraîné les hasards de l'émigration, une comtesse Marie Gorka, de l'antique maison de Lodzia. Cette particularité d'origine explique comment Jules possédait, mélangée à la vive élégance d'un jeune seigneur de notre tradition nationale, une grâce caressante et souple qui lui venait de cet atavisme polonais. Il y avait du Slave dans ce Français, si Français pourtant. De là dérivait ce je ne sais quoi d'un peu alangui répandu sur toute sa personne, qui déconcertait et qui charmait tout à la fois. Ces quelques détails, que Hilda ne devait connaître que plus tard, étaient nécessaires à donner ici, au risque de diminuer un certain intérêt de surprise. Ils feront mieux comprendre quelle impression dut ressentir, en étudiant son défenseur de plus près, la pauvre petite Anglaise, au cœur inéveillé, à l'imagination sans analyse, qui le regardait nouer gaiement son mouchoir sur une blessure reçue pour elle.

      —«Voilà!...», dit-il avec le rire d'enfant qu'il savait avoir et qui prenait plus de grâce encore sur sa bouche hardie, après qu'il venait de montrer une si intrépide audace. Il secoua sa main bandée et il ajouta: «Dans huit jours, il n'y paraîtra plus...» Puis, regardant autour de lui: «Il faut que je retrouve mon cheval, si je veux pouvoir vous raccompagner... Bon. Il s'est arrêté à brouter l'herbe au bout de l'allée. Il n'a pas volé son nom: Galopin. Le temps de le rattraper, pour qu'il ne lui passe pas par la tête l'idée de vagabonder à sa fantaisie, je reviens vous mettre en selle... N'ayez pas peur, madame, je ne vous perdrai pas de vue...»

      —«Mais, je n'ai pas peur, monsieur...», dit miss Campbell avec un peu de rougeur à ses joues. Les premières minutes de saisissement étaient passées et la fierté, qui faisait le trait dominant de son caractère, reparaissait, en même temps qu'une timidité, plus farouche encore que d'habitude. Elle se sentait agitée d'une émotion si étrange, si inusitée, qu'elle lui était physiquement douloureuse, et elle éprouvait un besoin presque sauvage: fuir la présence de celui qui lui donnait cette émotion. Elle détacha le Rhin, qui se laissa faire, non sans avoir allongé ses lèvres, dans un dernier mouvement de convoitise, vers une belle pousse toute nouvelle, qu'il se réservait pour un suprême régal. Elle se mit à rouler tellement quellement la courroie, cause indirecte de son étonnante aventure. Elle assura davantage les sangles demeurées intactes, en avançant de deux trous les ardillons. Ce travail achevé, elle approcha son cheval d'un tronc coupé, s'y appuya du pied, et sauta en selle lestement, non sans s'être assurée que le jeune homme ne la regardait pas. Elle le vit qui s'approchait prudemment de sa bête à lui; mais, à l'instant où il étendait la main pour saisir la bride, le cob fit une dérobade, trotta environ vingt-cinq mètres et se remit à brouter. Le jeune homme s'avança de nouveau, de ce même pas tranquille qui devait rassurer le cheval. Il n'était plus qu'à deux pas, et il allait lever son bras. Une nouvelle fuite du rusé animal mit vingt-cinq autres mètres entre eux. Maligny se retourna pour tenir sa promesse et se rendre compte qu'il restait à portée de la jeune fille. Il continuait de la prendre pour une jeune femme... Elle n'était plus à la place où il l'avait laissée... Il se demandait, non sans une certaine inquiétude, ce qu'elle était devenue, quand il entendit une voix pousser un petit cri d'appel, bien différent de celui dont la détresse l'avait fait accourir au galop. C'était Hilda qui, ayant coupé à travers bois, débouchait, montée sur le Rhin. Elle passa juste à côté du cheval échappé, et, avec son adresse d'écuyère professionnelle, accrocha, du manche recourbé de sa cravache, les rênes pendantes. L'animal, pris à l'improviste, essaya de se débattre une seconde! Tout de suite, un à-coup du mors, bien donné, lui fit sentir que sa résistance était inutile, et il suivit docilement la jeune fille qui le ramena vers son maître, en disant:

      —«Il est tout penaud de s'être laissé prendre... Quand on est sur un autre cheval, ils ne se défient pas et on les rattrape toujours. Vous voyez qu'il ne se défend plus...» Comme Jules, à cause de sa main malade, avait un peu de mal à remonter: «Je vous le tiens», insista-t-elle, du ton dont elle eût parlé à une des élèves en équitation que son métier lui faisait, parfois, conduire au Bois. Et quand il eut, tant bien que mal, chaussé ses étriers et ajusté ses rênes, elle ajouta: «Il ne me reste, monsieur, qu'à vous remercier du fond du cœur... Sans vous, il est très probable que cet assassin m'aurait tuée...»

      —«Et sans vous, madame, répondit le jeune homme, «il est très certain que je devrais rentrer à pied et peut-être aurais-je perdu ce mauvais drôle de Galopin... Mais,» continua-t-il avec la même grâce insinuante, «vous me permettrez de vous donner mon adresse, pour que vous disposiez de moi à votre gré comme témoin, si l'on arrête ce brigand, car on l'arrêtera, je l'espère... J'ai son signalement si net, ici.» Il montrait son front d'une main. De l'autre il avait tiré de la poche de son gilet un petit étui en argent où Hilda put voir, gravée, une couronne. Elle prit la carte mince qui portait simplement: Le comte Jules de Maligny, et au-dessous: 38, rue de Monsieur. Le jeune homme n'avait pas fait cette offre de témoignage ni offert sa carte au hasard. Il avait vu là une occasion trop tentante d'apprendre lui-même le nom de la jolie cavalière, sans paraître trop curieux, et il saisissait ce prétexte. Il venait, durant ces quelques instants, de la détailler tout entière du regard, avec la perspicacité d'un Parisien de vingt-cinq ans qui a trop vécu déjà dans les mauvais milieux pour se tromper sur la condition sociale d'une femme. Il n'avait pu classer celle-ci dans aucune catégorie distincte. Montant à cheval seule, au Bois, le matin, elle n'était pas une jeune fille... Etait-elle une jeune femme un peu excentrique, qui s'amusait à se promener librement, sans écuyer? Sa prononciation la révélait étrangère. Mais l'extrême sobriété de sa toilette et son air de réserve ne s'accordaient pas avec le rien d'effronterie que suppose un trop hardi dédain des convenances... Appartenait-elle au demi-monde? Ces mêmes façons ne rendaient pas СКАЧАТЬ