Cités et ruines américaines: Mitla, Palenqué, Izamal, Chichen-Itza, Uxmal. Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
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Читать онлайн книгу Cités et ruines américaines: Mitla, Palenqué, Izamal, Chichen-Itza, Uxmal - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc страница 18

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      Comme notre voyage n'avait d'autre but que de bien voir, et qu'en diligence on ne voit rien; que de plus, nous étions légers d'argent et qu'il eût fallu près de trois mois pour faire venir d'Europe les fonds qui nous manquaient, nous suivîmes, le fusil sur l'épaule, les chariots qui transportaient nos dix-huit cents kilos de bagage. La première étape est celle de la Tejeria. Le chemin de fer s'en charge; au delà, vous trouvez la plaine coupée de taillis et d'arbustes épineux.

      Nous étions à la fin de novembre, et les prairies avaient une toison verte encore; les bois étaient feuillus; aussi, la campagne avait cet aspect délicieux et jeune qu'elle ne saurait garder longtemps dans ce pays de pluies périodiques, où pendant neuf mois la terre est privée d'eau. La chaleur était forte, la marche pénible, et parfois nous nous couchions dans les hautes herbes pour attendre que les mules nous rejoignissent. Nous étions donc mollement étendus, la paupière à demie fermée, dans le doux farniente d'un homme qui repose, quand le galop d'un cheval se fit entendre: ne sachant comment expliquer une course semblable, nous crûmes à la poursuite de quelque malheureux par des coureurs de route, et nous nous levâmes aussitôt pour le secourir. Le cavalier était à dix pas de nous; il était seul, nul ne le poursuivait; à l'aspect de trois hommes armés, surgissant des hautes herbes à son approche, d'un effort désespéré il s'arrêta court, la figure pleine d'épouvante, fit volte-face et disparut, nous laissant ébahis; persuadé qu'il était tombé sur trois audacieux brigands, auxquels il n'avait échappé que par miracle; voilà comment les meilleures intentions sont dénaturées. Ainsi donc, à notre premier pas sur la terre mexicaine, nous passâmes pour des voleurs! Quelle éclatante revanche ces messieurs prirent par la suite, et que de fois il nous fallut retourner nos poches sur la poussière des grands chemins!

      Le convoi n'atteignit Zopilote qu'à cinq heures du soir: c'était un simple rancho, avec parc pour les mules et une tienda. Nous passâmes la nuit sous une veranda de chaume, exposés à la voracité des moustiques qui sont, en Terre Chaude, les plus terribles tourmenteurs. À minuit, les chariots se mirent en marche. L'étape est longue de Zopilote à Paso de Ovegas; l'obscurité rendait la marche difficile dans des chemins démantelés, coupés de profondes ornières; mais le matin dédommage et les levers de soleil sont splendides: comme d'habitude, nous prîmes les devants; les bois devenaient plus touffus, les arbres plus élevés et des nuées de perruches, aux cris perçants, s'élevaient de toutes parts; nous courions comme des enfants après elles, sans pouvoir les atteindre; souvent nous quittions la route, nous enfonçant dans les bois à la poursuite d'une poule de Montézuma, au risque d'en sortir dévorés par les pinolillos ou couverts de garrapatas; mais la chasse était maigre et nous n'avions que des perroquets verts à tête jaune, des toucans au grand bec et de ces jolies tourterelles, grosses comme des moineaux et qui fourmillent sur les routes.

      À midi, nous étions à San Juan, où la Terre Chaude déploie toutes ses splendeurs et, vers les quatre heures, nous arrivâmes à Paso de Ovegas, moulus de fatigue, couverts de poussière et le corps enflé de piqûres d'insectes. Aussi, nous hâtâmes-nous d'aller prendre un bain dans la rivière qui traverse le village. Un compatriote nous offrit l'hospitalité, c'est-à-dire une planche et un établi pour nous étendre. C'était un menuisier, à qui la fortune ne semblait pas sourire, et qui depuis plusieurs années traînait dans cette pauvre bourgade une vie de misère. On rencontre, sur tous les chemins du globe, de ces pauvres écloppés de la civilisation, que des espérances trompeuses amènent dans les pays lointains et qui ne forment qu'un vœu, souvent stérile, celui de revoir la France.

      Celui-ci s'informait avec une fiévreuse curiosité des nouvelles de son pays, des grandes victoires que nous avions remportées en Orient; il semblait pour lui que tout était nouveau, et des événements oubliés en Europe avaient à ses yeux la fraîcheur d'une chose récente. Cependant il fallait nous reposer, mais d'affreuses démangeaisons rendaient la chose impossible; l'un de nous éprouvait aux pieds quelques picotements inquiétants.—Auriez-vous des niguas, nous dit notre hôte.

      Des niguas! Nous ne savions ce que cela voulait dire, mais nous l'apprîmes aussitôt; nous en avions, hélas! La nigua est un des plus terribles insectes parmi les parasites de Terre Chaude: c'est un petit être imperceptible, qui se loge sous les ongles des doigts de pied, dans le pouce surtout; il s'y creuse un nid, dépose ses œufs sous la forme d'une boule blanche; puis une fois éclos, ceux-ci fondent à l'entour des colonies semblables; de telle sorte, qu'un beau jour, quand vous y pensez le moins, il vous tombe une phalange.

      Cet insecte est d'autant plus dangereux qu'il ne trahit sa présence que par un picotement insignifiant, auquel l'étranger ne prend pas garde; le travail ténébreux s'accomplit sans douleur, et les Indiens eux-mêmes en sont souvent victimes. Pour éviter le danger, il faut, au premier symptôme, ouvrir le pouce à l'endroit du picotement; l'on découvre alors une petite boule de la grosseur d'un pois, qu'il faut enlever de la plaie, puis remplir l'espace de cendres de tabac: c'est du moins la méthode suivie sur place. Je fis mieux, je remplis les cavités, car j'en avais plusieurs au pied droit, d'ammoniaque, afin d'anéantir toute la génération. La térébenthine les chasse également; il est bon, dans ce cas, d'en imbiber la chaussure à l'intérieur.

      De Paso de Ovegas on passe à la Rinconada pour tomber à Puente Nacional. Puente Nacional se trouve au bas d'une gorge pittoresque, et de l'autre côté d'un torrent, que traverse un pont magnifique reconstruit par Santa-Anna. Point fortifié de la route de Vera-Cruz à Mexico, c'est un passage des plus faciles à défendre. Mille hommes déterminés arrêteraient une armée; mais le Mexicain, qui se bat bien à l'abri des murailles, ne sait pas résister en rase campagne; l'ardeur lui manque et les chefs ne payent pas d'exemple. Comment les Américains forcèrent-ils Puente Nacional défendu par une armée aussi nombreuse que la leur? On ne peut le comprendre. Outre la difficulté des lieux, le défilé se trouve balayé par des batteries d'un petit fort placé à gauche sur un rocher à pic, qui, de tous côtés, domine la route. Une autre batterie, sur la droite, appuyait les feux de la première; le site est d'un sauvage grandiose. Santa-Anna s'y était fait bâtir une magnifique habitation, aujourd'hui abandonnée; sous son administration, le village était riche, et quoi qu'on ait à lui reprocher sous le rapport de la tyrannie de son gouvernement et de l'impudeur de ses concussions, du moins les routes étaient sûres, le commerce florissant; chaque village répondait des vols ou des attentats commis sur son territoire; de telle sorte que les coureurs de routes avaient disparu, et que de Vera-Cruz à Mexico on pouvait voyager sans crainte. Il n'en est plus ainsi.

      Le village porte l'empreinte de la misère; la guerre civile qui désole la république a fait de ce lieu naturellement fortifié un camp de guerillas: aussi, les Indiens s'enfuient-ils chaque jour, et vous ne rencontrez aujourd'hui que maisons vides et cabanes désertes. Voilà Plan del rio, situé comme Puente Nacional, moins gai, moins riant, plus sauvage encore: la route alors tourne brusquement, traverse des bois épais et monte sans cesse avant d'aboutir à Cerro Gordo, premier village de la Terre Tempérée, autre témoin de la victoire des Américains en 47, et de la défaite de Santa-Anna; tout auprès se trouve la barranca de Cerro Gordo.

      Les barrancas sont des ravins dus à l'action des eaux, et qui, dans certaines parties du Mexique, prennent des proportions gigantesques; celle de Cerro Gordo, sans être une des plus considérables, est néanmoins fort importante.

      En obliquant à droite de la route, et pénétrant dans le monte, le voyageur étonné voit tout à coup le plateau se dérouler sous ses pas pour faire place à un énorme ravin presque à pic, dont il distingue à peine le fond, et dont le bord opposé se trouve à plus d'un kilomètre. Le bruit d'un torrent monte jusqu'à lui, mais il l'aperçoit à peine dans la profondeur. S'il veut descendre, il lui faut s'ouvrir un passage au milieu des arbustes et des broussailles épineuses; le sol s'éboule et des quartiers de roc, une fois ébranlés, bondissent, entraînant avec eux toute une avalanche de pierres. Il y a des barrancas de plusieurs mille pieds СКАЧАТЬ