Scènes de la vie de jeunesse: Nouvelles. Henri Murger
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Scènes de la vie de jeunesse: Nouvelles - Henri Murger страница 5

Название: Scènes de la vie de jeunesse: Nouvelles

Автор: Henri Murger

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066085803

isbn:

СКАЧАТЬ amère, le cœur changé en un cercueil qui renfermait les cendres de sa jeunesse, et l'âme encore tourmentée par d'insatiables désirs, il quitta ce monde où, quatre années auparavant, il était entré l'œil souriant et le front levé, en lui jetant la malédiction désolée des fils d'Obermann et de René; et sinistre et lamentable, il s'en retourna grossir le nombre de ceux qui épanchent sur toutes choses leurs doutes amers ou leurs audacieuses négations.

      La brutale disparition d'Ulric fut accueillie dans la société par une banale accusation de misanthropie; et au bout de huit jours, on n'en parlait plus.

      De toutes ses anciennes connaissances d'autrefois, Tristan fut le seul avec qui Ulric conserva quelques relations. Un jour il vint le voir, et lui tint des discours qui ne laissèrent point de doute à Tristan sur les idées de suicide qui germaient déjà dans son esprit.

      —À vingt-quatre ans, c'est bien tôt, répondit Tristan; en tout cas vous me permettrez de ne pas vous accompagner.

      —Ah! c'est donc vrai ce qu'on m'avait dit sur vous? Vous êtes atteint du mal du siècle, vous aurez trop lu Faust et les esprits chagrins qui sont venus à sa suite. C'est plutôt l'influence de ces gens-là que tout le reste qui vous amène au bord de ce moyen extrême. Vous vous croyez mort, vous n'êtes qu'engourdi, mon cher! Quand on a trop couru on est fatigué, cela est naturel. Vous êtes dans une époque de repos; mais, demain ou après, vous jetterez par la fenêtre votre résolution funeste et vos pistolets anglais, ou vous en ferez cadeau à un pauvre diable de poète incompris, qui n'aura pour se guérir des misères de ce monde que le moyen extrême de s'en aller dans l'autre.

      J'ai été comme vous; plus d'une fois j'ai mis la clef dans la serrure de cette porte qui donne sur l'inconnu; mais je suis revenu sur mes pas, et j'espère que vous ferez comme moi. Vous me répondrez que vous n'avez plus ni cœur ni âme, et qu'il vous est impossible de croire à rien. D'abord, on a toujours un cœur; et pourvu qu'il accomplisse sa fonction de balancier, on n'a pas besoin de lui en demander davantage. Quant à ce qui est de l'âme, c'est un mot pour l'explication duquel on a écrit dans toutes les langues un million de volumes, ce qui fait qu'on est moins fixé que jamais sur son existence et sa signification. L'âme est une rime à flamme, voilà ce qu'il y a de plus évident jusqu'ici.

      Pour ce qui touche les croyances, il en est de tellement naturelles qu'on ne peut jamais les perdre; on ne peut nier ce qu'on voit, ce qu'on touche et ce qu'on entend. À défaut de sentiments, on a toujours des sensations; et c'est n'être point mort que de posséder de bons yeux pour voir le soleil, des oreilles pour entendre la musique, et des mains pour les passer amoureusement dans la chevelure parfumée d'une femme, qui, à défaut de ces vertus idéales que réclament les jeunes gens de l'école romantique allemande, a au moins les qualités positives et plastiques de sa beauté. Vous avez fini votre temps de poésie et perdu les ailes qui vous emportaient dans les olympes de l'imagination; mais il vous reste des pieds pour marcher encore un bon bout de temps dans une prose substantielle et nourrissante; et ce qui vous reste à faire est le meilleur du chemin.

      Mais en voyant que ces railleries, qui lui étaient familières, à lui poète du matérialisme et apôtre du scepticisme, semblaient provoquer Ulric au lieu de le calmer, Tristan quitta subitement le ton qu'il avait pris d'abord, et le sermonna avec une éloquence onctueuse, persuasive et presque paternelle, qui eut, du moins un instant, pour résultat de le faire renoncer à son dessein de suicide.

      Cependant, à compter de ce jour, Ulric ne revint plus voir Tristan, qui, malgré tous les soins qu'il prit pour le découvrir, fut longtemps sans savoir ce qu'il était devenu.

      Un jour Tristan faisait, en compagnie de quelques amis, une partie de cheval dans une campagne des environs de Paris. Ce fut là que le hasard lui fit rencontrer Ulric, après six mois de disparition. Ulric n'était pas seul; il donnait le bras à une jeune fille de dix-huit à vingt ans, ayant le costume des ouvrières. Ulric aussi, Ulric, qui jadis avait donné dans le monde l'initiative de l'élégance; Ulric, qui avait été pendant un temps le thermomètre des variations de la mode et dont les innovations, si audacieuses qu'elles fussent, étaient toujours acceptées; qui, s'il lui avait pris un jour l'idée de mettre des gants rouges, en aurait fait porter à tout le Jockey Club, Ulric était vêtu d'habits coupés sur les modèles trouvés sans doute dans les Herculanums de mauvais goût. Il était méconnaissable. Cependant Tristan le reconnut au premier regard et allait s'approcher de lui pour lui parler, quand Ulric lui fit signe de ne pas l'aborder.

      —Quel est ce mystère? murmura Tristan en s'éloignant.

      En voici l'explication:

      Dans les naïfs récits des romanciers et des poètes du moyen âge, on rencontre beaucoup d'aventures de princes et de chevaliers mélancoliques qui, fuyant les cours et les châteaux, se mettent un jour à courir le pays, cachant leur naissance et leur fortune, et, déguisés en pauvres trouvères, s'en vont, la guitare en main, chanter l'amour, et, parmi toutes les femmes, en cherchent une qui les aime pour eux-mêmes. Ils donnent un soupir pour un sourire, et s'arrêtent aussi volontiers sous l'humble fenêtre des vassales que sous le balcon armorié des châtelaines.

      Enfant de ce siècle, Ulric de Rouvres, qui comptait peut-être des aïeux parmi ces héros, demi-poètes, demi-paladins, dont sont peuplées les vieilles légendes, semblait vouloir continuer la tradition de ces temps barbares au milieu des mœurs civilisées de notre époque.

      Voici ce qu'Ulric avait fait pour rompre complètement avec un monde où pendant quatre années les délicatesses trop exagérées de sa nature avaient été constamment froissées.

      Après avoir réalisé toute sa fortune en rentes sur l'État, il en déposa l'inscription entre les mains d'un notaire qui fut chargé d'utiliser les intérêts comme il l'entendrait. Son mobilier, qui était le dernier mot du luxe et de l'élégance modernes, ses équipages et ses chevaux, dont quelques-uns étaient cités dans l'aristocratie hippique, furent vendus aux enchères, et les sommes que produisirent ces ventes diverses déposées chez le notaire qui avait la gestion de sa fortune. Ulric garda deux cents francs seulement.

      Huit jours après, les personnes qui vinrent le demander à son logement de la Chaussée d'Antin apprirent qu'il était parti sans laisser d'adresse.

      Sous le nom de Marc Gilbert, Ulric avait été se loger dans une des plus sombres rues du quartier Saint-Marceau. La maison où il habitait était une espèce de caserne populaire où du matin au soir retentissait le bruit de trois cents métiers.

      Habitué au confortable recherché au milieu duquel il avait toujours vécu, Ulric passa sans transition de l'extrême opulence au dénuement extrême. Sa chambre était un de ces taudis humides et obscurs dans lesquels le soleil n'ose pas aventurer un rayon, comme s'il craignait de rester prisonnier dans ces cachots aériens. Le mobilier qui garnissait cette chambre était celui du plus pauvre artisan.

      Ce fut là qu'Ulric vint se réfugier, ce fut là qu'il essaya de se retremper dans une autre existence. En voyant ses voisins, les ouvriers, partir le matin pour l'atelier la chanson aux lèvres, en les voyant rentrer le soir ployés en deux par la fatigue du labeur, mais ayant sur le visage encore trempé de sueur ce reflet de contentement pacifique qu'imprime l'accomplissement d'un devoir, Ulric s'était dit:

      —Ceci est le vrai peuple, le peuple honnête, qui travaille et pétrit de sa main laborieuse le pain qu'il mange le soir. C'est là, ou jamais, que je trouverai l'homme avec ses bons instincts. C'est là, ou jamais, que je pourrai guérir cette invincible tristesse qui m'a suivi dans cette mansarde, où j'ai retrouvé le spectre du dégoût assis au pied de mon lit.

      Son plan était tout tracé, et il le mit sur-le-champ à exécution. Huit jours après, СКАЧАТЬ