Название: Clotilde Martory
Автор: Hector Malot
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066089115
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—Cela est inepte, vas-tu dire, grossier et stupide.
—Je ne m'en défends pas, mais que veux-tu, je suis ainsi.
—Qu'es-tu alors? une exception, un monstre?
—J'espère que non.
—Si la guerre ne te suffit pas, si la science ne t'occupe pas, que te faut-il?
—Peu de chose.
—Mais encore?
La réponse à cet interrogatoire serait difficile à risquer en tête-à-tête, et me causerait un certain embarras, peut-être même me ferait-elle rougir, mais la plume en main est comme le sabre, elle donne du courage aux timides.
—Je suis... je suis un animal sentimental.
Voilà le grand mot lâché, à lui seul il explique pourquoi j'ai été si heureux de quitter l'Afrique et de revenir en France.
De là, il ne faut pas conclure que je vais me marier et que j'ai déjà fait choix d'une femme, dont le portrait va suivre.
Ce serait aller beaucoup trop vite et beaucoup trop loin. Jusqu'à présent, je n'ai pensé ni au mariage ni à la paternité, ni à la famille, et ce n'est ni d'un enfant, ni d'un intérieur que j'ai besoin pour me sentir vivre.
Le mariage, je n'en ai jamais eu souci; il en est de cette fatalité comme de la mort, on y pense pour les autres et non pour soi; les autres doivent mourir, les autres doivent se marier, nous, jamais.
Les enfants n'ont été jusqu'à ce jour, pour moi, que de jolies petites bêtes roses et blondes, surtout les petites filles, qui sont vraiment charmantes avec une robe blanche et une ceinture écossaise: ça remplace supérieurement les kakatoès et les perruches.
Quant à la famille, je ne l'accepterais que sans belle-mère, sans beau-père, sans beau-frère ou belle-soeur, sans cousin ni cousine, et alors ces exclusions la réduisent si bien, qu'il n'en reste rien.
Non, ce que je veux est beaucoup plus simple, ou tout au moins beaucoup plus primitif,—je veux aimer, et, si cela est possible, je veux être aimé.
Je t'entends dire que pour cela je n'avais pas besoin de quitter l'Afrique et que l'amour est de tous les pays, mais par hasard il se trouve que cette vérité, peut-être générale, ne m'est pas applicable puisque je suis un animal sentimental. Or, pour les animaux de cette espèce, l'amour n'est point une simple sensation d'épiderme, c'est au contraire la grande affaire de leur vie, quelque chose comme la métamorphose que subissent certains insectes pour arriver à leur complet développement.
J'ai passé six années en Algérie, et la femme qui pouvait m'inspirer un amour de ce genre, je ne l'ai point rencontrée.
Sans doute, si je n'avais voulu demander à une maîtresse que de la beauté, j'aurais pu, tout aussi bien que tant d'autres, trouver ce que je voulais. Mais, après? Ces liaisons, qui n'ont pour but qu'un plaisir de quelques instants, ne ressemblent en rien à l'amour que je désire.
Maintenant que me voici en France, serai-je plus heureux? Je l'espère et, à vrai dire même, je le crois, car je ne me suis point fait un idéal de femme impossible à réaliser. Brune ou blonde, grande ou petite, peu m'importe, pourvu qu'elle me fasse battre le coeur.
Si ridicule que cela puisse paraître, c'est là en effet ce que je veux. Je conviens volontiers qu'un monsieur qui, en l'an de grâce 1851, dans un temps prosaïque comme le nôtre, demande à ressentir «les orages du coeur» est un personnage qui prête à la plaisanterie.
Mais de cela je n'ai point souci. D'ailleurs, parmi ceux qui seraient les premiers à rire de moi si je faisais une confession publique, combien en trouverait-on qui ne se seraient jamais laissé entraîner par les joies ou par les douleurs de la passion! Dieu merci, il y a encore des gens en ce monde qui pensent que le coeur est autre chose qu'un organe conoïde creux et musculaire.
Je suis de ceux-là, et je veux que ce coeur qui me bat sous le sein gauche, ne me serve pas exclusivement à pousser le sang rouge dans mes artères et à recevoir le sang noir que lui rapportent mes veines.
Mes désirs se réaliseront-ils? Je n'en sais rien.
Mais il suffit que cela soit maintenant possible, pour que déjà je me sente vivre.
Ce qui arrivera, nous le verrons. Peut-être rien. Peut-être quelque chose au contraire. Et j'ai comme un pressentiment que cela ne peut pas tarder beaucoup. Donc, à bientôt.
Un voyage au pays du sentiment, pour toi cela doit être un voyage extraordinaire et fantastique,—en tous cas il me semble que cela doit être aussi curieux que la découverte du Nil blanc.
Le Nil, on connaîtra un jour son cours; mais la femme, connaîtra-t-on jamais sa marche? Saura-t-on d'où elle vient, où elle va?
II
En me donnant Marseille pour lieu de garnison, le hasard m'a envoyé en pays ami, et nulle part assurément je n'aurais pu trouver des relations plus faciles et plus agréables.
Mon père, en effet, a été préfet des Bouches-du-Rhône pendant les dernières années de la Restauration, et il a laissé à Marseille, comme dans le département, des souvenirs et des amitiés qui sont toujours vivaces.
Pendant les premiers jours de mon arrivée, chaque fois que j'avais à me présenter ou à donner mon nom, on m'arrêtait par cette interrogation:
—Est-ce que vous êtes de la famille du comte de Saint-Nérée qui a été notre préfet?
Et quand je répondais que j'étais le fils de ce comte de Saint-Nérée, les mains se tendaient pour serrer la mienne.
—Quel galant homme!
—Et bon, et charmant.
—Quel homme de coeur!
Un véritable concert de louanges dans lequel tout le monde faisait sa partie, les grands et les petits.
Il est assez probable que mon père ne me laissera pas autre chose que cette réputation, car s'il a toujours été l'homme aimable et loyal que chacun prend plaisir à se rappeler, il ne s'est jamais montré, par contre, bien soigneux de ses propres affaires, mais j'aime mieux cette réputation et ce nom honoré pour héritage que la plus belle fortune. Il y a vraiment plaisir à être le fils d'un honnête homme, et je crois que dans les jours d'épreuves, ce doit être une grande force qui soutient et préserve.
En attendant que ces jours arrivent, si toutefois la mauvaise chance veut СКАЧАТЬ