Les Rois. Jules Lemaître
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Название: Les Rois

Автор: Jules Lemaître

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066088392

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СКАЧАТЬ choses. Un prince ne peut vivre, comme prince, que dans un monde extrêmement restreint; il ne se trouve de plain-pied qu'avec un tout petit nombre d'hommes: il ne peut donc connaître les hommes qu'imparfaitement. Il ne les voit que sous un angle très particulier et très étroit et dans une attitude de respect et de défiance. Presque partout, il gêne ou il est gêné. Il vit et meurt isolé de l'immense humanité. Il ne voit guère de la grande comédie que des fragments préparés. Sa présence suffit à altérer le caractère des spectacles auxquels il assiste, et les choses ne sont pas sincères pour lui.

      Hermann avait voulu secouer le surcroît de servitude qui s'ajoute, pour les princes, aux servitudes qui pèsent toujours sur les jugements humains. Il s'était arrangé pour vivre à Paris librement, en pleine mêlée humaine, pour y connaître la société à tous ses étages, sous tous les aspects, par tous ses côtés pittoresques et dans ses recoins moraux, pour coudoyer même l'extrême misère et la considérer de tout près.

      Il avait aimé Paris. L'esprit de la ville de joie, l'ironie et l'irrespect qu'on respire dans son air, Hermann en avait été surpris et charmé, sans trop remarquer ce que cette ironie a d'un peu mince et ce qu'elle recouvre quelquefois de niaiserie et de snobisme. Surtout il avait conçu une véritable estime pour ce scepticisme léger et dépourvu de pédanterie, aboutissant à un détachement qui, bien que superficiel, se rencontrait souvent avec la sagesse la plus profonde et à une douceur qui, bien qu'inactive, équivalait, dans plus d'un cas, à la charité même.

      Mais, en même temps, la crainte de ne pas penser librement, de conserver à son insu quelque chose du préjugé aristocratique et royal, de se croire encore, dans le tréfond de sa conscience, pétri d'une autre argile que le commun des hommes et de surprendre, dans ses jugements, dans ses démarches, dans ses gestes, les effets de cette persuasion involontaire et secrète s'exaspérait en lui jusqu'à une inquiétude maladive. Volontiers, il eût chargé un serviteur de lui répéter, chaque jour et à chaque instant du jour: «Souviens-toi qu'un prince n'est qu'un homme.» Il avait peur, pour ainsi dire, du sang qui coulait dans ses veines. Et cette appréhension, cette continuelle attention sur soi communiquait à son allure et à toute sa conduite une gêne, une incertitude que venaient rompre nerveusement des décisions subites et excessives…

      S'il n'avait pu s'entendre avec la princesse royale, ce n'était point parce qu'il l'avait épousée sans l'avoir choisie. Ce mariage, conclu dans un intérêt, national et dynastique, eût pu être un mariage heureux: Wilhelmine était belle, intelligente, vertueuse, et il ne semblait pas qu'il fallût de grands efforts pour l'aimer. Et ce n'était pas non plus la différence de leurs caractères ni celles de leurs opinions touchant les devoirs généraux de la royauté ou les questions politiques particulières qui l'avait peu à peu éloigné d'elle. C'était quelque chose de plus intime et de plus irrémédiable. Ce qui déplaisait à Hermann, ce qui lui faisait mal, c'était, parmi toutes les vertus et toute la grâce de cette femme, il ne savait quelle imperturbable complaisance dans le sentiment de sa naissance et de son rang; c'était une béatitude d'orgueil inexprimé, qu'il percevait, lui, à travers les moindres actes et chacune des paroles de cette fille d'archiduc; c'était de sentir que Wilhelmine avait beau être douce et bienveillante aux petits, elle s'estimait d'une essence irréductiblement supérieure à ce qui n'était pas de sang royal; que la foi religieuse et la piété de la charmante femme n'y pouvaient rien; que les maximes chrétiennes sur l'égalité devant Dieu ne seraient jamais pour elle que des formules vides qu'elle répétait des lèvres et que, bonne et compatissante aux hommes, jamais, jamais elle ne leur serait «fraternelle». Et, de constater à chaque instant, chez l'honnête princesse, cette conscience sereine de la préexcellence de sa nature, de voir s'épanouir stupidement en elle un sentiment qu'il s'était acharné à déraciner de son propre coeur, cela remuait chez le prince quelque chose, vraiment, comme une colère haineuse de démagogue…

      Le divorce était donc complet entre sa vie extérieure et ses pensées intimes. Son père étant souvent malade, il avait été obligé, dans les derniers temps, en sa qualité de prince héritier, à une vie de parade et de représentation qui, même réduite à l'indispensable, suffisait à l'accabler d'ennui. Il était un peu dans la situation d'un prêtre qui a cessé de croire et qui continue à célébrer la messe. Il haïssait ce monde de la cour: chambellans, grands officiers, hauts dignitaires, tous importants et futiles, durs au fond. Et il sentait autour de lui, encore que prosternée et muette, la défiance de tous ces gens-là et, derrière eux, l'attente déjà presque hostile de la noblesse, de la bourgeoisie financière, du haut clergé, de toutes les classes privilégiées… Sans doute, c'était, par définition, un pouvoir sans limites que son père venait de lui remettre; mais, en réalité, ce pouvoir n'était absolu qu'à la condition d'agir dans le sens des institutions séculaires qui tiraient de lui leur origine et qui lui servaient de support. Quelle masse énorme de mauvaises volontés, d'intérêts et de traditions il lui faudrait rompre pour faire son devoir! En aurait-il la force?

      Accoudé sur la table, le front dans les deux mains, il dit à mi-voix:

      —Ah! Frida! petite Frida! qu'est-ce que je deviendrais si je ne t'avais pas?

       Table des matières

      Belle, sereine, traînant encore, à grand plis cassés, le brocard de sa robe de cour, qu'elle n'avait pas pris le temps de quitter, Wilhelmine entra.

      Hermann se leva avec ennui:

      —Qui me vaut l'honneur?…

      —Je voulais, répondit-elle, être la première à vous féliciter après la cérémonie.

      —J'en suis fort touché, dit Hermann.

      Il ajouta avec un peu d'ironie:

      —Vous devez être heureuse, car vous voilà reine, ou tout comme.

      —Heureuse, oui… et inquiète aussi. Que Dieu vous assiste, Hermann, et qu'il vous montre votre devoir!

      —Ce qui veut dire, répliqua-t-il vivement, que, selon vous, je ne le vois pas où il est?… Oui, je sais d'avance que vous n'approuvez point mes projets et que vous êtes présentement partagée entre la joie de voir la toute-puissance dans mes mains et la terreur de ce que j'en vais faire. Je vous remercie toutefois de vos bonnes paroles.

      —Hélas! dit-elle, je n'ignore pas à quel point elles sont inutiles. Voilà des années que, vivant côte à côte, nous sommes plus séparés que s'il y avait entre nous des mers et des montagnes.

      Et, comme il protestait du geste:

      —Oh! la rupture n'a pas été publique. Je ne pourrais même pas dire quel jour elle s'est faite. Ç'a été moins une rupture qu'une sorte de déliement. Je vous sais gré d'ailleurs d'avoir sauvé les apparences… Le prince mon mari (elle eut un triste sourire) continue à se rendre officiellement et à jours fixes dans ma chambre… Mais, là même, je ne suis pour vous que la princesse royale: je ne suis pas votre femme.

      A dessein ou par hasard, elle s'était assise sur un pouf, presque aux pieds d'Hermann, la tête penchée en avant, dans une attitude qui développait la courbe grasse de son dos et de sa nuque robuste.

      Mais lui, très froidement:

      —C'est vous qui l'avez voulu… Rappelez-vous comment on nous a mariés. Vous aviez été élevée dans une petite cour surannée et pompeuse, comme une archiduchesse d'il y a deux cents ans. Moi, une fois affranchi de l'inhumaine discipline à laquelle mon père avait soumis ma première jeunesse, СКАЧАТЬ