Les Ruines, ou méditation sur les révolutions des empires. Constantin-François Volney
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СКАЧАТЬ au découragement, ont eux-mêmes été les éternels instruments de leurs infortunes.

      Et voilà par quels mobiles simples et naturels fut régi le sort des anciens États; voilà par quelle série de causes et d'effets liés et conséquents, ils s'élevèrent ou s'abaissèrent, selon que les lois physiques du cœur humain y furent observées ou enfreintes; et dans le cours successif de leurs vicissitudes, cent peuples divers, cent empires tour à tour abaissés, puissants, conquis, renversés, en ont répété pour la terre les instructives leçons… Et ces leçons aujourd'hui demeurent perdues pour les générations qui ont succédé! Les désordres des temps passés ont reparu chez les races présentes! les chefs des nations ont continué de marcher dans des voies de mensonge et de tyrannie! les peuples de s'égarer dans les ténèbres des superstitions et de l'ignorance!

      Eh bien! ajouta le Génie en se recueillant, puisque l'expérience des races passées reste ensevelie pour les races vivantes, puisque les fautes des aïeux n'ont pas encore instruit leurs descendants, les exemples anciens vont reparaître: la terre va voir se renouveler les scènes imposantes des temps oubliés. De nouvelles révolutions vont agiter les peuples et les empires. Des trônes puissants vont être de nouveau renversés, et des catastrophes terribles rappelleront aux hommes que ce n'est point en vain qu'ils enfreignent les lois de la nature et les préceptes de la sagesse et de la vérité.

      CHAPITRE XII.

      Leçons des temps passés répétées sur les temps présents

      Ainsi parla le Génie: frappé de la justesse et de la cohérence de tout son discours; assailli d'une foule d'idées, qui en choquant mes habitudes captivaient cependant ma raison, je demeurai absorbé dans un profond silence… Mais tandis que, d'un air triste et rêveur, je tenais les yeux fixés sur l'Asie, soudain du côté du nord, aux rives de la mer Noire et dans les champs de la Krimée, des tourbillons de fumée et de flammes attirèrent mon attention: ils semblaient s'élever à la fois de toutes les parties de la presqu'île: puis, ayant passé par l'isthme dans le continent, ils coururent, comme chassés d'un vent d'ouest, le long du lac fangeux d'Azof, et furent se perdre dans les plaines herbageuses du Kouban; et considérant de plus près la marche de ces tourbillons, je m'aperçus qu'ils étaient précédés ou suivis de pelotons d'êtres mouvants, qui, tels que des fourmis ou des sauterelles troublées par le pied d'un passant, s'agitaient avec vivacité: quelquefois ces pelotons semblaient marcher les uns vers les autres et se heurter; puis, après le choc, il en restait plusieurs sans mouvement..... Et tandis qu'inquiet de tout ce spectacle, je m'efforçais de distinguer les objets:—Vois-tu, me dit le Génie, ces feux qui courent sur la terre, et comprends-tu leurs effets et leurs causes?—Ô Génie! répondis-je, je vois des colonnes de flammes et de fumée, et comme des insectes qui les accompagnent; mais quand déja je saisis à peine les masses des villes et des monuments, comment pourrais-je discerner de si petites créatures? seulement on dirait que ces insectes simulent des combats; car ils vont, viennent, se choquent, se poursuivent.—Ils ne les simulent pas, dit le Génie, ils les réalisent.—Et quels sont, repris-je, ces animalcules insensés qui se détruisent? ne périront-ils pas assez tôt, eux qui né vivent qu'un jour?..... Alors le Génie me touchant encore une fois la vue et l'ouïe: Vois, me dit-il, et entends.—Aussitôt, dirigeant mes yeux sur les mêmes objets: Ah! malheureux, m'écriai-je, saisi de douleur, ces colonnes de feux! ces insectes! ô Génie! ce sont les hommes, ce sont les ravages de la guerre!...... Ils partent des villes et des hameaux, ces torrents de flammes! Je vois les cavaliers qui les allument, et qui, le sabre à la main, se répandent dans les campagnes; devant eux fuient des troupes éperdues d'enfants, de femmes, de vieillards; j'aperçois d'autres cavaliers qui, la lance sur l'épaule, les accompagnent et les guident. Je reconnais même à leurs chevaux en laisse, à leurs kalpaks, à leur touffe de cheveux, que ce sont des Tartares; et sans doute ceux qui les poursuivent, coiffés d'un chapeau triangulaire et vêtus d'uniformes verts, sont des Moscovites. Ah! je le comprends, la guerre vient de se rallumer entre l'empire des tsars et celui des sultans.—«Non, pas encore, répliqua le Génie. Ce n'est qu'un préliminaire. Ces Tartares ont été et seraient encore des voisins incommodes, on s'en débarrasse; leur pays est d'une grande convenance, on s'en arrondit; et pour prélude d'une autre révolution, le trône des Guérais est détruit.»

      Et en effet, je vis les étendards russes flotter sur la Krimée; et leur pavillon se déploya bientôt sur l'Euxin.

      Cependant aux cris des Tartares fugitifs, l'empire des Musulmans s'émut. «On chasse nos frères, s'écrièrent les enfants de Mahomet: on outrage le peuple du Prophète! des infidèles occupent une terre consacrée, et profanent les temples de l'Islamisme. Armons-nous; courons aux combats pour venger la gloire de Dieu et notre propre cause.»

      Et un mouvement général de guerre s'établit dans les deux empires. De toutes parts on assembla des hommes armés, des provisions, des munitions, et tout l'appareil meurtrier des combats fut déployé; et, chez les deux nations, les temples, assiégés d'un peuple immense, m'offrirent un spectacle qui fixa mon attention. D'un côté, les Musulmans assemblés devant leurs mosquées, se lavaient les mains, les pieds, se taillaient les ongles, se peignaient la barbe; puis étendant par terre des tapis, et se tournant vers le midi, les bras tantôt ouverts et tantôt croisés, ils faisaient des génuflexions et des prostrations; et dans le souvenir des revers essuyés pendant leur dernière guerre, ils s'écriaient: «Dieu clément, Dieu miséricordieux! as-tu donc abandonné ton peuple fidèle? Toi qui a promis au Prophète l'empire des nations et signalé ta religion par tant de triomphes, comment livres-tu les vrais croyants aux armes des infidèles?» et les Imans et les Santons disaient au peuple: «C'est le châtiment de vos péchés. Vous mangez du porc, vous buvez du vin; vous touchez les choses immondes: Dieu vous a punis. Faites pénitence, purifiez-vous, dites la profession de foi22, jeûnez de l'aurore au coucher, donnez la dîme de vos biens aux mosquées, allez à la Mekke, et Dieu vous rendra la victoire.» Et le peuple, reprenant courage, jetait de grands cris: Il n'y a qu'un Dieu, dit-il saisi de fureur, et Mahomet est son prophète: anathème à quiconque ne croit pas!....

      «Dieu de bonté, accorde-nous d'exterminer ces chrétiens: c'est pour ta gloire que nous combattons, et notre mort est un martyre pour ton nom.»—Et alors, offrant des victimes, ils se préparèrent aux combats.

      D'autre part, les Russes, à genoux, s'écriaient: «Rendons graces à Dieu, et célébrons sa puissance; il a fortifié notre bras pour humilier ses ennemis. Dieu bienfaisant, exauce nos prières: pour te plaire, nous passerons trois jours sans manger ni viande ni œufs. Accorde-nous d'exterminer ces Mahométans impies, et de renverser leur empire; nous te donnerons la dîme des dépouilles, et nous t'élèverons de nouveaux temples.» Et les prêtres remplirent les églises de nuages de fumée, et dirent au peuple: «Nous prions pour vous, et Dieu agrée notre encens et bénit vos armes. Continuez de jeûner et de combattre; dites-nous vos fautes secrètes; donnez vos biens à l'église: nous vous absoudrons de vos péchés, et vous mourrez en état de grace.» Et ils jetaient de l'eau sur le peuple, lui distribuaient des petits os de morts pour servir d'amulettes et de talismans; et le peuple ne respirait que guerre et combats.

      Frappé de ce tableau contrastant des mêmes passions, et m'affligeant de leurs suites funestes, je méditais sur la difficulté qu'il y avait pour le juge commun d'accorder des demandes si contraires, lorsque le Génie saisi d'un mouvement de colère s'écria avec véhémence:

      «Quels accents de démence frappent mon oreille? quel délire aveugle et pervers trouble l'esprit des nations? Prières sacriléges, retombez sur la terre! et vous, Cieux, repoussez des vœux homicides, des actions de graces impies! Mortels insensés? est-ce donc ainsi que vous révérez la Divinité! Dites! comment celui que vous appelez votre père commun doit-il recevoir l'hommage de ses enfants qui s'égorgent? Vainqueurs! de quel œil doit-il voir vos bras fumants du sang qu'il a créé? Et vous, vaincus! qu'espérez-vous СКАЧАТЬ



<p>22</p>

Il n'y a qu'un Dieu, et Mahomet est son prophète.