Les Ruines, ou méditation sur les révolutions des empires. Constantin-François Volney
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СКАЧАТЬ Et l'ignorance s'est applaudie dans sa malignité. «Ainsi, a-t-elle dit, je m'égalerai à la science qui me blesse; je rendrai inutile la prudence qui me fatigue et m'importune.» Et la cupidité a ajouté: «Ainsi j'opprimerai le faible et je dévorerai les fruits de sa peine; et je dirai: C'est Dieu qui l'a décrété, c'est le sort qui l'a voulu.»—Mais moi, j'en jure par les lois du ciel et de la terre, et par celles qui régissent le cœur humain! l'hypocrite sera déçu dans sa fourberie, l'injuste dans sa rapacité; le soleil changera son cours avant que la sottise prévale sur la sagesse et le savoir, et que l'aveuglement l'emporte sur la prudence, dans l'art délicat et profond de procurer à l'homme ses vraies jouissances, et d'asseoir sur des bases solides sa félicité.»

      CHAPITRE IV.

      L'exposition

      Ansi parla le Fantôme. Interdit de ce discours, et le cœur agité de diverses pensées, je demeurai long-temps en silence. Enfin, m'enhardissant à prendre la parole, je lui dis: «Ô Génie des tombeaux et des ruines! ta présence et ta sévérité ont jeté mes sens dans le trouble; mais la justesse de ton discours rend la confiance à mon ame. Pardonne à mon ignorance. Hélas! si l'homme est aveugle, ce qui fait son tourment fera-t-il encore son crime? J'ai pu méconnaître la voix de la raison; mais je ne l'ai point rejetée après l'avoir connue. Ah! si tu lis dans mon cœur, tu sais combien il désire la vérité, tu sais qu'il la recherche avec passion..... Et n'est-ce pas à sa poursuite que tu me vois en ces lieux écartés? Hélas! j'ai parcouru la terre; j'ai visité les campagnes et les villes; et voyant partout la misère et la désolation, le sentiment des maux qui tourmentent mes semblables a profondément affligé mon ame. Je me suis dit en soupirant: L'homme n'est-il donc créé que pour l'angoisse et pour la douleur? Et j'ai appliqué mon esprit à la méditation de nos maux, pour en découvrir les remèdes. J'ai dit: Je me séparerai des sociétés corrompues; je m'éloignerai des palais où l'ame se déprave par la satiété, et des cabanes où elle s'avilit par la misère; j'irai dans la solitude vivre parmi les ruines; j'interrogerai les monuments anciens sur la sagesse des temps passés; j'évoquerai du sein des tombeaux l'esprit qui jadis, dans l'Asie, fit la splendeur des États et la gloire des peuples. Je demanderai à la cendre des législateurs par quels mobiles s'élèvent et s'abaissent les empires; de quelles causes naissent la prospérité et les malheurs des nations; sur quels principes enfin doivent s'établir la paix des sociétés et le bonheur des hommes

      Je me tus; et, les yeux baissés, j'attendis la réponse du Génie. «La paix, dit-il, et le bonheur descendent sur celui qui pratique la justice. Ô jeune homme! puisque ton cœur cherche avec droiture la vérité, puisque tes yeux peuvent encore la reconnaître à travers le bandeau des préjugés, ta prière ne sera point vaine: j'exposerai à tes regards cette vérité que tu appelles; j'enseignerai à ta raison cette sagesse que tu réclames; je te révélerai la sagesse des tombeaux et la science des siècles…» Alors s'approchant de moi et posant sa main sur ma tête: «Élève-toi, mortel, dit-il, et dégage tes sens de la poussière où tu rampes…» Et soudain, pénétré d'un feu céleste, les liens qui nous fixent ici-bas me semblèrent se dissoudre; et tel qu'une vapeur légère, enlevé par le vol du Génie, je me sentis transporté dans la région supérieure. Là, du plus haut des airs, abaissant mes regards vers la terre, j'aperçus une scène nouvelle. Sous mes pieds, nageant dans l'espace, un globe, semblable à celui de la lune; mais moins gros et moins lumineux, me présentait l'une de ses faces18; et cette face avait l'aspect d'un disque semé de grandes taches, les unes blanchâtres et nébuleuses, les autres brunes, vertes ou grisâtres; et tandis que je m'efforçais de démêler ce qu'étaient ces taches: «Homme qui cherches la vérité, me dit le Génie, reconnais-tu ce spectacle?»—«Ô Génie! répondis-je, si d'autre part je ne voyais le globe de la lune, je prendrais celui-ci pour le sien; car il a les apparences de cette planète vue au télescope dans l'ombre d'une éclipse: on dirait que ces diverses taches sont des mers et des continents.»

      «—Oui; me dit-il, ce sont des mers et des continents, ceux-là mêmes de l'hémisphère que tu habites…»

      «—Quoi! m'écriai-je, c'est là cette terre où vivent les mortels!…»

      «—Oui, reprit-il: cet espace brumeux qui occupe irrégulièrement une grande portion du disque, et l'enceint presque de tous côtés, c'est là ce que vous appelez le vaste Océan, qui, du pôle du sud s'avançant vers l'équateur, forme d'abord le grand golfe de l'Inde et de l'Afrique, puis se prolonge à l'orient à travers les îles Malaises jusqu'aux confins de la Tartarie, tandis qu'à l'ouest il enveloppe les continents de l'Afrique et de l'Europe jusque dans le nord de l'Asie.

      «Sous nos pieds, cette presqu'île de forme carrée est l'aride contrée des Arabes; à sa gauche ce grand continent presque aussi nu dans son intérieur, et seulement verdâtre sur ses bords, est le sol brûlé qu'habitent les hommes noirs19. Au nord, par delà une mer irrégulière et longuement étroite20, sont les campagnes de l'Europe, riche en prairies et en champs cultivés: à sa droite, depuis la Caspienne, s'étendent les plaines neigeuses et nues de la Tartarie. En revenant à nous, cet espace blanchâtre est le vaste et triste désert du Gobi, qui sépare la Chine du reste du monde. Tu vois cet empire dans le terrain sillonné qui fuit à nos regards sous un plan obliquement courbé. Sur ces bords, ces langues déchirées et ces points épars sont les presqu'îles, et les îles des peuples Malais, tristes possesseurs des parfums et des aromates. Ce triangle qui s'avance au loin dans la mer, est la presqu'île trop célèbre de l'Inde. Tu vois le cours tortueux du Gange, les âpres montagnes du Tibet, le vallon fortuné de Kachemire, les déserts salés du Persan, les rives de l'Euphrate et du Tigre, et le lit encaissé du Jourdain, et les canaux du Nil solitaire…»

      «—Ô Génie, dis-je, en l'interrompant, la vue d'un mortel n'atteint pas à ces objets dans un tel éloignement…» Aussitôt, m'ayant touché la vue, mes yeux devinrent plus perçants que ceux de l'aigle; et cependant les fleuves ne me parurent encore que des rubans sinueux, les montagnes, des sillons tortueux, et les villes que de petits compartiments semblables à des cases d'échecs.

      Et le Génie m'indiquant du doigt les objets: «Ces monceaux, me dit-il, que tu aperçois dans l'aride et longue vallée que sillonne le Nil, sont les squelettes des villes opulentes dont s'enorgueillissait l'ancienne Éthiopie; voilà cette Thèbes aux cent palais, métropole première des sciences et des arts, berceau mystérieux de tant d'opinions qui régissent encore les peuples à leur insu. Plus bas, ces blocs quadrangulaires sont les pyramides dont les masses t'ont épouvanté: au delà, le rivage étroit que bornent et la mer et de raboteuses montagnes, fut le séjour des peuples phéniciens. Là furent les villes de Tyr, de Sidon, d'Ascalon, de Gaze et de Beryte. Ce filet d'eau sans issue est le fleuve du Jourdain, et ces roches arides furent jadis le théâtre d'événements qui ont rempli le monde. Voilà ce désert d'Horeb et ce mont Sinai, où, par des moyens qu'ignore le vulgaire, un homme profond et hardi fonda des institutions qui ont influé sur l'espèce entière. Sur la plage aride qui confine, tu n'aperçois plus de trace de splendeur, et cependant ici fut un entrepôt de richesses. Ici étaient ces ports iduméens, d'où les flottes phéniciennes et juives, côtoyant la presqu'île arabé, se rendaient dans le golfe Persique pour y prendre les perles d'Hévila, et l'or de Saba et d'Ophir. Oui, c'est là, sur cette côte d'Oman et de Bahrain, qu'était le siége de ce commerce de luxe, qui, dans ses mouvements et ses révolutions, fit le destin des anciens peuples: c'est là que venaient se rendre les aromates et les pierres précieuses de Ceylan, les schals de Kachemire, les diamants de Golconde, l'ambre des Maldives, le musc du Tibet, l'aloës de Cochin, les singes et les paons du continent de l'Inde, l'encens d'Hadramaût, la myrrhe, l'argent, la poudre d'or et l'ivoire d'Afrique: c'est de là que prenant leur route, tantôt par la mer Rouge, sur les vaisseaux СКАЧАТЬ



<p>18</p>

Voyez la planche II, qui réprésente une moitié de la terre.

<p>19</p>

L'Afrique.

<p>20</p>

La Méditerranée.