Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 8 - (Q suite - R - S). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
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СКАЧАТЬ avec des variétés qu'il faut signaler. Les monuments grecs des VIe et VIIe siècles qui remplissent les villes de Syrie, et notamment l'ancienne Cilicie, possèdent une ornementation sculptée d'un beau style, et qui rappelle celui des meilleurs temps de la Grèce antique 63, mais sont absolument dépourvus de statuaire. Cependant il y avait eu à Constantinople, avant et après les fureurs des iconoclastes, des écoles de sculpteurs statuaires, qui fabriquaient quantité de meubles en bois, en ivoire, en orfévrerie, que les Vénitiens et les Génois répandaient en Occident. Nous possédons, dans nos musées et nos bibliothèques, bon nombre de ces objets antérieurs au XIIe siècle. Il ne paraît pas toutefois que les artistes byzantins se livrassent à la grande statuaire, et les exemples dont nous parlons ici sont, à tout prendre, de petite dimension et d'une exécution souvent barbare. Il n'en était pas de même pour la peinture: les Byzantins avaient produit dans cet art des oeuvres tout à fait remarquables, et dont nous pouvons nous faire une idée par les peintures des églises de la Grèce 64 et par les vignettes des manuscrits de la Bibliothèque impériale.

      Or, parmi ces croisés partis des différents points de l'extrême Occident, les uns rapportent, dès le commencement du XIIe siècle, de nombreux motifs de sculpture d'ornement d'un beau caractère, d'autres de l'ornementation et de la statuaire.

      Nous voyons, par exemple, à cette époque, le Poitou, la Saintonge, la Normandie, l'Île-de-France, la Picardie, l'Auvergne, répandre sur leurs édifices, des rinceaux, des chapiteaux, des frises d'ornements d'un très-beau style, d'une bonne exécution, qui semblent copiés, ou du moins immédiatement inspirés par l'ornementation byzantine de la Syrie, tandis qu'à côté qe ces ornements, la statuaire demeure à l'état barbare et ne semble pas faire un progrès sensible. Mais si nous nous transportons en Bourgogne, sur les bords de la Saône, dans le voisinage des principaux monastères clunisiens, c'est tout autre chose. La statuaire a fait, au commencement du XIIe siècle, un progrès aussi rapide que l'ornementation sculptée, et rappelle moins encore par son style les diptyques byzantins, que les peintures qui ornent les monuments et les manuscrits grecs. Ceci s'explique. Si des moines grossiers, si des ouvriers ignorants pouvaient reproduire les ornements grecs qui abondent sur les édifices de la Syrie septentrionale, ils ne pouvaient copier des statues ou bas-reliefs à sujets, qui n'existaient pas. Ils s'orientalisaient quant à la décoration sculptée, et restaient gaulois quant à la statuaire. Pour transposer dans les arts, il faut un certain degré d'instruction, de savoir, que les clunisiens seuls alors possédaient. Les clunisiens firent donc chez eux une renaissance de la statuaire, à l'aide de la peinture grecque. Cela est sensible pour quiconque est familier avec cet art. Si nous nous transportons, par exemple, devant le tympan de la grande porte de l'église abbatiale de Vézelay, ou même devant celui de la grande porte de la cathédrale d'Autun, qui lui est quelque peu postérieur, nous reconnaîtrons dans ces deux pages et particulièrement dans la première, une influence byzantine prononcée, incontestable, et cependant cette statuaire ne rappelle pas les diptyques byzantins, ni par la composition, ni par le faire, mais bien les peintures.

      Autant la statuaire byzantine du vieux temps prend un caractère hiératique, autant elle est bornée dans les moyens, conventionnelle, autant la peinture se fait remarquer par une tendance dramatique, par la composition, par l'exactitude et la vivacité du geste 65. Ces mêmes qualités se retrouvent à un haut degré dans les bas-reliefs que nous venons de signaler. De plus, dans ces bas-reliefs, les draperies sont traitées comme dans les peintures grecques, et non comme elles le sont sur les monuments byzantins sculptés. La composition des bas-reliefs de Vézelay, par la manière dont les personnages sont groupés, rappelle également les compositions des peintures grecques; on y remarque plusieurs plans, des agencements de lignes, un mouvement dramatique très-prononcé. Mais par cela même que les clunisiens transposaient d'un art dans l'autre, tout en laissant voir la source d'où sortait la statuaire, ils étaient obligés de recourir, pour une foule de détails, à l'imitation des objets qui les entouraient. Aussi l'architecture, les meubles, les instruments, sont français, les habits mêmes, sauf ceux de certains personnages sacrés, qui sont évidemment copiés sur les peintures grecques, sont les habits portés en Occident, mais ils sont byzantinisés (qu'on nous pardonne le barbarisme) par la manière dont ils sont rendus dans les détails. Quant aux têtes, et cela est digne de fixer l'attention des archéologues et des artistes, elles ne rappellent nullement les types admis par les peintres grecs. Les sculpteurs occidentaux ont copié, aussi bien qu'ils ont pu le faire, les types qu'ils voyaient, et cela souvent avec une délicatesse d'observation et une ampleur très-remarquables.

      Nous avons souvent entendu discuter ce point, de savoir si ces bas-reliefs de Vézelay, d'Autun, de Moissac, de Charlien, etc., étaient sculptés par des artistes envoyés d'Orient, ou s'ils étaient dus à des sculpteurs occidentaux travaillant sous une influence byzantine. Longtemps nous avons hésité devant ce problème; mais, après avoir examiné beaucoup de ces sculptures françaises, des sculptures et des peintures grecques, surtout des vignettes de manuscrits; après avoir réuni des dessins et des photographies en grand nombre pour établir des comparaisons immédiates, notre hésitation a dû cesser. D'ailleurs, si des artistes grecs avaient été appelés en France pour exécuter ces sculptures, ils auraient trahi leur origine sur quelques points, une inscription, un meuble, un ustensile. Rien de pareil ne se rencontre sur aucun de ces bas-reliefs. Tout est occidental, et encore une fois la sculpture des Byzantins à cette époque n'est pas traitée comme celle de ces bas-reliefs français.

      Dans cette statuaire française que nous regardons comme dérivée de la peinture byzantine très-ancienne,--car certainement les vignettes de manuscrits servaient de types aux clunisiens, et ces manuscrits pouvaient être très-antérieurs au XIIe siècle,--une des qualités qui frappent le plus les personnes qui savent voir, c'est l'exactitude et la vérité saisissantes du geste. Or, quand on se rappelle à quel degré de barbarie était tombée la statuaire au Xe siècle, et combien cette qualité était oubliée alors, les artistes sortis des écoles de Cluny avaient dû recourir à des modèles d'une grande valeur, comme art, pour se former.

      Mais il en est de ce fait historique comme de bien d'autres, il faut se garder d'établir un système sur un seul groupe d'observations. Ce qui est vrai ici peut être erroné là. Si les clunisiens sont parvenus, au commencement du XIIe siècle, à former une école de sculpteurs avec les éléments que nous venons d'indiquer, il est évident que sur les bords du Rhin, qu'en Provence et à Toulouse, l'influence byzantine s'était fait sentir dès avant les premières croisades, et avait permis de constituer des écoles de sculpture relativement florissantes. Sur les bords du Rhin, les efforts que Charlemagne avait fait pour faire renaître les arts avaient porté quelques fruits. Ce prince s'était entouré d'artistes byzantins, avait reçu de Byzance et de Syrie des présents considérables en objets d'art. Depuis son règne, les traditions introduites par les artistes orientaux, les objets réunis dans les monastères, dans les palais, avaient permis de former une école pseudo-byzantine, qui ne laissait pas d'avoir une certaine valeur relative. En Provence, dans une partie du Languedoc, et à Toulouse notamment, une autre école s'était constituée dès le XIe siècle, en s'appuyant sur les exemples si nombreux d'objets d'art rapportés d'Orient par le commerce de la Méditerranée.

      Au Xe siècle, les Vénitiens avaient des comptoirs dans un certain nombre de villes du Midi et jusqu'à Limoges. Ces négociants fournissaient les provinces du Midi et du Centre d'étoffes de soie orientales, de bijoux, de coffrets et ustensiles d'ivoire et de métal fabriqués à Constantinople, à Damas, à Antioche, à Tyr. Il suffit de voir les sculptures, du XIe siècle qui existent encore autour du choeur de Saint-Sernin de Toulouse, et dans le cloître de Moissac, pour reconnaître dans cette statuaire des copies grossières de ivoires byzantins.

      Voici (fig. 2) un de ces exemples provenant du cloître de Moissac. Cette image de saint Pierre, de marbre, est très bas-relief. On retrouve là, non-seulement le caractère СКАЧАТЬ



<p>63</p>

Voyez l'ouvrage de M. le comte Melchior de Vogué et de M. Duthoit, sur les villes entre Alep et Antioche (Syrie centrale).

<p>64</p>

M. Paul Durand a calqué un grand nombre de ces peintures qui datent des VIIIe, IXe, Xe et XIe siècles, et qui sont du plus beau style. Il serait fort à désirer que ces calques fussent publiés.

<p>65</p>

Il ne faut pas prendre ici la peinture grecque telle, par exemple, que les moines du mont Athos l'ont faite depuis le XIIIe siècle et la font encore aujourd'hui. C'est là un art tout de recettes, figé; les peintures des manuscrits des VIIIe, IXe et Xe siècles ont un caractère plus libre et une tout autre valeur. Nous en dirons autant des peintures grecques recueillies par M. Paul Durand.