Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 7 - (P). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
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СКАЧАТЬ le saut périlleux qui remplace l'éloquence, le jongleur qui prend la place de l'orateur. Mais encore les artistes qui ont adopté ce genre de peinture décorative ont pu admettre un point, un seul, disons-nous, d'où le spectateur pouvait, pensaient-ils, éprouver une satisfaction complète; c'était peu, sur toute la surface d'une salle, de donner un seul point d'où l'on pût en saisir parfaitement la décoration, mais enfin c'était quelque chose. Les scènes représentées se trouvaient d'ailleurs encadrées au milieu d'une ornementation qui elle-même affectait la réalité de reliefs, d'ombres et de lumières se jouant sur des corps saillants. C'était un système décoratif possédant son unité et sa raison, tandis qu'on ne saurait trouver la raison de ce parti de peinture, par exemple, qui, à côté de scènes affectant la réalité des effets, des ombres et des lumières, de la perspective, place des ornements plats composés de tons juxtaposés. Alors les scènes qui admettent l'effet réel produit par le relief et les différences de plans sont en dissonance complète avec cette ornementation plate. Ce n'était donc pas sans raison que les peintres du moyen âge voyaient dans la peinture, soit qu'elle figurât des scènes, soit qu'elle ne se composât que d'ornements, une surface qui devait toujours paraître plane, solide, qui était destinée non à produire une illusion, mais une harmonie. Nous admettons qu'on préfère la peinture en trompe-l'oeil de la voûte des Grands Jésuites à Rome à celle de la voûte de Saint-Savin, près de Poitiers; mais ce que nous ne saurions admettre, c'est qu'on prétende concilier ces deux principes opposés. Il faut opter pour l'un des deux.

      Si la peinture et l'architecture sont unies dans une entente intime de l'art pendant le moyen âge, à plus forte raison la peinture de figures et celle d'ornements ne font-elles qu'une seule et même couverte décorative. Le même esprit concevait la composition de la scène et celle de l'ornementation, la même main dessinait et coloriait l'une et l'autre, et les peintures monumentales ne pouvaient avoir l'apparence de tableaux encadrés de papier peint, comme cela n'arrive que trop souvent aujourd'hui, lorsqu'on fait ce qu'on veut appeler des peintures murales, lesquelles ne sont, à vrai dire, que des tableaux collés sur un mur, entourés d'un cadre qui, au lieu de les isoler comme le fait le cadre banal de bois doré, leur nuit, les éteint, les réduit à l'état de tache obscure ou claire, dérange l'effet, occupe trop le regard et gêne le spectateur. Quand la peinture des scènes, sur les murs d'un édifice, n'est pas traitée comme l'ornementation elle-même, elle est forcément tuée par celle-ci; il faut, ou que l'ornementation soit traitée en trompe-l'oeil, si le sujet entre dans le domaine de la réalité, ou que le sujet soit traité comme un dessin enluminé, si l'ornementation est plate.

      Ces principes posés, nous nous occuperons d'abord de la peinture monumentale des sujets. Nous avons dit que l'art grec avait été la première école de nos peintres occidentaux au point de vue de l'iconographie et au point de vue de l'exécution. Cependant, dès le XIe siècle en France (et il ne nous reste pas de peintures monumentales de sujets antérieurs à cette époque), on reconnaît dans la manière dont est traité le dessin une indépendance, une vérité d'expression dans le geste que l'on n'aperçoit point dans les peintures dites byzantines de la même époque. Pour retrouver cette indépendance dans la peinture grecque, il faut feuilleter les manuscrits byzantins des VIIIe et IXe siècles 59; plus tard cet art grec s'immobilise, et tombe dans une routine étroite dont il ne sort plus. Non-seulement nos artistes du XIe siècle prennent leurs modèles dans les peintures de style grec, mais ils s'emparent même des procédés matériels adoptés par les Byzantins; nous en trouvons la preuve évidente dans le traité du moine Théophile qui vivait au XIIe siècle. L'ébauche des peintures de l'église de Saint-Savin 60 a été faite au pinceau; elle consiste en des traits brun-rouge. «Les couleurs ont été appliquées par larges teintes plates, sans marquer les ombres, au point qu'il est impossible de déterminer de quel côté vient la lumière. Cependant, en général, les saillies sont indiquées en clair et les contours accusés par des teintes foncées; mais il semble que l'artiste n'ait eu en vue que d'obtenir ainsi une espèce de modelé de convention, à peu près tel que celui qu'on voit dans notre peinture d'arabesques. Dans les draperies, tous les plis sont marqués par des traits sombres (brun-rouge), quelle que soit la couleur de l'étoffe. Les saillies sont accusées par d'autres traits blancs assez mal fondus avec la teinte générale.» (Ces traits ne sont pas fondus, mais indiqués en hachures plus ou moins larges peintes sur le ton de l'étoffe.) «Il n'y a nulle part d'ombres projetées, et, quant à la perspective aérienne, ou même à la perspective linéaire, il est évident que les artistes de Saint-Savin ne s'en sont nullement préoccupés 61

      Par le fait, dans ces peintures de sujets, chaque figure présente une silhouette se détachant en vigueur sur un fond clair, ou en clair sur un fond sombre, et rehaussée seulement de traits qui indiquent les formes, les plis des draperies, les linéaments intérieurs. Le modelé n'est obtenu que par ces traits plus ou moins accentués, tous du même ton brun, et la couleur n'est autre chose qu'une enluminure. Les peintures des vases dits étrusques, celles que l'on a découvertes dans les tombeaux de Corneto, procèdent absolument de la même manière. Alors les accessoires sont traités comme des hiéroglyphes, la figure humaine seule se développe d'après sa forme réelle. Un palais est rendu par deux colonnes et un fronton, un arbre par une tige surmontée de quelques feuilles, un fleuve par un trait serpentant, etc. Peut-on, lorsqu'il s'agit de peinture monumentale, produire sur le spectateur autant d'effet par ces moyens primitifs que par l'emploi des trompe-l'oeil? ou, pour parler plus vrai, des hommes nés au milieu d'une civilisation chez laquelle on s'est habitué à estimer la peinture en raison du plus ou moins de réalité matérielle obtenue, peuvent-ils s'émouvoir devant des sujets traités comme le sont ceux des tombeaux de Corneto, ceux des catacombes, ou ceux de l'église de Saint-Savin? C'est là toute la question, qui n'est autre qu'une question d'éducation.

      Un enfant est tout autant charmé, sinon plus, devant un trait enluminé que devant un tableau de Rubens. Il n'est pas dit que ce trait soit barbare, sans valeur comme art. Faites au contraire que ce trait ne reproduise que de belles formes, qu'il soit pur de style et que l'enluminure soit harmonieuse: si le spectateur est ému devant cette interprétation de la nature, n'est-ce pas un hommage qu'il rend à l'art? et l'art ne prouve-t-il pas ainsi qu'il est une puissance? Que pour la peinture de chevalet on en soit arrivé peu à peu à une imitation fine et complète de la nature choisie, à produire des effets de lumière d'une extrême délicatesse, à concentrer pour ainsi dire l'attention du spectateur sur une scène rendue à l'aide d'une observation scrupuleuse, avec une parfaite distinction, certes nous ne nous en plaindrons pas, puisque c'est à ce progrès que nous devons les chefs-d'oeuvre qui garnissent nos galeries, et qui sont une des gloires de la civilisation occidentale depuis le XVIe siècle. Mais l'art qui convient à la toile encadrée, au tableau, quelle que soit sa dimension, n'a point de rapports avec celui qui est destiné à couvrir les murs et les voûtes d'une salle. Dans le tableau nous ne voyons qu'une expression isolée d'un seul art, nous nous isolons pour le regarder; c'est encore une fois une fenêtre qu'on nous ouvre sur une scène propre à nous charmer ou nous émouvoir. En est-il de même dans une salle que l'on couvre de peintures? N'y a-t-il pas là le mélange de plusieurs arts? Doivent-ils alors procéder isolément, ou produire un effet d'ensemble? La réponse ne saurait être douteuse.

      Si nous examinons les essais qui ont été tentés pour concilier les deux principes opposés de la peinture prise isolément et de la peinture purement monumentale, n'apercevons-nous pas tout de suite l'écueil contre lequel les plus grands talents ont échoué? Et la voûte de la chapelle Sixtine elle-même, malgré le génie prodigieux de l'artiste qui l'a conçue et exécutée, n'est-elle pas un hors-d'oeuvre qui épouvante plutôt qu'il ne charme? Cependant Michel-Ange, architecte et peintre, a su, autant que le programme qu'il s'était imposé le lui promettait, si bien souder ses sujets et ses figures à l'ornementation, à la place occupée, que l'unité de la voûte est complète. Mais que devient la salle? Que devient même, au point de vue décoratif, sous cette écrasante conception, la peinture du Jugement dernier?

      Dans la chapelle Sixtine, СКАЧАТЬ



<p>59</p>

La Bibliothèque impériale en possède quelques-uns d'une rare beauté.

<p>60</p>

Ces peintures datent de la seconde moitié du XIe siècle en grande partie.

<p>61</p>

Voyez la Notice sur les peintures de l'église de Saint-Savin.--M. Mérimée, auquel nous empruntons ce passage, ajoute un peu plus loin ces observations, que nous devons signaler. «... Presque toujours les figures se détachent sur une couleur claire et tranchante, mais il est difficile de deviner ce que le peintre a voulu représenter. Souvent une suite de lignes parallèles de teintes différentes offre l'apparence d'un tapis; mais cela n'est, je pense, qu'un espèce d'ornementation capricieuse, sans aucune prétention à la vérité, et le seul but de l'artiste semble avoir été de faire ressortir les personnages et les accessoires essentiels à son sujet. À vrai dire, ces accessoires ne sont que des espèces d'hiéroglyphes ou des images purement conventionnelles. Ainsi les nuages, les arbres, les rochers, les bâtiments, ne dénotent pas la moindre idée d'imitation; ce sont plutôt, en quelque sorte, des explications graphiques ajoutées aux groupes de figures pour l'intelligence des compositions.

«Blasés aujourd'hui par la recherche de la vérité dans les petits détails que l'art moderne a poussée si loin, nous avons peine à comprendre que les artistes d'autrefois aient trouvé un public qui admit de si grossières conventions. Rien cependant de plus facile à produire que l'illusion, même avec cette naïveté de moyens qui semblent l'éloigner. Assurément un mur de scène de marbre, avec sa décoration immobile, n'empêchait pas les Grecs de s'intéresser à une action qui devait se passer dans une forêt ou parmi les rochers du Caucase; et le parterre de Shakspeare, en voyant deux lances croisées au fond de la grange qui servait de théâtre, comprenait qu'une bataille avait lieu: la péripétie l'agitait, et chacun frémissait aux cris de Richard offrant tout son royaume pour un cheval. À côté de cette indifférence pour les détails accessoires, ou si l'on veut, de cette ignorance primitive, on remarque parfois une imitation très-juste et un sentiment d'observation très-fin dans les attitudes et les gestes des personnages. Les têtes, bien que dépourvues d'expression, se distinguent souvent par une noblesse singulière et une régularité de traits qui rappelle, de bien loin, il est vrai, les types que nous admirons dans l'art antique...»