Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3 - (C suite). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
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СКАЧАТЬ féodale renfermait un vaste espace couvert, qui servait de salle de réunion dans les solennités, lorsque le seigneur exerçait ses droits de justicier, lorsqu'il conviait ses vassaux soit pour des fêtes, soit pour prendre part à ses actes de chef militaire. En temps de siége, la grand'salle du château servait encore de logement à un supplément de garnison; en temps de paix, c'était encore un promenoir comme nos salles des Pas-Perdus annexées aux palais de justice modernes. Généralement, ces grand'salles étaient situées au premier ou même au second étage, le rez-de-chaussée servant de magasin, d'écurie, de réfectoire et de dépôts d'armes. N'étant couvertes que par la toiture, et les murs des châteaux ne pouvant être renforcés par des contre-forts qui eussent gêné la défense, ces salles n'étaient pas voûtées, mais de magnifiques charpentes, lambrissées à l'intérieur, formaient un abri sûr contre les intempéries de l'atmosphère.

      Le Palais de la Cité, à Paris, avait sa grand'salle couverte par un double berceau en tiers-point lambrissé reposant sur une rangée de piliers réunis par des archivoltes 9. Les châteaux de Montargis, de Coucy, de Pierrefonds, etc., possédaient d'immenses salles couvertes par des charpentes apparentes (voy. CHÂTEAU). Malheureusement toutes ces charpentes sont aujourd'hui détruites, et celles qui existent encore n'appartiennent qu'à des châteaux de second ordre. Nous en excepterons cependant le palais des comtes de Poitiers (palais de justice actuel de Poitiers), qui a conservé sa belle charpente de grand'salle, qui date du commencement du XVe siècle, l'archevêché de Reims et le palais de justice de Rouen 10.

      Parmi ces restes de l'art de la charpenterie du moyen âge, l'un des plus intéressants, des plus anciens et des plus complets, est la charpente de la grand'salle du château de Sully-sur-Loire, qui date de la fin du XIVe siècle. La grand'salle du château de Sully est située au troisième étage, à 14m,30 au-dessus du sol de la cour; c'est tout un système de construction de bois, admirablement entendu, qui couronne un long et large bâtiment fortifié, défendu par des machicoulis avec chemin de ronde, du côté extérieur donnant sur la Loire et du côté de la cour.

      Nous donnons d'abord (26) la coupe transversale de cette charpente. Les poutres qui portent les solives du plancher de la salle ont 0,63 c. d'épaisseur sur 0,50 c. de largeur et 11m,90 c. de portée. Ces poutres A sont soulagées par des corbeaux de pierre B. Du côté de la cour, d'autres corbeaux reçoivent la première sablière C qui pose du côté extérieur sur la tête du mur; cette sablière a 0,30 cm d'épaisseur sur 0,24 de largeur. Un second rang de sablières D de même équarrissage reçoit les jambettes E qui se courbent à leur extrémité pour s'assembler dans les chevrons. Du niveau du plancher au sommet de l'ogive formée par le lambris intérieur on compte 10m,20 c. Au-dessus du dernier plancher, le mur, réduit à une épaisseur de 0,95 c., s'élève jusqu'à une hauteur de 2m,00, reçoit deux sablières et sert de séparation entre la grand'salle et les chemins de ronde munis de machicoulis et de meurtrières. Les chemins de ronde, clos à l'extérieur par un parapet de 0,26 c. d'épaisseur, en pierre, sont couverts par de grands coyaux G raidis par de petites contre-fiches H taillées en courbe à l'intérieur, ainsi que le pied des coyaux, de manière à former un petit berceau en tiers-point sur ce chemin de ronde (voy. le détail X). On remarquera que les blochets P sont composés de deux moises venant saisir les jambettes et le pied des chevrons assemblés dans la sablière extérieure R.

      Il n'y a pas ici de fermes-maîtresses; la charpente consiste en une série de chevrons portant ferme, sans poinçons; mais tout le système est rendu solidaire (voy. fig. 27) par deux entre-toises K raidies par une succession de croix de Saint-André L et par de grandes écharpes croisées M assemblées à tiers-bois en dehors du chevronnage suivant sa pente. Ce sont surtout ces écharpes croisées, prises dans le plan des chevrons, qui maintiennent le roulement de la charpente. Des fourrures posées sur les chevrons rachètent la saillie que forment ces écharpes croisées sur le plan incliné du chevronnage et reçoivent la volige et l'ardoise. Les chevrons sont espacés de 0,63 c. d'axe en axe, et la volige est, par conséquent, très-épaisse, en chêne refendu. Les têtes des chevrons s'assemblent à mi-bois et ne portent pas sur un sous-faîte.

      Cette salle était éclairée par des lucarnes, comprenant deux entre-chevrons, figurées dans la coupe longitudinale (27) en N, et par des jours pris dans l'un des deux pignons en maçonnerie. Les chevrons, jambettes et esseliers courbes n'ont que 0,20c. sur 0,16c. d'équarrissage posés sur champ, et ainsi des autres bois en proportion; il semblait qu'alors les charpentiers cherchaient à répartir également le poids des charpentes de combles sur la tête des murs et à le réduire autant que possible. Du reste, tous ces bois sont des bois de brin et non de sciage, équarris à la hache avec grand soin, et bien purgés de leur aubier (voy. BOIS). C'est ce qui explique leur parfaite conservation depuis près de cinq siècles. Il n'est pas besoin de dire que cette charpente, à l'intérieur, est lambrissée au moyen de bardeaux cloués sur les courbes avec couvre-joints. Ces bardeaux sont généralement décorés de peintures, ainsi qu'on peut le voir encore dans la grand'salle du palais ducal de Dijon, dans l'église de Sainte-Madeleine de Châteaudun, etc. (voy. PEINTURE).

      La charpente de la grand'salle du château de Sully n'a pas, à proprement parler, d'entraits, comme elle n'a pas d'arbalétriers. C'est là une disposition exceptionnelle en France, ou du moins qui ne se rencontre que dans des cas particuliers comme celui-ci. Mais il faut observer que le chevronnage se rapproche beaucoup de la verticale, qu'il est très-léger et qu'enfin les jambettes qui s'assemblent dans la sablière posée au-dessus du plancher sont fortes et maintiennent la poussée des chevrons par leur courbure. Les entraits de cette charpente ne sont, par le fait, que les énormes poutres transversales du plancher qui retiennent l'écartement des murs.

      Mais si nous voulons voir des charpentes apparentes dont l'écartement est maintenu sans entraits, et au moyen d'un système d'assemblage différent de ceux que nous venons d'examiner, il faut aller en Angleterre. Quand, par exception, les Anglais ont armé les fermes de leurs charpentes d'entraits, il semble qu'ils n'aient pas compris la fonction de cette pièce, qui est, comme chacun sait, d'arrêter seulement l'écartement des arbalétriers; l'entrait ne doit rien porter, mais an contraire il a besoin d'être suspendu au poinçon au milieu de sa portée; car de sa parfaite horizontalité dépend la stabilité de la ferme. On trouve encore, en Angleterre, des charpentes du XIIIe siècle combinées de telle façon que l'entrait porte le poinçon (désigné sous le nom de poteau royal) et par suite toute la ferme. Dans ce cas, l'entrait est une énorme pièce de bois posée sur son fort. Depuis longtemps, en France, on élevait des charpentes dans lesquelles la fonction de l'entrait était parfaitement comprise et appliquée, que, de l'autre côté de la Manche, et probablement en Normandie, on persistait à ne voir dans l'entrait qu'un point d'appui. Il nous serait difficile de découvrir les motifs de cette ignorance d'un principe simple et connu de toute antiquité. Peut-être cela tient-il seulement à la facilité avec laquelle, dans ces contrées, on se procurait des bois d'un énorme équarrissage et de toutes formes. Ainsi, dans une salle, à Charney (Berkshire), dont la charpente remonte à 1270, nous trouvons un comble qui repose presque entièrement sur une poutre très-grosse, posée sur son fort, et qui, par le fait, tient lieu d'entrait en même temps qu'elle supporte tout le système de la charpente.

      Nous donnons (27 bis) en A une ferme principale et en B la coupe longitudinale de ce comble. Il se compose d'une série de chevrons armés d'entraits retroussés R et de liens. Les entraits retroussés reposent sur une forte filière F soulagée par des liens C reportant sa charge sur un poinçon D, posé lui-même sur l'entrait ou la poutre E.

      On comprendra que des constructeurs qui comprenaient si mal la fonction de l'entrait aient cherché à se priver de ce membre. СКАЧАТЬ



<p>9</p>

Voir la gravure de Ducerceau représentant l'intérieur de cette salle. (Bib. imp. des estampes. Coll. Callet.)

<p>10</p>

Les entraits de cette dernière charpente, qui date du commencement du XVe siècle, ont été coupés; elle s'est conservée cependant malgré cette grave mutilation.