Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 3 - (C suite). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
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СКАЧАТЬ des défenses aussi bien entendues, il n'y avait pas de surprises à craindre, pour peu que la garnison du château connût parfaitement ces nombreux détours, les ressources qu'ils présentaient, et qu'elle mît quelque soin de se garder. Une vue cavalière (18), prise du côté de la basse-cour, fera comprendre les dispositions intérieures et extérieures du château de Coucy 71.

      Il faut reconnaître qu'un long séjour dans un château de cette importance devait être assez triste, surtout avant les modifications apportées par le XIVe siècle, modifications faites évidemment avec l'intention de rendre l'habitation de cette résidence moins fermée et plus commode. La cour, ombragée par cet énorme donjon, entourée de bâtiments élevés et d'un aspect sévère, devait paraître étroite et sombre, ainsi qu'on peut en juger par la vue présentée (19) 72. Tout est colossal dans cette forteresse; quoique exécutée avec grand soin, la construction a quelque chose de rude et de sauvage qui rapetisse l'homme de notre temps. Il semble que les habitants de cette demeure féodale devaient appartenir à une race de géants, car tout ce qui tient à l'usage habituel est à une échelle supérieure à celle admise aujourd'hui. Les marches des escaliers (nous parlons des constructions du XIIIe siècle), les alléges des créneaux, les bancs sont faits pour des hommes d'une taille au-dessus de l'ordinaire. Enguerrand III, seigneur puissant, de moeurs farouches, guerrier intrépide, avait-il voulu en imposer par cette apparence de force extra-humaine, ou avait-il composé la garnison d'hommes d'élite? C'est ce que nous ne saurions décider. Mais en construisant son château, il pensait certainement à le peupler de géants. Ce seigneur avait toujours avec lui cinquante chevaliers, ce qui donnait un chiffre de cinq cents hommes de guerre au moins en temps ordinaire. Il ne fallait rien moins qu'une garnison aussi nombreuse pour garder le château et la basse-cour. Les caves et magasins immenses qui existent encore sous le rez-de-chaussée des bâtiments du château permettaient d'entasser des vivres pour plus d'une année, en supposant une garnison de mille hommes. Au XIIIe siècle, un seigneur féodal possesseur d'une semblable forteresse et de richesses assez considérables pour s'entourer d'un pareil nombre de gens d'armes, et pour leur fournir des munitions et des vivres pendant un siége d'un an, pouvait défier toutes les armées de son siècle. Or, le sire de Coucy n'était pas le seul vassal du roi de France dont la puissance fut à redouter. Les rudes travaux du règne de Philippe-Auguste avaient non-seulement donné un vif éclat à la couronne de France, mais présenté pour lui cet avantage d'occuper sans trève sa noblesse, dont la guerre était la vie. Toujours tenue en haleine par l'activité et l'ambition de Philippe-Auguste, qui avait à conquérir de riches provinces, à lutter contre des ennemis aussi puissants que lui, mais moins opiniâtres et moins habiles, la féodalité perdait ses loisirs, et trouvait, en secondant ce grand prince, un moyen de s'enrichir et d'augmenter ses domaines; en lui prêtant l'appui de son bras, elle augmentait la puissance royale, mais elle n'avait pas lieu de regretter ses services. Il faut se rappeler que la plupart des seigneurs féodaux étaient entourés d'un certain nombre de chevaliers qu'on ne soldait point, mais qui recevaient, suivant leurs mérites, une portion plus ou moins considérable de terre à titre de fief; une fois possesseurs de cette fraction du domaine seigneurial, ils s'y bâtissaient des manoirs, c'est-à-dire des maisons fortifiées sans donjon et sans tours, et vivaient ainsi comme propriétaires du sol, n'ayant que quelques droits à payer au seigneur, lui prêtant leur concours et celui de leurs hommes en cas de guerre, et lui rendant hommage. En prolongeant l'état de guerre, tout seigneur féodal avait donc l'espoir d'agrandir son domaine au détriment de ses voisins, d'augmenter les fiefs qui relevaient de la châtellenie, et de s'entourer d'un plus grand nombre de vassaux disposés à le soutenir.

      Philippe-Auguste, par ses conquêtes, put satisfaire largement cette hiérarchie d'ambitions, et, quoiqu'il ne perdît aucune des occasions qui s'offrirent à lui d'englober les fiefs dans le domaine royal, de les diviser et de diminuer l'importance politique des grands vassaux, en faisant relever les petits fiefs directement de la couronne; cependant il laissa, en mourant, bon nombre de seigneurs dont la puissance pouvait porter ombrage à un suzerain ayant un bras moins ferme et moins d'activité à déployer. Si Philippe-Auguste eût vécu dix ans de plus et qu'il eût eu à gouverner ses provinces en pleine paix, il est difficile de savoir ce qu'il aurait fait pour occuper l'ambition des grands vassaux de la couronne, et comment il s'y serait pris pour étouffer cette puissance qui pouvait se croire encore rivale de la royauté naissante. Le court règne de Louis VIII fut encore rempli par la guerre; mais pendant la minorité de Louis IX, une coalition des grands vassaux faillit détruire l'oeuvre de Philippe-Auguste. Des circonstances heureuses, la division qui se mit parmi les coalisés, l'habileté de la mère du roi, sauvèrent la couronne; les luttes cessèrent, et le pouvoir royal sembla de nouveau raffermi.

      Un des côtés du caractère de saint Louis qu'on ne saurait trop admirer, c'est la parfaite connaissance du temps et des hommes au milieu desquels il vivait; avec un esprit de beaucoup en avance sur son siècle, il comprit que la paix était pour la royauté un dissolvant en face de la féodalité ambitieuse, habituée aux armes, toujours mécontente lorsqu'elle n'avait plus d'espérances d'accroissements; les réformes qu'il méditait n'étaient pas encore assez enracinées au milieu des populations pour opposer un obstacle à l'esprit turbulent des seigneurs. Il fallait faire sortir de leurs nids ces voisins dangereux qui entouraient le trône, user leur puissance, entamer leurs richesses; pour obtenir ce résultat, le roi de France avait-il alors à sa disposition un autre moyen que les croisades? Nous avons peine à croire qu'un prince d'un esprit aussi droit, aussi juste et aussi éclairé que saint Louis n'ait eu en vue, lorsqu'il entreprit sa première expédition en Orient, qu'un but purement personnel. Il ne pouvait ignorer qu'en abandonnant ses domaines pour reconquérir la terre sainte, dans un temps où l'esprit des croisades n'était rien moins que populaire, il allait laisser en souffrance les grandes réformes qu'il avait entreprises, et que devant Dieu il était responsable des maux que son absence volontaire pouvait causer parmi son peuple. Le royaume en paix, les membres de la féodalité entraient en lutte les uns contre les autres; c'était la guerre civile permanente, le retour vers la barbarie; vouloir s'opposer par la force aux prétentions des grands vassaux, c'était provoquer de nouvelles coalitions contre la couronne. Entraîner ces puissances rivales loin de la France, c'était pour la monarchie, au XIIIe siècle, le seul moyen d'entamer profondément la féodalité et de réduire ces forteresses inexpugnables assises jusque sur les marches du trône. Si saint Louis n'avait été entouré que de vassaux de la trempe du sire de Joinville, il est douteux qu'il eût entrepris ses croisades; mais l'ascendant moral qu'il avait acquis, ses tentatives de gouvernement monarchique n'eussent pu rompre peut-être le faisceau féodal, s'il n'avait pas occupé et ruiné en même temps la noblesse par ces expéditions lointaines. Saint Louis avait pour lui l'expérience acquise par ses prédécesseurs, et chaque croisade, quelle que fut son issue, avait été, pendant les XIe et XIIe siècles, une cause de déclin pour la féodalité, un moyen pour le suzerain d'étendre le pouvoir monarchique. Quel moment saint Louis choisit-il pour son expédition? C'est après avoir vaincu la coalition armée, à la tête de laquelle se trouvait le comte de Bretagne, après avoir protégé les terres du comte de Champagne contre les seigneurs ligués contre lui, c'est après avoir délivré la Saintonge des mains du roi d'Angleterre et du comte de la Marche, c'est enfin après avoir donné la paix à son royaume avec autant de bonheur que de courage, et substitué la suzeraineté de fait à la suzeraineté de nom. Dans une semblable occurrence, la paix, le calme, les réformes et l'ordre pouvaient faire naître les plus graves dangers au milieu d'une noblesse inquiète, oisive, et qui sentait déjà la main du souverain s'étendre sur ses priviléges.

      Il est d'ailleurs, dans l'histoire des peuples, une disposition morale à laquelle, peut-être, les historiens n'attachent pas assez d'importance, parce qu'ils ne peuvent pénétrer dans la vie privée des individus; c'est l'ennui. Lorsque la guerre était terminée, lorsque l'ordre renaissait et par suite l'action du gouvernement, que pouvaient faire ces seigneurs féodaux dans leurs châteaux fermés, entourés de leurs familiers et gens d'armes? S'ils passaient les journées à la chasse et СКАЧАТЬ



<p>71</p>

Cette vue est faite au moyen des ruines existantes et de la vue donnée par Ducerceau dans ses plus excellents bâtiments de France. Nous avons figuré, au sommet du donjon et de la tour de droite, une portion de hourds posés.

<p>72</p>

Cette vue de l'intérieur de la cour du château de Coucy est supposée prise à côté de la chapelle regardant l'entrée. À droite, on voit se dresser le donjon avec sa poterne et son pont à bascule; au troisième plan est la porte principale et la chemise; au premier plan, la chapelle et le commencement du degré montant au chemin de ronde de la chemise.