La Nation canadienne. Ch. Gailly de Taurines
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Название: La Nation canadienne

Автор: Ch. Gailly de Taurines

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ en droits de mouture dans le moulin banal qu'il était obligé de construire. Ainsi, pas de récolte chez le censitaire, point de revenus chez le seigneur; la richesse de l'un dépend de la prospérité de l'autre. Mais pour que de son côté le censitaire n'ait pas la tentation de laisser ses terres incultes, il doit, tant qu'il les occupe, payer au seigneur une légère redevance annuelle.

      Les obligations imposées par la loi au seigneur étaient rigoureusement observées. S'il refusait ou négligeait de concéder ses terres, l'intendant était autorisé à le faire d'office, par un arrêt dont l'expédition devenait un titre de propriété pour le censitaire. Un arrêt de 1711 va même plus loin: il ordonne la confiscation des seigneuries dont les terres ne seraient pas concédées dans l'espace de deux années14.

      La construction du moulin banal était un devoir tout aussi strictement exigé; et si le seigneur oubliait de s'y conformer, il s'exposait, d'après un édit de 1686, à voir son droit de banalité éteint au bout d'une année15.

      Le seigneur canadien était loin de jouir de privilèges exorbitants. La somme de ses devoirs était au moins équivalente à celle de ses droits. Pour tirer parti de son domaine, il était nécessaire qu'il y résidât lui-même et en cultivât pour son compte une portion; il n'était pas assuré d'arriver à la richesse, et les rapports des gouverneurs nous montrent plusieurs familles de seigneurs canadiens, – même parmi celles qui appartenaient à la noblesse, – obligées de prendre part elles-mêmes au travail des champs: «Je dois rendre compte à Monseigneur, écrivait au ministre le gouverneur M. de Denonville, en 1686, de l'extrême pauvreté de plusieurs familles… toutes nobles ou vivant comme telles. La famille de M. de Saint-Ours est à la tête. Il est bon gentilhomme du Dauphiné (parent du maréchal d'Estrade) chargé d'une femme et de dix enfants. Le père et la mère me paroissent dans un véritable désespoir de leur pauvreté. Cependant les enfants ne s'épargnent pas car j'ai vu deux grandes filles couper les blés et tenir la charrue.»

      M. de Denonville nommait encore les Linctot, les d'Ailleboust16, les Dugué, les Boucher, les Chambly, les d'Arpentigny, les Tilly.

      Au début de la colonisation, la propriété seigneuriale garda au Canada les formes et la procédure un peu archaïque qu'elle n'avait même plus en France. Qu'on en juge par ce procès-verbal rédigé le 30 juillet 1646 à propos d'une contestation entre le sieur Giffard, seigneur de Beauport, et l'un de ses censitaires, Jean Guyon: «Ledit Guyon s'est transporté en la maison seigneuriale de Beauport et à la principale porte et entrée de ladite maison; où étant ledit Guyon aurait frappé et seroit survenu François Boullé, fermier dudit seigneur de Beauport, auquel ledit Guyon auroit demandé si le seigneur de Beauport étoit en sa dite maison seigneuriale de Beauport, ou personne pour lui ayant charge de recevoir les vassaux à foi et hommage… Après sa réponse et à la principale porte, ledit Guyon, s'est mis à genouil en terre nud teste, sans espée ni esperons, et a dit trois fois en ces mots: «Monsieur de Beauport, monsieur de Beauport, monsieur de Beauport, je vous fais et porte la foy et hommage que je suis tenu de vous faire et porter, à cause de mon fief du Buisson duquel je suis homme de foy, relevant de votre seigneurie de Beauport, laquelle m'appartient au moyen du contrat que nous avons passé ensemble par devant Roussel à Mortagne le 14e jour de mars mil six cent trente-quatre, vous déclarant que je vous offre payer les droits seigneuraux et féodaux quand dus seront, vous requérant me recevoir à la dite foy et hommage17.» Le résultat pratique de cette pompeuse procédure est la promesse, faite par le censitaire à la fin du procès-verbal, d'acquitter les droits qu'il avait sans doute omis de payer jusqu'alors. Détour bien long et bien curieux pour en arriver là; curieux surtout lorsque, sous la pompe des qualifications, l'on reconnaît les personnages: le seigneur de Beauport un chirurgien de province, son manoir une ferme, son vassal, Jean Guyon, un maçon du Perche, qui eût été bien embarrassé sans doute de se présenter autrement que sans espée ni esperons devant la porte de son seigneur.

      Ces formes vieillies ne furent guère appliquées au Canada et cet exemple curieux est peut-être le seul que l'on cite. Il en est de même pour un droit qui, en Europe, avait été attaché à la propriété féodale: le droit de justice. Il avait déjà à peu près disparu en France au dix-septième siècle. Au Canada il demeura en fait lettre morte. Ce n'est qu'en 1714, il est vrai, qu'un édit défendit d'accorder des seigneuries «en justice», mais jusque-là, comme pour entretenir des tribunaux, les seigneurs auraient été obligés d'en supporter tous les frais, ils se gardèrent d'user du droit onéreux qui leur était laissé, et l'administration judiciaire tout entière demeura aux magistrats du Roi.

      «La vérité historique, affirme l'historien canadien Garneau, nous oblige à dire que cette juridiction, dans le très petit nombre de lieux où elle a été exercée, ne paraît avoir fait naître aucun abus sérieux, car elle n'a laissé, ni dans l'esprit des habitants, ni dans la tradition, aucun de ces souvenirs haineux qui rappellent une ancienne tyrannie18

      Ainsi les concessions seigneuriales, loin d'être un abus, une entrave à la colonisation, comme l'ont prétendu certains historiens américains, furent au contraire très favorables au peuplement et à la mise en valeur des colonies; elles favorisaient l'émigration parmi la classe aisée et encourageaient la culture des terres.

      Le système colonial de Colbert fut en somme judicieux et habile. Il eut cependant un défaut, et ce défaut devait faire la faiblesse de l'œuvre tout entière et devenir une des causes de sa ruine: l'excès de centralisation!

      Tandis que les colonies anglaises jouissaient d'une liberté locale qui laissait toute latitude à leur initiative et facilita leur merveilleux développement, les colonies françaises demeurèrent toujours soumise à une étroite sujétion envers leur métropole. Règlements, ordonnances, tout arrivait de France, et c'est du ministère que la colonie était gouvernée. Jamais il ne fut permis aux colons de prendre la moindre part à l'administration de leur propre pays, même dans les affaires qui ne touchaient qu'aux intérêts locaux.

      Non seulement les habitants étaient tenus en tutelle, mais le gouverneur général lui-même n'était pas libre de gouverner à sa guise; c'est à Paris qu'il devait prendre le mot d'ordre, et lorsqu'en 1672 le comte de Frontenac voulut essayer de consulter les Canadiens sur leurs intérêts, et réunit une assemblée qu'il nomma avec un peu d'emphase les États généraux de la colonie, il s'attira, de la part du ministre, une assez sévère réprimande: «Il est bon d'observer, lui mandait celui-ci, que comme vous devez toujours suivre dans le gouvernement de ce pays-là les formes qui se pratiquent ici, et que nos rois ont estimé du bien de leur service, depuis longtemps, de ne pas assembler les États généraux de leur royaume, pour, peut-être, anéantir cette forme ancienne, vous ne devez aussi donner que très rarement, pour mieux dire jamais, cette forme au corps des habitants du dit pays19

      Ainsi, pas d'assemblées générales; celles-là, à la rigueur, les Canadiens pouvaient s'en passer, mais ce qui est plus grave, c'est que les assemblées locales elles-mêmes furent interdites, et les intérêts municipaux confiés à l'administration, sans que les habitants eussent aucune part au règlement de questions qui les touchaient de si près. La nomination même d'un syndic, choisi pour transmettre au gouvernement leurs vœux et leurs réclamations, est rigoureusement prohibée. Dans la dépêche citée plus haut Colbert ajoute: «Il faudra même, avec un peu de temps, et lorsque la colonie sera devenue plus forte qu'elle n'est, supprimer insensiblement le syndic qui présente des requêtes au nom de tous les habitants, il est bon que chacun parle pour soi et que personne ne parle pour tous20

      Quand, en 1721, pour les besoins de l'organisation religieuse, les habitations répandues sur СКАЧАТЬ



<p>14</p>

Voy. Turcotte, le Canada sous l'Union, t. II, p. 245. Québec, 1871, 2 vol. in-18.

<p>15</p>

Arrêt du 4 juin 1686: «Le Roi étant en son conseil, ayant été informé que la plupart des seigneurs qui possèdent des fiefs dans son pays de la Nouvelle-France négligent de bâtir des moulins banaux nécessaires pour la subsistance des habitants dudit pays, et voulant pourvoir à un défaut si préjudiciable à l'entretien de la colonie, Sa Majesté étant en son conseil, a ordonné et ordonne que tous les seigneurs qui possèdent des fiefs dans l'étendue dudit pays de la Nouvelle-France seront tenus d'y faire construire des moulins banaux dans le temps d'une année après la publication du présent arrêt; et ledit temps passé faute par eux d'y avoir satisfait, permet Sa Majesté à tous particuliers de quelque qualité et condition qu'ils soient, de bâtir lesdits moulins leur en attribuant à cette fin le droit de banalité, faisant défense à toute personne de les y troubler.» (Cité par Lareau, Histoire du droit canadien, t. I, p. 191. Montréal, 1889, 2 vol. in-8º.)

<p>16</p>

Les d'Ailleboust, dont il est question, étaient les enfants de Louis d'Ailleboust, qui avait été gouverneur du Canada de 1628 à 1651. Sa famille était originaire d'Allemagne. Venu en France, son grand-père avait été anobli comme premier médecin du Roi.

<p>17</p>

De La Sicotière, l'Émigration percheronne au Canada. Alençon, 1887, broch. in-8º.

<p>18</p>

Garneau, Histoire du Canada, t. I, p. 182.

<p>19</p>

Lettres et instructions de Colbert (30 juin 1673) au comte de Frontenac. (Correspondance de Colbert, 2e part., t. III, p. 558.)

<p>20</p>

Mignault, Manuel de droit parlementaire, p. 35. Montréal, 1889, in-12.

L'élection des syndics demeura-tant qu'elle eut lieu-si subordonnée au pouvoir, qu'elle ne devait pas pourtant être considérée comme bien dangereuse. En 1664, lors de l'élection d'un syndic de Québec, le gouverneur, M. de Mézy, choisit lui-même les électeurs, et ne convoqua par billet que les personnes «non suspectes». (Garneau, t. I, p. 179.)