Название: La coucaratcha. II
Автор: Эжен Сю
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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A ce bruit, Catherine leva la tête.
Le beau coureur leva la tête.
Et tous deux, voyant Belissan si tigré, si moucheté, si colère, si pâle, si singulier, si effaré, partirent d'un éclat de rire prolongé, dans lequel le timbre pur et frais de la jolie Catherine se mêlait à la basse sonore et retentissante du coureur.
Belissan fit une grimace colérique et un geste de possédé.
Et le duo de rire recommença de plus belle; seulement, le rire sec et cassé du mercier, vint gâter l'harmonie.
Belissan ne se possédant plus, s'avança contre le coureur en levant une aune; mais au même instant ses deux poignets furent emprisonnés de la large main du coureur et il entendit l'honnête gantier s'écrier: Comment! vous osez porter la main sur un des gens de M. le marquis de Beaumont, dont nous espérons avoir la pratique! pour un ami, c'est mal à vous, monsieur Belissan.
Et Catherine aussi lui dit aigrement:
– Eh! quand on est fait de la sorte, on ne vient pas chez les gens.
Et le beau coureur reprit:
– Mon petit monsieur, sans les beaux yeux de cette jolie demoiselle, vous passiez par la porte, vrai comme je m'appelle Almanzor, vrai comme j'ai l'honneur d'être au service de M. le marquis de Beaumont.
– Pardonnez-lui pour cette fois, monsieur Almanzor, dit Catherine d'un air caressant, en lorgnant le beau coureur.
– Allez vous changer… vous nous faites peur, monsieur Belissan, dit le gantier en contraignant à peine un éclat de rire.
– Il y a un baigneur étuviste, là-bas au numéro 15, dit enfin Almanzor en conduisant Belissan à la porte de la boutique avec une politesse moqueuse…
Le clerc se croyait sous l'obsession d'un affreux cauchemar… il ne répondit pas un mot, n'entendit rien, ne vit rien, partit comme un trait, et ne s'arrêta qu'aux Champs-Elysées.
Et encore il ne s'arrêta que parce qu'il se heurta avec un homme qui s'écria: Tiens, c'est Belissan!
Belissan rappela ses esprits…
– Qui me parle? où suis-je? que me veut-on?.. soupira-t-il.
– C'est moi, Lucien, qui te parle; tu es aux Champs-Elysées, crotté jusqu'à l'échine. Je veux te dire adieu, car je vais au Hâvre.
– Tu vas au Hâvre? Je pars avec toi!
– Mais je pars aujourd'hui, à l'instant!
– Je pars aujourd'hui, à l'instant!
– Je prends le coche; je vais par eau…
– J'irai par eau, par le coche, par le diable; mais je veux quitter cet infâme Paris; je veux aller vivre dans un désert, dans une île où tout me soit égal et où je sois égal à tout… Comprends-tu, Lucien?..
– Non, mais l'heure presse… Viens-tu?.. Mais enfin du linge… des vêtements?
– Tu m'en prêteras, Lucien, répondit Belissan avec une touchante mélancolie, tu m'en donneras des vêtements; les hommes sont frères.
– De l'argent.
– Je partagerai avec toi, bon Lucien; les hommes sont égaux, va.
– A la bonne heure! dit Lucien;
Il est malade ou fou, pensa-t-il; ce petit voyage ne peut que lui faire du bien, je l'emmène.
– Adieu, vil égout, vil Paris, dit dédaigneusement le clerc en se jetant sur le coche.
Et voilà comment Claude Belissan quitta Paris.
CHAPITRE II.
Comment le royaume de France fut désormais privé de Claude Belissan
Le capitaine Dufour, commandant le trois mâts la Comtesse de Cérigny, n'attendait plus qu'un passager ou deux pour partir du Hâvre et se rendre à sa destination. Il devait porter d'abord des marchandises dans la mer du Sud, les vendre, aller ensuite aux Moluques acheter des épiceries, et revenir par le cap de Bonne-Espérance; c'était une circumnavigation, presque le tour du monde.
Un matin son mousse lui annonça un monsieur.
– Qu'est-ce que c'est que ça, mousse?
– Un pâlot, capitaine, qui a une queue.
– Fais entrer le pâlot.
Le pâlot entre; c'était Belissan.
– Monsieur, dit-il au capitaine, votre vaisseau va partir prochainement?
– Oui, Monsieur, je n'attends plus qu'un passager, et je désirerais bien que ce fût vous, répondit fort spirituellement le capitaine.
– C'est possible, dit Belissan, pourvu que vous me conduisiez dans une île…
– Dans quelle île, Monsieur?
– Dans une île quelconque, Monsieur, cela m'est égal, pourvu que ce soit dans une île, une île déserte ou sauvage, dans laquelle je ne rencontre ni grands seigneurs, ni chevaux danois, ni coureurs, ni filles trompeuses. Dans une île, reprit Belissan avec une agitation croissante, où l'égalité soit proclamée comme le seul des biens, dans une île déserte, sauvage, où je puisse savourer à mon aise le premier, le plus inestimable de tous les dons octroyés aux humains; dans une île…
Permettez, dit le capitaine Dufour, persuadé qu'il n'interrompait qu'un fou, est-ce bien sérieusement que vous me dites tout cela?
– Il me semble que je n'ai pas l'air de crever de rire, objecta sourdement Belissan.
– Alors, Monsieur, il m'est impossible de vous prendre à mon bord; je vous le répète, je vais à Callao, dans la mer du Sud, puis je reviens par la mer des Indes. Mais attendez donc, pourtant, si en route vous voulez descendre à Otahity, nous y relâcherons sans doute, et…
– Vous relâcherez à Otahity, la nouvelle découverte de Bougainville, la Cythère du nouveau monde! j'irai à Otahity… nation généreuse et nouvelle! Là, pas de coureurs, de marquis, de chevaux danois; là une existence douce et pure comme l'eau de ses ruisseaux; là du soleil; là des fleurs; là des arbres pour tous, là une nature primitive et bonne, là pas de différences sociales; là des frères; là des sœurs. A Otahity, monsieur le capitaine! A Otahity!.. j'abjure mon titre d'Européen: dégénéré, abruti par la civilisation, je reviens à mon état de nature, dont je suis fier. – J'étais descendu homme, je remonte sauvage! (Ici une pose académique; ici Claude se dresse sur ses pieds et tâche de grandir sa petite taille et de se draper à l'antique avec son habit de ratine, qui s'y refuse.) A Otahity! Là, pas de Dieu qui prenne un malin plaisir à contrarier nos projets, là, pas de roi, là, pas de courtisans, de vils courtisans qui dévorent la substance du peuple, là, pas de ces insignes stupides, de ces habits ridicules qui classent et numérotent votre position sociale… A Otahity!.. O Voltaire! O Dalembert! O Diderot! O philosophes, lumière éternelle des nations! c'est là que vous devriez être, c'est à Otahity que votre véritable СКАЧАТЬ