Le notaire de Chantilly. Gozlan Léon
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Название: Le notaire de Chantilly

Автор: Gozlan Léon

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ qu'il plaît à un ministre. Vous avez fait des préparatifs pour aller en Espagne, par exemple, vous avez étudié la langue de cette contrée, ses mœurs, compté sur tels incidents qu'elles offrent: tout à coup le télégraphe vous ordonne de vous embarquer pour Alger. Votre imagination avait rêvé les carnavals de Madrid, et vous recevez l'ordre d'aller camper sur l'Atlas, parmi les Bédouins.

      – Qui a jamais prétendu, madame, que la guerre fût un voyage d'agrément?

      – Ce n'est pas moi, colonel. Et je ne parle pas de vos femmes, qui passent six mois de l'année à douter si elles sont ou si elles ne sont pas veuves.

      – En pareil cas, j'avoue, madame, répliqua en riant le colonel Debray, qu'une bonne certitude conviendrait mieux; surtout à présent que l'art de la guerre est si perfectionné, que certaines machines peuvent faire quinze cents veuves par coup. La vapeur a extrêmement simplifié l'état civil.

      – Mais c'est odieux, colonel; on détruit par ce moyen une armée de cinquante mille hommes en quelques minutes. Ne serait-il pas plus raisonnable de se dire de souverain à souverain: Combien d'hommes avons-nous à faire tuer de part et d'autre? – Tant! – Tuons-les chez nous.

      – La précision de votre raisonnement, madame, indique ce qui sera bientôt: on ne se battra plus du tout. Dès qu'on saura que la bravoure personnelle n'entre pour rien, absolument pour rien, dans le résultat d'une bataille; que la victoire dépendra de quelques chaudières de plus ou de moins de vapeur; dès que la valeur figurera comme deux roues, quelques sacs de charbon et quatre balanciers, et que la gloire enfin sera représentée comme une force de trois mille chevaux, chacun restera chez soi. Ainsi l'humanité doit compter, madame, sur la paix universelle, du jour où elle aura découvert le moyen de tuer trois cent mille hommes d'un seul coup.

      – C'est consolant, colonel.

      – Mais, comme ce procédé n'est pas encore inventé, et que chacun de nous est susceptible de remplir de sa vie la lacune qui nous sépare de sa réalisation, j'ai résolu, mon cher Maurice, de prendre quelques petites précautions avant d'entrer en campagne.

      – M'apporteriez-vous votre testament, colonel?

      – Non, cela est inutile: tous mes biens vont de droit à ma femme.

      – Je le sais.

      – Mes bons amis, j'ai des intérêts aussi chers, plus chers que les miens, à mettre à l'abri des coups du sort: ce sont ceux qui m'ont été confiés.

      Avant de prolonger sa phrase, Debray marqua une longue pause; son regard indécis allait de Maurice à Léonide, comme s'il eût sollicité de lui ou d'elle une diversion indispensable à l'éclaircissement de sa pensée.

      – Je sais ce qu'il espère, réfléchit Léonide tout en conservant son impassibilité; mais je resterai.

      Maurice était au moins aussi gêné dans son attitude que le colonel Debray, qui, à trois fois, reprit et suspendit la confidence dont il avait fait l'unique motif de sa visite à Maurice.

      Découragé enfin de la détermination de Léonide à ne pas s'en aller, et trop avancé pour changer de propos sans inconvenance, le colonel Debray entama son récit avec un dépit mal déguisé.

      – Sous la restauration, j'étais intimement lié avec un officier des gardes-du-corps, jeune homme de famille noble, laquelle vivait en communauté de voisinage avec la mienne; il était d'un cœur élevé, d'un esprit vaste, de conduite loyale: nous avions commencé ensemble nos études militaires à Saint-Cyr, pour les achever plus tard à Saumur: c'était mon ami. La crise de 1830 vint nous diviser d'opinion, en nous apprenant que nous devions en avoir une. J'étais dans le 51e de ligne; il était dans le 1er de la garde: on nous fit marcher l'un sur l'autre dans les rues de Paris. C'était le 27 juillet. Voilà peut-être l'origine de l'obstination qu'il mit à défendre des idées pour lesquelles il avait tiré son premier coup de fusil. Mon régiment, vous ne l'ignorez pas, fut un des premiers qui passèrent du côté du peuple. Le 28, nous nous trouvâmes face à face, isolés, sur la place de l'Hôtel de-Ville, en présence de son parti armé et du mien, lui un fusil à la main, moi une carabine à l'épaule. Nous fîmes feu tous les deux en même temps: c'était un devoir; mais lui au-dessus de ma tête, moi à ses pieds. Le lendemain, jour décisif, il fut blessé mortellement à la défense des Tuileries. Je ne le revis plus que deux mois après, aux environs de Rennes, devenu inutile à sa cause comme soldat, languissant dans une de ses propriétés. Loin de l'affreuse mêlée où mon opinion avait triomphé de la sienne et non mon amitié, nous redevînmes frères. Vainement je l'engageai au repos: l'homme de parti ne m'écouta pas. Il voulut encore servir sa cause de sa puissante imagination stratégique, et des immenses ressources que lui offrait l'intelligence exacte des localités de la Vendée, où couraient des bruits sourds de guerre civile. En peu de jours, au moyen d'une correspondance active, servie à souhait par les inimitiés nées de la fermentation politique, à la faveur des appels d'insurrection que des émissaires défrayés par mon ami allèrent répandre avec de l'or dans les campagnes de l'Ouest, il devint l'âme d'une conspiration générale. Malgré la mort suspendue sur son lit, il dressa un travail qui, en dépit de quelques espérances exagérées, renfermait une organisation complète de résistance offensive. Dans ce travail étaient évalués les sacrifices de tout genre qu'avaient à supporter les riches propriétaires de la Vendée afin de procurer du pain et des munitions aux paysans: chaque bourg, chaque hameau, chaque feu, y était marqué avec la part qu'il lui était commandé de prendre à l'insurrection. Les balles de fusil étaient, pour ainsi dire, comptées. La part des trahisons et des dévouements était faite: rien d'imprévu. Sans une disproportion de forces inimaginable, ce plan devait réussir. Cet espoir nourri de science et d'exaltation retenait seul le dernier souffle de vie de mon ami. La mort fut plus forte que la volonté: il mourut dans mes bras; et c'est à moi, malgré mon opinion si opposée à la sienne, qu'il voulut confier ce plan de conspiration, de campagne et de guerre civile, me suppliant de ne le remettre qu'à un général dont il exhala le nom en expirant.

      Ce général, mieux avisé depuis, moins dévoué en tout temps peut-être que ne le supposait mon ami, a, par sa conduite, rendu impossible cette restitution. Il a engagé son épée au service de l'État. Resté seul possesseur de ce plan, tant que les révoltés n'ont détruit que nos récoltes, n'ont incendié que nos granges, je l'ai respecté: en faisant sauter ce cachet, je pouvais sauver de la ruine mes propriétés et celles de ma mère: il n'y avait pas là assez de motifs pour violer un dépôt. Je laissai brûler. Aujourd'hui que les rebelles, suivant par induction le plan de mon ami, ont une armée, des chefs, presque un gouvernement, ma conscience hésite à céler ces papiers plus longtemps. Puisque le secret de la rébellion organisée s'y trouve, celui de sa destruction y est nécessairement enfermé aussi. Il y va donc du repos du pays. Le gouvernement me sait l'héritier de ce plan par suite de l'indiscrétion du général à qui il était primitivement destiné par mon ami. Le ministre de la guerre en connaît l'importance; il le réclamera, je m'y attends. J'éprouve, mon ami, quelque répugnance à le lui remettre, et je manque de courage pour le lui refuser. Tremblant devant ma conscience, tremblant devant mon pays, quelle que soit ma décision, j'ai peur du remords. Agissez à ma place. Vous avez plus de lumières, autant de patriotisme que moi. Votre erreur ne sera qu'une erreur: la mienne serait un crime. Que deviendraient ces notes si importantes si je venais à mourir pendant la campagne d'Afrique, où je puis être appelé? Les emporter avec moi, ne serait-ce pas les exposer aux vicissitudes de la guerre? En les laissant dans ma famille, qui m'assure que ma femme, très-insoucieuse de ces papiers sans valeur apparente, en acquitterait la restitution en temps opportun? Votre patriotisme m'est connu, Maurice, c'est à vous que je les livre. J'écrirai demain au ministre que ce funeste plan est entre vos mains; il s'adressera à vous lorsqu'il en aura besoin. Le voici. Un simple reçu de vous, Maurice, et ma conscience sera tranquille. A l'heure de nouvelles nécessités, – et cette СКАЧАТЬ