Le notaire de Chantilly. Gozlan Léon
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Название: Le notaire de Chantilly

Автор: Gozlan Léon

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ Caroline! pardon, mais je ne vous savais pas là. Ces maudits journaux! voilà à quoi ils sont bons. Tenez que je n'aie rien dit: ce que j'ai dit est si vieux! c'est de l'histoire: – Triste histoire! murmura M. Clavier, en hochant sa tête blanche.

      Et comme cela avait toujours lieu après les tempêtes où sa colère politique éclatait, il ramena tendrement Caroline vers lui, l'appuya sur son épaule, et, après avoir séparé ses beaux cheveux sur son front avec des doigts maigres et tremblants, il y déposa un long baiser.

      – Que ce soit la dernière fois, dit-il, étouffé par ses sanglots, que nous nous serons entretenus de pareils souvenirs. Le passé est à Dieu, qu'il en soit le juge, mon enfant!

      Cette scène, qui n'était pas la première de ce genre, se renouvelait de loin en loin, comme une espèce d'expiation dans la maison de M. Clavier. Elle avait profondément altéré le calme dont jouissaient quelques heures auparavant la jeune fille et le vieillard. Un nuage sanglant avait passé sur un lac tranquille; mais il n'avait fait que passer.

      M. Clavier se retira à pas lents dans son appartement, laissant Caroline abîmée dans la rêverie; rêverie douce où la haine n'avait aucune place. C'est le privilége des grandes douleurs d'être suivies d'une longue volupté de l'âme.

      En s'assoupissant, le vieillard se répéta encore tout bas: «Ne pas oublier d'aller demain chez M. Maurice, mon notaire. Ce qui vient de se passer m'avertit qu'il est temps.»

      Caroline, dès que M. Clavier fut parti, tira de la poche de son tablier une lettre que le facteur lui avait remise avec le journal, et la lut jusqu'à minuit: cette lettre ne contenait pourtant que dix lignes.

      M. Clavier avait peut-être raison: il était temps.

      II

      Heureuse la vie de province! Qui ne s'est dit cela, du fond d'une diligence, en traversant, emporté par quatre roues, quelques-unes de nos jolies petites villes de France, et en voyant passer, comme le paradis passe devant les yeux des damnés, ces maisons basses et tranquilles, et qui ont un reflet de la mansuétude de ceux qui les habitent? L'âme des propriétaires n'est pas moins nette que les trois marches de leur escalier extérieur; elle n'est pas plus resplendissante que le marteau de cuivre des portes; elle est aussi blanche que les rideaux qui étalent la pureté de leurs plis à travers les carreaux. A travers ces carreaux, admirez la table mise; ne craignez pas de dérober un détail à votre curiosité: le coin du tableau qui vous a échappé, vous le retrouverez plus loin; la table est mise partout; abattez les cloisons avec votre imagination, et la ville vous offrira une seule table de trois mille couverts; car il est midi, et l'on dîne dans toute la ville.

      Chantilly, malgré son voisinage de Paris, – il n'en est qu'à dix lieues, – ressemble déjà beaucoup à la province: la ville, – le titre est peut-être ambitieux, mais on exagère toujours le mérite de ce qu'on aime, – la ville ne se compose que d'une seule rue qui ferait honneur à une capitale; mais les maisons de cette unique rue, hautes et fières d'un côté, descendent à l'humble niveau d'un pavillon du côté qui regarde la pelouse. Ce contraste trahit l'origine moitié féodale, moitié libre, de Chantilly. Un des Condés, dans un jour de largesse, au retour de la chasse, distribua, par concessions égales, des morceaux de terrain à chaque pauvre habitant, tous alors serfs, domestiques, piqueurs ou gardes-chasses du prince; mais il leur fut défendu, en bâtissant sur ces terrains, de s'allonger, sous peine d'empiéter sur le domaine du voisin, ni de s'élargir sans mordre sur la pelouse. Les modernes systèmes égalitaires n'auraient pas mieux imaginé pour tracer un terme à l'ambition de la propriété. Aussi en est-il résulté que les pauvres et les riches de Chantilly sont toujours restés à la même distance les uns des autres. A la même distance, disons-nous, et non à la même hauteur; car, ne pouvant s'agrandir, les propriétés de Chantilly se sont élevées à raison de l'accroissement des fortunes. Quelques-unes ont cinq étages; beaucoup sont déjà au niveau du château. Ces bergers, ces gardes-chasses du prince sont devenus de riches industriels, et la considération dont ils jouissent se mesure à la hauteur des pignons. Dieu veuille qu'ils n'aient jamais des descendants des Condés pour valets de ferme!

      Dans cette rue de Chantilly, vers le milieu, si vous avisez une maison dont la porte, toujours ouverte, laisse apercevoir une cour pavée où un cabriolet dételé repose sur ses brancards, au delà de laquelle le Parisien, avide de campagne, admire un paysage encadré dans les montants de la porte; si, par cette porte, d'où s'échappe, l'été, un parfum de chèvrefeuille et de troëne, vous voyez passer à peu près toutes les personnes qui pénètrent dans la rue pour d'autres motifs que celui de se rendre chez elles, et d'ailleurs, si vous n'êtes pas distrait au point de ne pas remarquer les deux écussons dorés qui s'élèvent sur leurs branches de fer aux ailes de l'entrée, vous reconnaîtrez la maison de M. Maurice, notaire.

      Sa hauteur, trois étages; jalousies vertes, cour sur la rue, jardin sur la pelouse. Par une division bien entendue de logement, les appartements affectés aux affaires, à la partie sérieuse de l'existence, prennent jour du côté de la rue, et les pièces consacrées au repos domestique s'ouvrent en face de la forêt. On passe ainsi, sans quitter l'étage, du mouvement du bourg à la solitude de la campagne. Au printemps, la position est délicieuse: percée d'outre en outre par le soleil qui entre d'une part, et par l'air du bois, tiède et résineux, qui pénètre de l'autre, cette rangée de maisons, vue à la distance du bois, est d'un pittoresque effet. Lorsque les grilles vertes des jardins avancés tremblent dans la raréfaction de l'air comme des arbres dans l'eau, Chantilly semble une vaste serre chaude dépendante du château. A cette illusion de perspective se joint, pour la rendre plus complète aux yeux, le jeu de la lumière sur les vitres; son reflet au fond des glaces des appartements. Ce verre, ces barreaux, ces transparences, cet air, ce jour, fascinent la vue, qui ne peut renoncer à voir une serre chaude dans ce mirage.

      L'étude de Maurice est au plain-pied, au lieu d'être à l'entresol, auprès de son cabinet, disposition locale peu commode pour la consultation des affaires, mais exigée par Léonide, la femme de Maurice, qui n'aurait jamais souffert que les paysans rayassent de leurs souliers ferrés les carreaux de la salle à manger. Et il faut la traverser pour se rendre dans le cabinet de Maurice. Cette fausse répartition d'appartements oblige celui-ci à se déplacer de l'étude au cabinet toutes les fois qu'un conseil nécessite un entretien particulier. Il est vrai qu'au moyen de cette division, on obtient le silence des clercs, relégués aussi dans les salles basses, à la portée des clients. Cette république plumitive ne franchit jamais les dix marches qui la séparent du patron, excepté pourtant le premier de l'an; le reste de l'année, le maître-clerc seul a le droit de surprendre Maurice à toute heure.

      Neuf heures, l'étude s'emplit d'hommes et de femmes de la campagne. Fermiers, bûcherons, carriers, vignerons, bergers, meuniers, charretiers, maçons, cordiers, charrons, tous en blouse, les guêtres de cuir bouclées jusqu'au genou, sont assis en zigzag, de manière à confondre dans la ligne perpendiculaire du dos la ligne tangente au talon. Ils se briseraient le cou, au cas de quelque glissade, si leur bâton, planté en échalas, cessait de s'appuyer à terre et dans la fossette de leurs mentons. C'est dans cette attitude, commune à tous ceux qui se sont emparés les premiers du banc de chêne qui règne le long des murs, que l'arrivée de Maurice est impatiemment attendue.

      Les jours de marché attirent une plus grande affluence au notariat. On profite du déplacement pour arranger les affaires. L'occasion est belle pour venir et s'en aller ensemble. Les affaires des gens de la campagne sont simples: une procuration à faire rédiger, un bail de ferme à renouveler, un dépôt à constituer ou à reprendre, selon que la récolte a permis de respecter les épargnes ou a forcé d'y toucher. De là des visages rayonnants, d'autres soucieux; beaucoup trahissent leurs bénéfices sur les foins de l'année par une transpiration métallique: le mouvement qu'ils font pour soulager leur gousset les désigne à la jalousie: parmi les femmes, malheur, dans l'opinion, à celles qui laissent СКАЧАТЬ