Aux glaces polaires. Duchaussois Pierre Jean Baptiste
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Название: Aux glaces polaires

Автор: Duchaussois Pierre Jean Baptiste

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ trouveront le moyen, fût-ce au prix d’un nouveau sacrifice, de m’aider à diminuer leurs privations?..

      Quelques jours après, Mgr Breynat pouvait écrire, tout à l’honneur de la charité canadienne:

      Les aumônes reçues dépassent de beaucoup ce que j’avais osé espérer. Nous n’arriverons pas sans doute, loin de là, à couvrir toutes nos pertes. Mais si le courant de la charité publique envers nous continue encore quelque temps avec la même générosité, j’entrevois la possibilité de nous procurer, avant l’hiver, les articles les plus indispensables. Et que pouvons-nous désirer de plus en ces temps difficiles! Nos missionnaires, qui n’ont pas perdu l’habitude des privations, sauront se contenter de peu. C’est ce qui a fait leur force dans le passé; c’est ce qui la fera dans l’avenir…

      Une conclusion s’échappe de ces témoignages des évêques du Nord. La profonde, l’incurable souffrance du missionnaire ne lui vint jamais de sa propre misère. Il s’y attendait. Ses maîtres du noviciat et du scolasticat l’y avaient préparé. Et même cette ressemblance privilégiée avec le divin Pauvre, entrevue par le rêve généreux de son enfance, n’avait-elle pas été l’aimant séducteur de sa vie sacerdotale et apostolique? De bonne heure, et avec la sincérité de saint Paul, il a donc pu dire: scio esurire et penuriam pati, je sais souffrir la faim et le dénuement. L’objet de son inquiétude, de ses labeurs, c’est l’établissement de la foi dans les âmes, son maintien, son progrès, en face des obstacles accumulés contre l’œuvre de Dieu par toutes les forces du pays le plus inhospitalier du monde. Ce n’est pas pour sa propre vie qu’il a lutté et qu’il lutte encore, c’est pour la vie de ses chères missions.

      On vient d’entendre le chiffre des pertes du désastre du fort Mac-Murray: si nous ajoutons la valeur de ce qui ne fut perdu, nous atteindrons 200.000 francs. Et cette somme doit être trouvée, chaque année, pour le seul vicariat du Mackenzie.15

      D’où viendront les ressources?

      D’abord, nullement du pays lui-même, presque inexploité encore. Ses forêts, son pétrole, sa houille, son goudron, son cuivre, son argent, son or seront mis en valeur… Mais dans combien d’années?

      Quelques indigènes avoisinant la mission commencent à entrevoir que le missionnaire a le droit de compter sur eux. Ils lui portent certains secours. Mais dans tout le passé, dont nous écrivons l’histoire, l’Indien du Nord «travaillant pour le Père», n’a manifesté qu’une âpre exigence à se faire payer, nourrir et habiller, ainsi que sa famille entière, tant que durait son ouvrage.

      Etait-ce inintelligence, ou dureté sauvage? Non. Il se trouve en Colombie Britannique trois grandes tribus de la même nation dénée, que Mgr Durieu, «ce missionnaire des missionnaires», est parvenu à instruire du devoir chrétien de soutenir le ministre de l’Autel, et qui donnent de bonne grâce, aussi généreusement que les meilleurs fidèles de race blanche. Les Dénés qui fréquentent l’Ile à la Crosse, mission voisine de l’Athabaska-Mackenzie, sont pareillement dévoués au soutien de leurs pasteurs.

      Les fondateurs des missions de l’Extrême-Nord ne jugèrent pas opportun de prêcher à leurs néophytes la doctrine du support du prêtre.

      La manie de mendier, que trouvèrent d’ailleurs les missionnaires parmi les sauvages, ne suffisait-elle pas à les décourager dans l’entreprise de faire appel à leur libéralité? Certaines tribus triomphent dans ce métier de quêteurs:

      « – Un Montagnais peut vous demander jusqu’à votre dernière chemise, avait-on dit au Père Taché, lorsqu’il partit pour sa première mission.» «Et, en effet, écrit-il, à peine installé parmi ses Indiens, l’un d’eux m’aborde un jour, et me dit:

      « – Donne-moi une chemise.

      «Je m’en excusai sur ma pauvreté. Il insista; puis, cherchant du doigt le collet de ma chemise:

      « – En voici une, dit-il, qui est presque nette, et tu dois en avoir une pour la remplacer quand elle sera sale. Donne-moi donc celle que tu as sur toi.»

      Quelque extravagante que soit la demande du sauvage, si le Père n’y fait droit aussitôt, il peut être assuré de devenir le point de mire de tous les quolibets d’avarice, de mesquinerie, que la riche langue indienne pourra inventer.

      On raisonnera ainsi sur son refus:

      « – Le Père avait ce que je voulais. Je lui ai dit: «Donne-moi cela.» Il m’a répondu: « – Non. Je le garde pour l’hiver, afin de pouvoir vous secourir plus tard.» Donc c’est un ladre, le Père. Ah! il ne nous ressemble pas, nous qui ne gardons jamais rien pour nous!»

      Sans vouloir fournir de fausses armes aux niveleurs bolchevistes, ou cégétistes, il nous faut reconnaître enfin que le trait foncier du caractère de notre Indien, c’est le communisme. L’idée de propriété personnelle se serait-elle développée en sa conscience, laissée à elle-même?

      A peine a-t-il touché le prix de ses fourrures – une vraie fortune parfois – qu’il convoque tous ses amis, et que la fête bat son plein. En peu de jours tout est dévoré. Un chasseur a-t-il abattu un ours ou un orignal? Aussitôt un feu d’appel s’élève dans la forêt; et la tribu, de toutes parts, accourt au festin. Encore si ces pauvres gens réglaient leurs appétits, ou du moins s’ils pensaient au lendemain, lorsque leur faim est assouvie!

      De ce communisme sans réserve, de cette intempérance devant la curée, de l’imprévoyance congénitale de la race, et surtout de l’insuffisance d’un gibier disséminé dans les forets boréales, il résulte que le bien-être et l’apaisement de la faim ne sont que de rares trêves dans la vie de nos Indiens, et que, si parfois il recevait de ses enfants un peu de sa subsistance, le missionnaire du Mackenzie, bon saint Vincent de Paul, le leur rendrait bientôt, ajoutant ce surplus aux aumônes de sa bourse et aux dévouements de sa tendresse.

      Cette autre question était posée aux évêques-missionnaires par la Congrégation de la Propagande, en 1880:

      « – Quelles sont les maladies les plus ordinaires?

      « – La maladie la plus commune, répondit encore Mgr Grandin, et je puis dire la plus dangereuse, est assurément la faim. La disette dans mon diocèse est comme la persécution dans l’Eglise: elle existe toujours en quelque point. Je suis certain qu’il n’est pas un enfant sauvage de sept ans qui n’ait passé plusieurs jours sans manger.16 Beaucoup, pour ne pas mourir, mangent des aliments gâtés, des racines et des plantes. Le sauvage poussé par la faim mange ses vêtements de cuir, sa tente, etc… Le sauvage infidèle mange sa femme et ses enfants. Ce n’est pas seulement le sauvage qui souffre de la faim; le missionnaire aussi est exposé à des jeûnes rigoureux, surtout dans les voyages; lui aussi est obligé d’en venir aux expédients pour sauver son existence. L’hiver dernier encore deux pères de la partie sud-ouest du diocèse se sont trouvés dans la nécessité de manger du loup empoisonné (on tue les loups avec un poison très actif), du chien et une foule de choses dont on ne croirait pas que l’homme pût se nourrir…»

      La famine est donc, en définitive, la noire souveraine de ces immensités perdues. C’est dans sa main spectrale qu’il faudrait placer la plume qui raconte la vie du Nord, pour mettre les descriptions d’accord avec la vérité. C’est elle qui règle la marche des groupes nomades à travers les steppes et les bois. C’est elle qui décime les familles, les tribus, la nation. C’est elle qui extermine des camps entiers, dont on retrouve les cadavres en débris sur le sol, à la fonte des neiges. C’est elle qui nous apprendrait sans doute ce СКАЧАТЬ



<p>15</p>

La source capitale de telles dépenses fut toujours la difficulté des transports. Ainsi, en 1876, époque moyenne du premier demi-siècle de nos missions du Nord, Mgr Faraud estimait à 25 piastres (125 francs) le seul transport d’un colis de 100 livres d’Angleterre au lac la Biche, c’est-à-dire environ les trois quarts de la valeur réelle de l’objet.

Du lac la Biche au fort Mac-Murray, l’évêque ne pouvait transporter lui-même chaque pièce de 100 livres qu’aux prix de 20 à 25 francs.

Au fort Mac-Murray, le tarif de la Compagnie ressaisissait la pièce, à raison d’une piastre (5 fr. 15) de chaque fort-de-traite au suivant: soit 11 piastres de plus pour la mission la plus lointaine. Total: 200 francs de transport par 100 livres.

Même à l’époque où l’on put acheter la farine à Winnipeg, au prix de 25 francs le sac, elle revenait à 110 francs, au fort Good-Hope. Un seul parti était de mise alors: se passer d’un tel luxe. C’est ce que l’on fit. Il n’y eut pendant près de cinquante ans qu’un peu de pain pour les grandes fêtes, ou pour les malades gravement atteints. Et même pas toujours.

Tous les fonds disponibles servirent à acheter les instruments indispensables, les habits, les articles de traite, l’ameublement. Plus tard vinrent les machines, scieries mécaniques, chaudières tubulaires, hélices, ferrailles volumineuses et lourdes.

C’est par là que saignait la bourse du vicariat.

<p>16</p>

Les missionnaires, expliquant et recommandant le jeûne eucharistique, la veille d’une communion, ont souvent entendu cette réflexion:

– Comment veux-tu que je mange? Il y a deux jours, quatre jours, que je n’ai plus rien à manger!