Aymeris. Blanche Jacques-Émile
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Название: Aymeris

Автор: Blanche Jacques-Émile

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ qu’il n’en serait pas question chez les Aymeris. Mais Ellen Gonnard qui avait méconnu Georges, s’accusa publiquement et fit part à tous les domestiques de cette délicieuse attention.

      Georges n’en devint que plus muet et plus gauche.

      Ses études étaient déplorables. Les professeurs l’aimaient pour sa gentillesse et son application (hélas! stérile), mais le tenaient pour un pauvre élève sans moyens. Ses places étaient «honteuses», dans les compositions hebdomadaires, sans que personne songeât à l’excuser pour son manque de mémoire. De ses vains efforts, autant que ses parents, l’enfant s’alarma. Sa mère, «sûre qu’il n’était pas une bête», irritée par sa lenteur et ses insuccès, lui dépeignit un soir le sort des «cancres». C’était un samedi, Georges revenait de Fontanes dans la voiture, avec Mme Aymeris. Comme il avait été le dernier en composition de «math», sa mère le grondait; il se cramponnait à son bras, comme elle feignait un chagrin profond, lui disant: – Je suis obligée de le croire enfin, tu n’es qu’un incorrigible paresseux! Si tu continues ainsi, tu mourras sur la paille humide des cachots, tu seras la honte de la famille!..

      Et Georges vit s’ouvrir une sombre prison; il sentit la paille humide, comme s’il y était déjà, au milieu des puces et des punaises, avec une cruche d’eau et du pain sec. Il sanglota, eut une attaque d’indigestion et de la fièvre, comme de coutume quand il était trop ému. On le garda jusqu’au midi suivant au lit. Cette fois, il n’avait plus envie d’être, comme Jacques, «un malade».

      – Ne songeons plus au succès! pensa la mère; tant pis s’il affronte le baccalauréat à vingt ans; on ne peut plus le laisser pousser comme une plante dans les champs. Il redoublera ses classes, mais il arrivera!

      Or c’était le moment où d’autres parents l’eussent envoyé seul à la campagne…

      A cette époque, Georges semble être devenu conscient de quelque chose de doux et de pénible à la fois, qui était sa première inquiétude sentimentale. Personne n’y prit garde, et à quels indices aurait-on deviné la cause des émois qui demeuraient encore si mal définis par lui-même? A la première crise ou à la dernière, les symptômes de l’amour sont les mêmes; nous portons longtemps ce mal en nous avant qu’il n’éclate; mais il est une différence entre les passions puériles et celles des adultes: l’enfant qui n’a pas encore souffert, s’y adonne, et ne s’alarme pas là où l’homme, qui s’en croyait guéri pour toujours, s’effare comme un blessé qu’on renvoie au feu. L’isolement moral où il avait jusqu’alors vécu, malgré qu’il ne fût jamais seul, Georges cessa d’en souffrir. Il avait trouvé, pour le culte de son cœur trop fervent, une idole, et elle était vivante.

      Toutes les heures du jour se remplirent, s’enrichirent. Il sut pourquoi il ouvrait une porte, sortait du salon et remontait à sa chambre sans qu’un professeur l’y attendît pour une leçon ou quelque autre exercice commandé. Le corps lumineux de sa compagne fit pâlir les vagues figurants de l’entourage. Et de l’ennui d’un jeune prince importuné par les soins de sa cour, l’empressement de ses ministres et de ses serviteurs, il passa soudain à l’état de révolte d’un gamin qui va briser des vitres ou voler des clefs. Il garde les pièces de cinq francs qu’il reçoit en récompense d’être allé au manège et à la gymnastique ou comme cadeaux d’étrennes; il compte son argent dont il n’avait pas encore compris l’emploi, il thésaurise en vue de quelque accident ou pour répondre à quelque besoin de Jessie. Ils ne se quitteront plus jamais! Si elle partait, il la suivrait jusqu’au bout du monde, n’est-ce pas? Et, cependant, que deviendra sa Jessie plus tard? Quels sont les projets de papa et de maman? Il ne conçoit pas l’actuel état de choses sans la durée, se disant tout bas: – Toujours! toujours! toujours! – Mais laisserait-on indéfiniment Jessie auprès de lui? Et si cette maigreur, cette toux persistaient où enverrait-on la malade, et alors, comment vivrait-il sans elle?

      Jessie l’aimait-elle un peu, du moins? Jessie savait-elle que Georges, dans sa chambre, retenait sa respiration, la nuit, pour écouter mieux et s’assurer si son amie ne toussait plus? Il porta sur lui un chronomètre, un souvenir de première communion, et compta, comme les médecins, par les sauts de la petite aiguille, les secondes entre chaque quinte, quand Jessie avait un gros rhume; il chercha dans un dictionnaire de médecine les termes techniques dont se hérissaient les ordonnances du docteur; se procura un thermomètre et, sous prétexte que l’étage de la maison où couchait Jessie était plus froid que le sien, Georges dit à sa mère: – Maman, faites-nous changer de chambre: la chaleur du calorifère me donne des maux de tête, je ne suis jamais si bien qu’au frais.

      Mme Aymeris n’y vit point malice et fit maçonner la bouche de chaleur; Georges resta au «piano nobile», à côté de la chambre de sa mère; il prit une bronchite, dont il se réjouit… il aurait, du moins, quelque chose en commun avec l’objet de toutes ses pensées! Dans la rue, il criait le nom de sa compagne, ces deux syllabes qu’il avait peur d’entendre prononcer par les centenaires, quand il était à Passy.

      Ses tiroirs s’emplirent de boules de gomme, de bâtons de réglisse et de jujube, qu’il faisait remettre par Miss Ellen à Jessie.

      Caroline et Lili gardaient jalousement un album de photographies, vues de Passy et de Longeuil, qu’elles ne prêtaient à qui que ce fût.

      Georges convoitait cette collection, pour deux cartes album, où Jessie et lui-même étaient représentés, côte à côte, au bord de la mer. Il n’eut de cesse que ses tantes ne les lui donnassent. Il attendait avec impatience les vacances prochaines et acheta un dispendieux appareil, de grande dimension, pour faire poser Jessie dans des attitudes agréables. Peut-être serait-elle mieux portante alors!

      Un jour qu’il se promenait avec toute la famille, suivie de Miss Ellen et de Jessie, une amie interrogea Mme Aymeris:

      – Qui est cette jeune fille?

      – C’est la sœur de la bonne anglaise de Georges. Nous l’élevons chez nous; elle est maladive.

      Georges surprit ces paroles, s’arrêta, humilié, inquiet, furieux; il aurait voulu se jeter au cou de sa mère et proclamer:

      – Jessie est ma reine, ma chérie, Jessie est une Mac Farren d’une noble famille écossaise tombée dans la misère, et nous avons l’honneur de la posséder sous notre toit. Elle est frêle comme toutes les princesses; elle est blanche comme un lis, elle est en argent et en verre filé; ne dites plus ce que vous avez dit, je vous en supplie! Ou bien je meurs comme Jacques, comme Marie, comme tous vos enfants!

      Il construisait mille histoires pour rabaisser les siens et soi-même, exaltant ces Mac Farren déchus, mais dont l’origine se perdait dans la nuit des temps, glorieuse, plus que noble: royale! Et Georges se faisait «l’humble page de la Dame aux Mains d’ivoire», la sœur de la bonne anglaise– avait-on dit…

      Il était, hélas! l’enfant devant lequel certains mariages avaient été discutés et désapprouvés. Jessie ne serait pas un «parti» pour le petit-fils d’Emmanuel-Victor. Si, repris l’un et l’autre d’une mauvaise bronchite, s’ils pouvaient, «dans une nuée radieuse, quitter ensemble cette terre pour s’envoler vers le Paradis où les ailes des anges palpitent au son des trompettes d’argent et des cistres!»

      Un des chapitres du journal portait ce titre: De l’inégalité des conditions sociales. Ce «problème» y était d’ailleurs peu traité.

      J’étais séparé de l’objet aimé, comme l’est une novice de Celui qui habite le radieux tabernacle des autels. Mes sens allaient s’éveiller, mais encore pur dans mon corps et mon esprit, les hommes et les femmes ne différaient à mes yeux que par la voix et l’habit.

      Un СКАЧАТЬ