L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793. Joseph Bertrand
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Читать онлайн книгу L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793 - Joseph Bertrand страница 14

СКАЧАТЬ l’Académie procède de nouveau à l’élection d’un membre adjoint dans la classe des géomètres et vote unanimement pour Vandermonde. Douze votants seulement sur dix-sept, en préférant Laplace à un inconnu nommé Mauduit, lui accordent le second rang. Le 14 mars 1776, l’Académie, sur un rapport de la section compétente, lui préfère dans une élection nouvelle le très-honorable mais très-médiocre Cousin.

      L’ennui de ces échecs et les démarches nécessaires à de continuelles candidatures ne ralentissent pas l’ardeur de Laplace. Toujours animé à la poursuite de son œuvre, sans dépit apparent, sans amertume et sans se soucier des contradictions, il fait paraître incessamment dans de nouveaux mémoires cette abondance d’expédients et cette force presque irrésistible qui, lorsqu’elle est impuissante à surmonter ou à tourner un obstacle, le heurte de front et le brise en l’arrachant par morceaux. Émule de d’Alembert et de Clairaut, il se montre déjà seul capable en France de succéder à leur réputation, lorsque l’Académie, déclarant dans un nouveau rapport qu’il «a acquis dès à présent un rang distingué parmi les géomètres,» le nomme enfin adjoint dans la section de géométrie, en accordant la seconde place sur la liste de présentation au nommé Margueret, qu’elle préfère à Monge et à Legendre. Membre de la Compagnie et assidu à ses séances, Laplace y prendra-t-il le rang dû à son génie? Franchira-t-il rapidement les deux degrés inférieurs de la hiérarchie académique? Non, il lui faut encore avec de longs retards essuyer d’injurieux échecs.

      En 1780 il est encore adjoint, et l’Académie présente pour une place d’associé dans la section de géométrie Vandermonde en première ligne et Monge en seconde ligne, plaçant ainsi les candidats, en supposant qu’elle accordât le troisième rang à Laplace, dans l’ordre précisément inverse de celui que leur assigne la postérité. C’est en 1783 seulement que Laplace, âgé de trente-quatre ans, est nommé associé dans la section de mécanique, où l’Académie avait appelé déjà de préférence à lui, Rochon et Jeaurat; Jeaurat qui n’est connu par aucune découverte et dont on ne cite qu’un seul trait: Quand il rencontrait un confrère géomètre, il lui disait du plus loin en faisant allusion à la théorie des équations: «Eh bien! c’est-il égal à zéro?» Des préférences aussi aveugles si elles étaient moins rares condamneraient à jamais le recrutement par élection, en enlevant toute autorité aux jugements académiques. Leur explication la plus apparente est, si je ne me trompe, dans les dispositions de d’Alembert, dont l’influence considérable alors au plus haut point ne s’exerça jamais en faveur de Laplace. Bon, généreux, loyal et ami de toutes les gloires, d’Alembert ignora toujours les sentiments d’une mesquine jalousie; sa droiture cependant, il est permis de le rappeler, n’allait pas jusqu’à l’impartialité.

      La belle intelligence et l’honorable caractère du futur marquis de Laplace imposaient plus le respect qu’ils n’attiraient l’amitié, et l’esprit hautain, qui dans la suite de sa vie acceptait si bien et exigeait presque la flatterie, devait plaire difficilement à l’observateur sardonique et à l’imitateur plein de verve des grands airs de M. de Buffon; d’Alembert enfin, qui s’y connaissait, pouvait entrevoir chez ce jeune homme gravement respectueux envers lui quelques-uns des traits de l’illustre orgueilleux, qu’il aimait à nommer le comte de Tufières.

      LES FINANCES DE L’ACADÉMIE

      La somme totale allouée aux vingt pensionnaires de l’Académie avait été fixée à 30,000 livres, mais la répartition en était irrégulière et semblait souvent injuste. La lettre suivante, écrite en 1716 et signée par quatorze pensionnaires sur dix-huit, donne à ce sujet de curieux renseignements:

      «Convaincus, comme nous sommes, que vous n’avez rien plus à cœur que le bien de l’Académie, nous vous suplions avec une vraye confiance de vouloir bien représenter à S. A. R., notre auguste protecteur, que, dans le renouvellement de l’Académie, il y eut un fond de 30,000 livres destiné pour les pensions; que ce fond ne put être alors distribué également, parce que la pension considérable qu’avait feu M. Cassini en faisait partie, mais qu’on fit espérer et qu’on a toujours fait espérer depuis, qu’après la mort de M. Cassini chaque académicien aurait 1,500 livres; cependant cette mort étant arrivée, il plut à M. de Pontchartrain de prendre un autre arrengement. Des 30,000 livres, il n’en employa que 20,000 en pensions fixes et distribua les 10,000 livres restantes sous le nom de gratifications pour le travail de l’année. Nous ne vous ferons point remarquer, monsieur, que ces gratifications ne furent rien moins que données proportionnellement au travail; vous scavez le découragement où cela jetta la plus grande partie de la Compagnie. Mais nous vous supplions instamment de vouloir bien représenter à S. A. R.: 1º que le fonds de 30,000 livres a toujours été regardé comme affecté aux pensions de l’Académie pour être distribué également; 2º que 1,500 livres de rente ne suffisent pas, à Paris, pour mettre un homme en état de se livrer entièrement aux sciences; que leurs progrès demanderaient que les pensions fussent plus considérables et plus sûres, et que les réduire à 1,000 livres, c’est mettre les académiciens hors d’état de travailler; 3º que l’Académie des inscriptions a été traitée bien plus favorablement. Les pensions y sont sur le pied de 2,000 livres, puisqu’elle a 20,000 livres pour dix pensionnaires; 4º que la libéralité de S. A. R. peut bien s’étendre jusqu’à donner des gratifications à ceux qui les auront méritées par leur travail, mais il ne semble pas qu’elles doivent être prises sur ce qui est destiné pour la subsistance des académiciens et qui y peut à peine suffire. Comme vous vous intéressez autant à nos besoins que nous-mêmes, nous osons nous promettre que vous voudrez bien donner encore plus de force à nos raisons en les représentant.»

      Cette lettre, écrite vers la fin de 1716, est destinée évidemment à être mise sous les yeux du régent. On a écrit en marge: «S. A. R. loue le zèle des académiciens et entre assez dans leur pensée. Mais, comme elle ne veut rien diminuer à ce que chaqu’un a touché jusqu’ici, on ne saurait songer au changement proposé qu’en donnant des gratifications séparées, tant pour indemniser les quatre pensionnaires (Ces quatre pensionnaires étaient: J. Cassini, Maraldi, deLahire et Duverney, qui seuls n’ont pas signé la requête.) qui perdraient suivant ce nouveau projet, que pour récompenser ceux qui se distingueront par leur travail. Pour cela il faudrait, outre le fonds ordinaire de 30,000 livres, en destiner un nouveau de 6,000 livres au moins: c’est ce que S. A. R. ne croit pas devoir faire dans le temps qu’il diminue toutes les pensions, tant de la cour que des officiers, et le prince remet donc cette libéralité à l’estat qui sera expédié pour l’année prochaine.»

      Le régent en effet augmenta de 6,000 livres l’allocation destinée aux pensionnaires et crut avoir dégagé sa parole; mais les abus continuèrent ou se reproduisirent, car cinquante ans plus tard une décision de Malesherbes, approuvée par le roi, fut jugée nécessaire pour diminuer l’inégalité en la réglementant. «Sur le compte que j’ai, dit-il, rendu au roy du mémoire qu’on m’a remis, par lequel l’Académie demande unanimement qu’il soit établi une nouvelle forme de distribution des pensions qui lui sont accordées, et où elle expose, à ce sujet, le plan qu’elle désirerait qu’on suivît, Sa Majesté a bien voulu approuver le projet de distribution et agréer les vues qui ont engagé l’Académie à le proposer. Le roy a décidé en conséquence que chacune des six classes de l’Académie jouirait, à l’avenir, de la somme fixe de 6,000 livres, qui sera partagée entre les trois pensionnaires attachés à chacune d’elles, et que, par une suite de l’exécution complète de ce projet, il sera accordé 3,000 livres au premier pensionnaire, 1,800 livres au second et 1,200 livres au troisième.»

      Indépendamment des pensionnaires, fort peu rétribués comme on voit, l’Académie comptait vingt associés et adjoints, qui n’avaient aucune part à ses revenus et que les travaux les plus excellents n’élevaient que bien lentement dans la hiérarchie académique. D’Alembert, nommé adjoint en 1742, ne devint pensionnaire que vingt-trois ans après, et Lacaille, qui fut pendant dix ans une des gloires de l’Académie, mourut avec le titre d’associé.

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