Название: L'Abbé de l'Épée: sa vie, son apostolat, ses travaux, sa lutte et ses succès
Автор: Berthier Ferdinand
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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VI
Parole artificielle enseignée aux sourds-muets. – A quel hasard en est due l'introduction dans le cours d'études de l'abbé de l'Épée. – Découverte inattendue d'un livre espagnol et d'un livre latin sur cette spécialité. – Juan Pablo Bonet et Conrad Amman. – Quelques ouvrages composés sur ce sujet après l'abbé de l'Épée. – Sourds-muets parlants les plus remarquables, formés par ses leçons. – Succès qu'avait déjà obtenus, à Paris, dans l'articulation artificielle, un juif portugais, Jacob Rodrigues Pereire, et qu'ignorait complétement notre célèbre instituteur.
Maintenant reprenons le cours des travaux de l'abbé de l'Épée!
Notre instituteur a tracé, en outre, d'après son plan, les règles de la parole artificielle et il a obtenu d'aussi brillants succès dans cette partie de l'enseignement.
Voici dans quelle circonstance il se décida à essayer de délier la langue de ses élèves.
Un jour, dans une de ses séances publiques, un inconnu lui présente un livre espagnol, en l'assurant que, s'il consent à l'acheter, il rendra un vrai service à celui qui le possède. L'abbé refuse d'abord, il allègue son ignorance de cette langue; mais, en ouvrant le volume au hasard, il est surpris d'y trouver l'alphabet manuel des Espagnols. Cette particularité le décide, il garde le livre et renvoie le commissionnaire satisfait. Son étonnement redouble quand, à la première page, ce titre frappe ses yeux: Arte para enseñar à hablar à los mudos, (art d'enseigner à parler aux muets). C'est l'œuvre de Juan Pablo Bonet, secrétaire du connétable de Castille, œuvre qui lui a valu dans sa patrie les plus grands éloges.
Dès ce moment, l'instituteur français a résolu d'apprendre cette langue étrangère, afin de se mettre en état de rendre un nouveau service à ses élèves. Dans la suite, il se procura un ouvrage latin sur le même sujet, composé par Conrad Amman, médecin suisse. Ce livre lui a été indiqué par une des personnes qui assistent à ses séances. Il est intitulé: Dissertatio de loquelâ surdorum et mutorun.
De la méthode de ces deux excellents guides il parvient à en composer une qui est regardée encore de nos jours comme un chef-d'œuvre de clarté, et dont ses successeurs ont tiré à l'envi le meilleur parti possible17. Quel spectateur eût pu, dès lors, rester froid et indifférent en entendant Louis-François-Gabriel de Clément de la Pujade prononcer en public un discours latin de cinq pages et demie, soutenir plus tard une discussion en règle sur la définition de la philosophie, et répondre aux objections de François-Élisabeth-Jean de Didier, l'un de ses condisciples18. «Les arguments étaient d'avance communiqués,» ajoute le maître avec sa franchise ordinaire. (Page 202. Véritable manière d'instruire les sourds-muets.)
Sous sa direction habile, une sourde-muette réussit également à réciter de vive voix à sa maîtresse les vingt-huit chapitres de l'Évangile selon Saint-Matthieu, et à répéter avec elle l'office de Primes tous les dimanches, etc.
Mais pourquoi douter, comme quelques biographes ont osé le faire, de la véracité du respectable instituteur quand il assure n'avoir eu aucune connaissance des procédés de ses prédécesseurs, encore moins de ceux de son compétiteur, le juif portugais Jacob Rodrigues Pereire19? La manière dont lui-même rend compte de son opinion personnelle sur eux n'est-elle pas d'ailleurs une preuve sans réplique de la candeur de cette belle âme qu'absorbait tout entière le plus sincère désir de faire le bien et d'en céder même la gloire à de plus capables que lui?
Voici comment il s'exprime à cet égard dans l'avertissement de sa véritable manière d'instruire les sourds-muets:
«Lorsque je consentis pour la première fois à me charger de l'instruction de deux sœurs jumelles sourdes-muettes, qui n'avaient pu trouver aucun maître depuis la mort du père Vanin, prêtre de la doctrine chrétienne, j'ignorais qu'il y eût dans Paris un instituteur20 qui, depuis quelques années, s'était appliqué à cette œuvre et avait formé des disciples. Les éloges donnés par l'Académie à ses succès lui avaient acquis de la réputation dans l'esprit de ceux qui en avaient entendu parler, et sa méthode, avec le secours de laquelle il réussissait à faire parler plus ou moins clairement les sourds-muets, avait été regardée comme une ressource à laquelle on devait de justes applaudissements.»
VII
L'alphabet manuel, à une seule main, est originaire d'Espagne et remonte à 1620. – Persistance de l'Angleterre à garder l'alphabet manuel à deux mains, pareil à celui de nos colléges. – Plusieurs instituteurs d'Allemagne n'en emploient aucun. – Difficulté pour les commencements. – Notre dactylologie se popularise en France. – Ses avantages. – Quelques-unes de ses règles. – Son utilité pour les parlants. – Son usage dans les ténèbres. – Elle est inférieure à la mimique. – Justice rendue à Pereire par l'abbé de l'Épée. – Justification du célèbre instituteur par lui-même. – Exposé de sa méthode. – Attaque du sourd-muet Saboureux de Fontenay. – L'abbé de l'Épée offre d'être jugé contradictoirement avec Pereire et d'adopter même son système, s'il est déclaré supérieur au sien.
Avant d'aller plus loin, qu'à propos de l'alphabet manuel on nous permette quelques légères explications qui ne nous semblent pas déplacées ici.
Originaire d'Espagne, ainsi que l'art de faire parler les sourds-muets, il consiste à représenter l'une après l'autre les lettres de chaque mot par différentes formes convenues qu'on donne aux doigts d'une seule main. Son adoption date de l'abbé de l'Épée, qui s'était servi jusque-là de l'alphabet à deux mains dont les écoliers parlants font encore usage dans les classes pour tromper la vigilance de leurs maîtres. L'invention de l'alphabet manuel à une seule main remonte à Juan Pablo Bonet, qui vivait en 1620, peut-être même est-il plus ancien. Depuis cette époque, il s'est répandu, avec quelques modifications, dans presque toutes les institutions de sourds-muets d'Europe et d'Amérique21, et il commence déjà à se populariser dans l'un et l'autre hémisphère, à l'exception toutefois de l'Angleterre, où l'alphabet manuel à deux mains paraît devoir résister longtemps à l'influence française. Partout en France où le hasard conduit nos pas, dans l'atelier du pauvre comme dans le salon du riche, nous rencontrons toujours quelque personne connaissant ce mode de communication à une main et se faisant une politesse de l'employer pour se mettre en rapport avec nous. Et n'établit-il pas heureusement, en effet, une sorte de trait d'union entre les sourds-muets et ceux qui veulent entrer en relation avec ces pauvres créatures, auxquelles les anciens supposaient à peine une intelligence, une âme, et que tout ce qui précède a montrées égales au moins, si ce n'est supérieures, aux parlants en vénération et en reconnaissance?
Un des avantages de l'alphabet manuel est sa parfaite ressemblance, sauf quelques légères exceptions, avec les caractères de l'écriture et de la typographie. Il est généralement préféré aux autres signes essayés depuis22 à cause de son usage plus commode, plus agréable, plus facile. Dix minutes d'application suffisent СКАЧАТЬ
17
Une liste de leurs ouvrages serait ici bien longue. Contentons-nous donc de citer quelques-uns, de ceux qui ont été publiés en français:
–
18
Voyez à la note F. un
19
Né le 11 avril 1715 à Péniche, ville de l'Estramadure portugaise, à 36 kilomètres de Lisbonne. D'autres placent son berceau à Berlango, dans l'Estramadure espagnole. On appelait alors indifféremment, a-t-on remarqué à cet égard,
20
Jacob Rodrigues Pereire, déjà cité.
21
M. Bébian remarquait en 1827, dans son excellent
22
Voyez à la note G: – 1º ma lettre au directeur de l'institution nationale des sourds-muets de Paris sur la