Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome I. Bussy Roger de Rabutin
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Читать онлайн книгу Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome I - Bussy Roger de Rabutin страница 15

СКАЧАТЬ nous aiment toujours, ils n'en diront jamais rien, et que, s'ils viennent à nous quitter, nous aurions bien plus à perdre que le secret de notre ami; mais elle croit qu'on ne les doit jamais regarder comme n'en devant plus être aimées, et qu'autrement nous serions folles de leur accorder des faveurs.

      Sa maxime est enfin que qui donne son cœur n'a plus rien à ménager; elle sait qu'il n'y a que deux rencontres où elle se pourroit dispenser de dire tout à son amant, l'un s'il étoit fort étourdi, et l'autre s'il avoit eu quelque galanterie auparavant la sienne: car il seroit imprudent à elle de lui en parler, à moins qu'il la pressât fort, et en ce cas-là ce seroit lui qui attireroit le chagrin qu'il en recevroit.

      Enfin une honnête maîtresse croit que ce qui justifie son amour même auprès des plus sévères, c'est quand elle est vivement touchée, quand elle prend plaisir à le faire bien voir à son amant, quand elle le surprend par mille petites grâces à quoi il ne s'attend pas, quand elle n'a rien de réservé pour lui, quand elle s'applique à le faire estimer de tout le monde, et qu'enfin elle fait de sa passion la plus grande affaire de sa vie. À moins que cela, Madame, elle tient que l'amour est une débauche, et que c'est un commerce brutal et un métier dont des femmes perdues subsistent.

      Mademoiselle Cornuel ayant cessé de parler: «Bon Dieu! dit madame d'Olonne, les belles choses que vous venez de dire! mais qu'elles sont difficiles à pratiquer! J'y trouve même un peu d'injustice, car enfin, puisque nous trompons bien même nos maris, que les lois ont faits nos maîtres, pourquoi nos amans en seroient-ils quittes à meilleur marché, eux que rien ne nous oblige d'aimer que le choix que nous en faisons, et que nous prenons pour nous servir, et tant et si peu qu'il nous plaira? – Je ne vous ai pas dit, reprit mademoiselle Cornuel, que nous ne devions quitter nos amans quand ils nous déplaisent, ou par leur faute ou par lassitude, mais je vous ai fait voir la manière délicate dont il vous falloit dégager pour ne leur pas donner sujet de crier dans le monde: car enfin, Madame, puisqu'on a mis si tyranniquement l'honneur des dames à n'aimer pas ce qu'elles trouvent aimable, il faut s'accommoder à l'usage, et se cacher au moins quand on veut aimer. – Eh bien! ma chère, lui dit madame d'Olonne, je m'en vais faire merveille: j'y suis tout à fait résolue; mais avec tout cela je fonde les plus grandes espérances de ma conduite sur la fuite des occasions. – Que ce soit fuite ou résistance, dit mademoiselle Cornuel, il n'importe, pourvu que votre amant soit satisfait de vous.» Et là-dessus, l'ayant exhortée à demeurer ferme en ses bonnes intentions, elle lui dit adieu.

      Pendant qu'ils furent séparés, madame d'Olonne et Marsillac, ils s'écrivirent fort souvent; mais, comme il n'y a rien de remarquable, je ne parlerai point de leurs lettres, qui ne parloient de leur amour et de leur impatience de se voir que fort communément. Madame d'Olonne revint la première à Paris. Le comte de Guiche, pendant le voyage de Lyon, persuada à Monsieur56, frère du roi, auprès duquel il étoit fort bien, de faire une galanterie, à son retour à Paris, avec madame d'Olonne, et s'étoit offert de l'y servir et de lui faire avoir bientôt contentement. Le prince avoit promis au comte de Guiche de faire les pas nécessaires pour embarquer la dupe, de sorte que, dans les conversations qu'il eut avec madame d'Olonne, il ne lui parla que de l'amour que ce prince avoit pour elle; il lui dit qu'il le lui avoit témoigné plus de cent fois pendant le voyage, et qu'elle le verroit assurément soupirer aussitôt qu'il seroit revenu. Une femme qui avoit des bourgeois et des gentilshommes, les uns bien et les autres mal faits, pouvoit bien aimer un beau prince. Madame d'Olonne reçut la proposition du comte de Guiche avec une joie qu'on ne peut exprimer, et si grande qu'elle ne fit pas seulement les façons que des coquettes font en de pareilles rencontres. Un autre eût dit qu'elle ne vouloit aimer personne, mais moins un prince que qui que ce fût, parcequ'il n'auroit pas tant d'attachement. Madame d'Olonne, qui étoit la plus naturelle femme du monde et la plus emportée, ne garda pas de bienséance, et répondit au comte de Guiche qu'elle s'estimoit plus qu'elle n'avoit encore fait, puisqu'elle plaisoit à un si grand prince et si raisonnable. Lorsque la cour fut revenue à Paris, le duc d'Anjou ne répondit point aux empressemens à quoi le comte avoit préparé madame d'Olonne, qui se livra tout entière. Tout cela ne lui produisit rien, et ne servit qu'à lui faire connoître l'indifférence que le prince avoit pour elle. Le comte de Guiche, voyant que le prince ne mordoit point à l'hameçon, changea de dessein, et voulut au moins que les services qu'il avoit voulu rendre à madame d'Olonne lui servissent de quelque chose auprès d'elle. Il résolut donc d'en faire l'amoureux, et, pour ce que le commerce qu'il avoit eu avec elle sur les amours du duc d'Anjou lui avoit donné de grandes familiarités, il ne balança point de lui écrire cette lettre:

LETTRE

       Nous avons travaillé jusqu'ici en vain, Madame; la reine 57 vous hait, et le duc d'Anjou appréhende de la fâcher. J'en suis au désespoir pour vos intérêts. Vous m'en pouvez bien consoler, Madame, si vous voulez, et je vous conjure de le vouloir. Puisque l'aigreur de la mère et la foiblesse du fils ont ruiné nos desseins, il faut prendre d'autres mesures. Aimons-nous, Madame; cela est déjà fait de mon côté, et, si le duc d'Anjou vous eût aimée, je vois bien que je me serois bientôt brouillé avec lui, parceque je n'aurois pu résister à l'inclination que j'ai pour vous. Je ne doute pas, Madame, que la différence ne vous choque d'abord; mais défaites-vous de votre ambition, et vous ne vous trouverez pas si misérable que vous pensez. Je suis assuré que, quand le dépit vous aura jetée entre mes bras, l'amour vous y retiendra.

      Quoi qu'on veuille dire contre les femmes, il y a souvent plus d'imprudence que de malice dans leur conduite. La plupart ne pensent plus, quand on leur parle d'amour, qu'elles ne doivent jamais aimer; cependant elles vont plus loin qu'elles ne pensent; elles font des choses quelquefois, croyant qu'elles seront toujours cruelles, dont elles se repentent fort quand elles sont devenues plus humaines. La même chose arriva à madame d'Olonne. Elle eut un chagrin insupportable d'avoir manqué le cœur du prince après l'avoir compté parmi ses conquêtes. Cherchant quelqu'un à qui s'en prendre pour amuser sa douleur, elle ne trouva rien de plus vraisemblable à croire sinon que le comte de Guiche, pour son propre intérêt, l'avoit empêché de l'aimer: de sorte que, tant pour se venger de lui que pour rassurer Marsillac, que toute cette intrigue avoit alarmé, elle lui sacrifia la lettre du comte de Guiche, sans considérer que l'amour peut-être l'obligeroit à faire la même chose des lettres de Marsillac. Celui-ci, à qui madame d'Olonne donnoit tant de faveurs, en usa comme on fait d'ordinaire quand on est content de sa maîtresse; il lui rendit mille grâces de sa sincérité, et se contenta de triompher de son rival sans en vouloir tirer une gloire indiscrète.

      Cependant le comte de Guiche, qui ne sçavoit pas le destin de sa lettre, alla le lendemain chez madame d'Olonne; mais il y vint bien du monde ce jour-là, et il ne lui put parler d'affaires; il remarqua seulement qu'elle l'avoit fort regardé, et, de chez elle, il alla dire l'état de ses affaires à Fiesque, que depuis son retour de Lyon il avoit faite sa confidente; il les alla dire aussi à Vineuil, et tous deux séparément jugèrent, sur la fragilité de la dame et la gentillesse du cavalier, que la poursuite ne seroit ni longue ni infructueuse. Et en effet, madame d'Olonne avoit trouvé le comte de Guiche si fort à son gré et si bien fait qu'elle s'étoit repentie du sacrifice qu'elle venoit de faire à Marsillac. Le lendemain, le comte de Guiche retourna chez elle, et, l'ayant trouvée seule, il lui parla de son amour. La belle en fut aise et reçut cette déclaration le plus agréablement du monde; mais, après être convenus de s'aimer, comme ils étoient sur certaines conditions, des gens entrèrent qui obligèrent le comte de Guiche à sortir un moment après.

      Madame d'Olonne, s'étant aussi débarrassée de sa compagnie le plus tôt qu'elle put, monta en carrosse. Voulant découvrir si la comtesse de Fiesque ne prenoit plus d'intérêt avec le comte de Guiche, elle l'alla trouver. Après quelques conversations sur d'autres sujets, elle lui demanda son avis sur les desseins qu'elle lui dit qu'avoit le comte de Guiche pour elle. La comtesse lui dit qu'il ne falloit que consulter son cœur en de pareils rencontres. «Mon cœur ne me dit pas beaucoup de choses en faveur du comte, reprit madame d'Olonne, et ma raison m'en dit mille contre lui: c'est un étourdi que je n'aimerai jamais.» En disant ces mots elle prit congé de la comtesse, СКАЧАТЬ



<p>56</p>

M. le duc d'Anjou auroit pu prétendre au rôle des Candale et des Guiche; mais il préféra aux belles quelques uns de ses amis. Madame de Motteville l'a peint lorsqu'il étoit encore jeune (1647, t. 2, p. 267): «Il seroit à souhaiter, dit-elle, qu'on eût travaillé à lui ôter les vains amusemens qu'on lui a soufferts dans sa jeunesse. Il aimoit à être avec des femmes et des filles, à les habiller et à les coiffer; il sçavoit ce qui seyoit à l'ajustement mieux que les femmes les plus curieuses, et sa plus grande joie, étant devenu grand, étoit de les parer et d'acheter des pierreries pour prêter et donner à celles qui étoient assez heureuses pour être ses favorites. Il étoit bien fait; les traits de son visage paroissoient parfaits; ses yeux noirs étoient admirablement beaux et brillans, ils avoient de la douceur et de la gravité; sa bouche étoit semblable en quelque façon à celle de la reine, sa mère; ses cheveux noirs, à grosses boucles naturelles, convenoient à son teint, et son nez, qui paraissoit devoir être aquilin, étoit alors assez bien fait. On pouvoit croire que, si les années ne diminuoient point la beauté de ce prince, il en pourroit disputer le prix avec les plus belles dames; mais, selon ce qui paroissoit à sa taille, il ne devoit pas être grand.» Il ne le fut pas en effet, et sa figure s'épaissit un peu; mais il n'en fut pas moins beau à la façon des efféminés. Il eut de temps en temps des velléités d'amour naturel, mais jamais elles ne durèrent. Madame d'Olonne, et, un peu plus tard, la gracieuse et plaintive duchesse de Roquelaure, faillirent être aimées. Pour ce qui est de madame d'Olonne, mademoiselle de Montpensier (t. 3, p. 405; 1659) vient en aide à Bussy et développe son texte: «Comme le roi fait toujours la guerre à Monsieur, un jour il lui demandoit: «Si vous eussiez été roi, vous auriez été bien embarrassé; madame de Choisy et madame de Fienne ne se seroient pas accordées, et vous n'auriez su laquelle vous auriez dû garder. Toutefois, ç'auroit été madame de Choisy; c'étoit elle qui vous donnoit madame d'Olonne pour maîtresse. Elle auroit été la sultane reine; et, lorsque je me mourois, madame de Choisy ne l'appeloit pas autrement.» Monsieur étoit fort embarrassé sur tout cela, et disoit au roi, d'un ton qui paroissoit sincère, qu'il n'avoit jamais souhaité sa mort, et qu'il avoit trop d'amitié pour lui pour se résoudre à le perdre. Le roi lui répondit: «Je le crois tout de bon.» Puis il disoit: «Lorsque vous serez à Paris, vous serez donc amoureux de madame d'Olonne? Le comte de Guiche le lui a promis, à ce que l'on mande de Paris.» Monseigneur rougit, et la reine lui dit d'un ton de colère: «C'est bien vous faire passer pour un sot que de promettre ainsi votre amitié! Si j'étois à votre place, je trouverois cela bien mauvais. Pour vous, qui admirez en tout le comte de Guiche, vous en êtes ravi.» Puis elle ajouta: «Cela sera beau de vous voir sans cesse chez une femme qui peste continuellement contre vous, et qui n'a ni honneur, ni conscience. Vous deviendrez un joli garçon!» Monsieur dit qu'il ne la verroit pas.»

Tout efféminé qu'il étoit, et peut-être même en raison de son caractère, Monsieur paroît avoir eu quelques grands élans de sensibilité. Il éclate en sanglots à la mort de sa mère; il est alors plus affligé fils que Louis XIV (Montp., t. 4, p. 95). À la mort de madame de Roquelaure il montre aussi une tristesse enfantine. Nous demanderons à sa femme, madame la Palatine, de nous achever son portrait. Il aimoit passionnément le bruit des cloches, jusqu'à revenir exprès à Paris la veille de toute grande fête carillonnée: à l'automne, quand les dernières feuilles, jaunies, déjà glacées, tremblent au bruit des sonneries de la Toussaint; au printemps, quand le chant joyeux des cloches de Pâques s'envole, comme un essaim de jeunes oiseaux, au travers des sérénités du ciel bleu. Avec cela il étoit joueur, mauvais joueur même (Lettres, t. 1, p. 48). Il n'aimoit pas la chasse et il ne consentoit à monter à cheval que pour aller à la guerre, où il se conduisit en bon capitaine. Il écrivoit avec une telle négligence qu'il ne pouvoit se relire; du reste, il écrivoit peu (t. 1, p. 257). Madame raconte tranquillement qu'elle n'avoit pas grand plaisir au lit avec lui (t. 1, p. 300) et qu'il ne vouloit pas être dérangé pendant son sommeil. Il étoit superstitieux (t. 2, p. 276), et Madame le surprit à promener des médailles bénites, la nuit, sur les diverses parties de son corps de la santé desquelles il doutoit.

Il n'est pas probable que ce soit Madame qui ait tort (t. 1, p. 402), et les libelles ou les couplets qui aient raison, lorsqu'elle dit: «La maréchale de Grancey étoit la femme la plus sotte du monde. Feu Monsieur feignit d'être amoureux d'elle; mais si elle n'avoit pas eu d'autre amant, elle auroit certes conservé toute sa bonne renommée. Il ne s'est jamais rien passé de mal entre eux. Elle-même disoit que, s'il venoit à se trouver seul avec elle, il se plaignoit aussitôt d'être malade: il prétendoit avoir mal de tête ou mal de dents. Un jour la dame lui proposa une liberté singulière: Monsieur mit vite ses gants. J'ai vu souvent qu'on le plaisantoit à cet égard, et j'en ai bien ri. Cette Grancey avoit une fort belle figure et une belle taille lorsque je vins en France, et tout le monde n'avoit pas pour elle le même dédain que Monsieur, car, avant que le chevalier de Lorraine ne fût son amant, elle avoit déjà eu un enfant.»

La femme défend bien son mari. Mieux vaudroit pour lui qu'elle pût se plaindre. Elle ne le flatte pas, d'ailleurs, et raconte parfaitement (27 janvier 1720) tous ses travers: «Feu Monsieur aimoit beaucoup les bals et les mascarades; il dansoit bien, mais c'étoit à la manière des femmes; il ne pouvoit danser comme un homme, parcequ'il portoit des souliers trop hauts.»

Achevons avec dix lignes de Saint-Simon (t. 3, p. 170):

«Monsieur, qui, avec beaucoup de valeur, avoit gagné la bataille de Cassel, et qui en avoit montré toujours de fort naturelle en tous les siéges où il s'étoit trouvé, n'avoit d'ailleurs que les mauvaises qualités des femmes. Avec plus de monde que d'esprit et nulle lecture, quoique avec une connoissance étendue et juste des maisons, des naissances et des alliances, il n'étoit capable de rien. Personne de si mou de corps et d'esprit, de plus foible, de plus timide, de plus trompé, de plus gouverné, ni de plus méprisé par ses favoris, et très souvent de plus mal mené par eux.»

<p>57</p>

Quelque délicatesse est de temps en temps indispensable. Rien ne nous oblige, toutes les fois qu'un nom se présente, à rechercher tous les souvenirs guillerets qu'il peut rappeler et à vouloir absolument enluminer toutes nos notes de couleurs voyantes. C'est affaire aux gens qui écrivent les Crimes des rois de France et autres ouvrages de cette force de raconter comment toute reine a été nécessairement une Messaline. Anne d'Autriche, même en admettant bien des choses, a été une femme digne d'estime, une mère de famille pleine de dignité, une reine indulgente et honnête. Ce qu'on a dit des affaires arrivées du temps de Louis XIII et ce qui arriva sous la régence ne la déshonore en rien. Elle ne fut pas galante, elle ne fut pas coquette, encore moins débauchée. On ne peut lui reprocher que d'avoir aimé un peu, et ce n'est pas ici le lieu d'être si impitoyable. Les pamphlets ne doutent jamais de rien. En voici un qui a de l'audace (Cat. de la Bibl. nat., t. 2, n. 3547): Les Amours d'Anne d'Autriche, épouse de Louis XIII, avec M. le C. de R., père de Louis XIV; Cologne, P. Marteau, 1693, in-12.

Le brillant Montmorency se déclara, dès 1626, le chevalier de la reine (Tallem., t. 2, p. 307). À Castelnaudary, sur le champ de sa défaite, il portoit le portrait d'Anne d'Autriche lorsqu'il fut pris (Vittorio Siri, Memorie Recondite, t. 7), et cela, dit-on, rendit Louis XIII inflexible au jour de sa condamnation. De simples gentilshommes, avant ce fou de Jarzay, se mirent à l'aimer: ainsi d'Esguilly-Vassé (Tallem., t. 2, p. 241). Bellegarde (Roger de Saint-Lary) employa Malherbe à exprimer sa passion, et l'on a un pont-breton de Voiture qui indique l'heure où le duc de Bellegarde dut cesser de faire le beau poète:

L'astre de Roger

Ne luit plus au Louvre;

Chascun le descouvre,

Et dit qu'un berger

Arrivé de Douvre

L'a fait deloger.

Qui ne connoît, de ce même Voiture, la pièce charmante adressée à la reine-régente, pièce dans laquelle il lui rappelle ce temps de pastorales, de fêtes romanesques, de scènes de chevalerie, et dans laquelle il ose lui dire: «Lorsque vous étiez

Je ne veux pas dire amoureuse;

La rime le veut toutefois.»

Tout le scandaleux de l'amourette Buckingham, Tallemant (t. 2, p. 10) l'a resserré en une très courte phrase. Il n'y a rien de plus à imaginer que des folies:

«Ce qui fit le plus de bruit, ce fut quand la cour alla à Amiens, pour s'approcher d'autant plus de la mer: Bouquinquant tint la reyne toute seule dans un jardin; au moins il n'y avoit qu'une madame du Vernet, sœur de feu M. de Luynes, dame d'atours de la reyne; mais elle estoit d'intelligence et s'estoit assez éloignée. Le galant culebutta la reyne et luy escorcha les cuisses avec ses chausses en broderies; mais ce fut en vain.»

Pour le mariage de la régente avec le cardinal Mazarin, on ne voit pas qu'il soit plus possible d'en douter, et rien n'est plus facile à excuser et à comprendre.

Dès le temps de la première Fronde, nul n'étoit ignorant de la liaison formée entre la mère du roi et le ministre. Un couplet dit en 1650:

Mazarin, plie ton paquet:

Notre roi est devenu sage;

Ton adultère lui déplaît.

Si mesdames de Motteville, Talon et la duchesse de Nemours disculpent la reine, les mémoires de Brienne le fils (t. 2, p. 40, 337), ceux de Retz, les Lettres de Madame, et la Correspondance même de Mazarin (Lettres inédites, publiées par M. Ravenel, p. 491), maintiennent l'opinion générale. Madame, dont il ne faut pas se défier obstinément, et qui a pu être bien instruite, dit en propres termes (27 septembre 1718): «La reine-mère, veuve de Louis XIII, a fait encore bien pis que d'aimer le cardinal Mazarin: elle l'a épousé. Il n'étoit pas prêtre, et n'avoit pas les ordres qui pussent empêcher de se marier.»

C'est encore Madame (16 avril 1718) qui dit: «La reine-mère avoit l'habitude de manger énormément quatre fois par jour.» Si cela est, ses enfants ont tenu d'elle. Mais il faut finir par quelque morceau de panégyrique. Madame de Motteville s'offre à nous pour cette besogne, qui lui a tant plu.

Vers les derniers moments de la vie de la reine, quand son affreuse maladie redoublait de pourriture, madame de Motteville fait un retour sur le passé (t. 5, p. 248): «La grandeur de sa naissance l'avoit accoutumée à l'usage des choses délicieuses qui peuvent contribuer à l'aise du corps, et sa propreté étoit sur cela si extrême, qu'on pouvoit s'étonner doublement quand on voyoit que sa vertu la rendoit si dure sur elle-même. Selon ses inclinations naturelles et selon la délicatesse de sa peau, ce qui étoit innocemment délectable lui plaisoit; elle aimoit les bonnes senteurs avec passion. Il étoit difficile de lui trouver de la toile de batiste assez fine pour lui faire des draps et des chemises, et, avant qu'elle pût s'en servir, il falloit la mouiller plusieurs fois pour la rendre plus douce.»

Elle s'étoit maintenue propre et agréable fort long-temps. En 1661, sa fidèle amie (t. 5, p. 112) l'affirme: «Quoique elle approchât alors de soixante ans, elle étoit encore aimable, et, sans flatterie, on pouvoit dire qu'elle avoit de grandes beautés. Outre qu'elle avoit de la fraîcheur sur le visage, ses belles mains et ses beaux bras n'avoient rien perdu de leur perfection, et les belles tresses de ses cheveux étoient de même grosseur et de même couleur qu'elles avoient été à vingt-cinq ans.»

Décidément elle n'avoit pas été laide. Écoutons madame de Motteville en 1644 (t. 2, p. 71): «Il y avoit un plaisir non pareil à la voir coiffer et habiller. Elle étoit adroite, et ses belles mains, en cet emploi, faisoient admirer toutes leurs perfections. Elle avoit les plus beaux cheveux du monde; ils étoient fort longs et en grande quantité, qui se sont conservés long temps sans que les années aient eu le pouvoir de détruire leur beauté…

«… Après la mort du feu roi elle cessa de mettre du rouge, ce qui augmenta la blancheur et la netteté de son teint.»