Название: Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome I
Автор: Bussy Roger de Rabutin
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Pour les coquettes, comme le nombre en est plus grand, je m'étendrai davantage sur le chapitre. La différence des débauchées à elles, c'est que dans le mal que font celles-ci il y a au moins de la sincérité; dans celui que font les coquettes il y a de la trahison. Les coquettes nous disent pour s'excuser, quand elles écoutent les douceurs de tout le monde, que, quelque honnête femme qu'on soit, on ne hait pas une personne qui nous dit qu'elle nous aime.
Mais on leur peut répondre qu'il y a des distinctions à faire. Si cet amant s'adresse à une femme qui veut être honnête pour elle-même ou pour un amant, j'avoue qu'elle ne pourra pas haïr un homme pour les sentimens qu'il aura pour elle; mais cela n'empêchera pas qu'elle ne doive prendre garde à ne pas avoir plus de complaisance pour lui que pour un autre qui ne lui auroit jamais rien témoigné, de peur qu'elle n'entretienne par là ses espérances, et qu'enfin cela ne fasse du bruit et ne nuise à la réputation qu'elle veut conserver.
Si c'est une femme préoccupée à qui un homme témoigne de l'amour, elle aura les mêmes précautions que l'autre pour empêcher que cela ne continue; mais, s'il est opiniâtre, je soutiens qu'elle le haïra autant qu'elle aimera son véritable amant, parcequ'il est naturel de haïr les ennemis de celui qu'on aime, parceque l'amour que l'on ne veut pas reconnaître importune, et parceque, l'amant bien traité pouvant soupçonner qu'une passion qui dure à son rival est pour le moins soutenue de quelques espérances, une honnête maîtresse regarde comme son ennemi mortel un rival qui la met au hasard de perdre son amant qu'elle aime plus que sa vie. Cela étant sans difficulté, il faut que vous sachiez encore qu'il y a plusieurs sortes de coquettes. Les unes trouvent de la gloire à se voir aimées de beaucoup de gens sans en avoir aimé aucun, et ne voient pas que ce sont les avances qu'elles font qui attirent le monde et qui les retiennent plutôt que le mérite. D'ailleurs, comme il n'est pas possible qu'elles dispensent leurs faveurs si également qu'il ne paroisse quelqu'un mieux traité qu'un autre, et qu'il y en a même qui ne se contentent pas de l'égalité, et qui veulent de la préférence, cela donne de la jalousie aux mécontens, et enfin du dépit, qui leur fait dire en les quittant tout ce qu'ils savent et ne savent pas.
Il y a d'autres coquettes qui ménagent plusieurs amans afin de sauver le véritable dans la multitude et de faire dire qu'elles n'ont point d'affaire, puisqu'elles traitent également tous ceux qui les voient; mais on découvre la vérité, qui est le mieux qui leur puisse arriver, ou, plutôt que de croire qu'elles n'aiment personne, tout le monde croit qu'elles les aiment tous.
Il y en a d'autres qui, en ménageant plusieurs amans, veulent persuader que, si elles aimoient quelqu'un, elles ne se hasarderoient pas à le fâcher; cependant elles le fâchent et le perdent avec cela: car de s'imaginer, si c'est en l'absence de leur véritable amant qu'elles font l'amour, qu'il ne le sçaura pas connoître, ou, si c'est devant lui, qu'en usant comme de concert ensemble il verra bien que ce n'est rien, puisqu'elles le prennent pour témoin de ce qu'elles font, ou qu'en tout cas, s'il se fâche, les douceurs qu'elles lui feront et les promesses de n'y plus retourner l'obligeront à se radoucir, tout cela est fort sujet à caution. L'on ne trompe pas long-temps un amant. S'il ne découvre aujourd'hui, il découvrira demain.
Disant: Lon la la,
Il vous quittera là.
Et quand la passion seroit si forte qu'il ne s'en pourroit guérir, les reproches et les fracas qu'il fera donneront plus de chagrin à la maîtresse coquette que tous ces ménagemens ne lui auront fait de plaisir. Il y a des coquettes qui croient être en si mauvaise réputation dans le monde qu'elles n'oseroient avoir de la rigueur pour personne, de peur que cela ne passe pour un sacrifice à quelqu'un, et qui ne songent pas qu'il vaudroit mieux pour leur honneur qu'elles fussent convaincues du sacrifice. Voilà, Madame, la manière des coquettes. Il faut maintenant que je vous fasse voir celle des honnêtes maîtresses55.
Pour elles, ou elles sont satisfaites de leur amant, ou elles ne le sont pas. Si elles ne le sont pas, elles tâchent de le ramener à son devoir par une conduite tendre et honnête; si cela ne se peut absolument, elles rompent sans bruit, sur un prétexte de dévotion ou de jalousie d'un mari, après avoir retiré, si elles peuvent, leurs lettres et tout ce qui les peut convaincre; et, sur toutes choses, elles font en sorte que leurs amans ne croient pas qu'elles les quittent pour d'autres.
Si elles sont contentes de leurs amans, elles les aiment de tout leur cœur, elles le leur disent sans cesse et leur écrivent le plus tendrement qu'elles peuvent; mais, comme cela seulement ne leur prouve pas leur amour, parceque les coquettes en disent autant ou plus tous les jours, leurs actions et leurs procédés justifient assez le fond de leur cœur, parcequ'il n'y a que cela d'infaillible. On peut toujours dire qu'on aime, quoiqu'on n'aime pas; on ne peut avoir long-temps un procédé tendre pour quelqu'un sans l'aimer.
Une honnête maîtresse craint plus que la mort de donner de la jalousie à son amant, et, quand elle le voit alarmé sur quelque soupçon qu'il a pu prendre de l'opiniâtreté de son rival, elle ne se contente pas du témoignage de sa conscience; elle redouble ses soins et ses caresses pour celui-là, et ses rigueurs pour celui-ci. Elle ne remet pas la dernière sévérité pour une autre fois, croyant qu'elle se défera toujours d'un importun trop tard. Elle sçait qu'autant de momens qu'elle différeroit de chasser ce rival, elle donneroit autant de coups de poignard dans le cœur de celui qu'elle aime; elle sçait que, d'abord que son amant commence à avoir des soupçons, le moindre petit soin qu'elle prendra de les lui ôter lui conservera l'estime et l'amour qu'il a pour elle; au lieu que, si elle négligeoit de le satisfaire et de le guérir, il viendroit à avoir si peu de confiance en elle, qu'elle ne le pourroit rétablir en lui offrant même de perdre sa réputation; elle sçait qu'un amant croiroit toujours que ce seroit la crainte qu'elle auroit de lui qui lui arracheroit les sacrifices qui passeroient dans son esprit, en un autre temps, pour des grandes marques d'amour; elle sçait que des femmes en qui on a de la confiance on excuse tout, qu'on ne pardonne rien à celles de qui on se défie; elle sçait enfin qu'on vient quelquefois à être fatigué du tracas qu'on reçoit d'une maîtresse et des reproches qu'on lui a faits après lui avoir pardonné mille fautes considérables, et qu'on rompt sur une bagatelle, lorsque la mesure est pleine et qu'on ne peut plus souffrir tant de chagrins.
Il y a des femmes qui aiment fort leurs amans qui ne laissent pas de leur donner de la jalousie par leur mauvaise conduite, et cela vient de ce qu'elles se flattent trop de l'assurance qu'elles ont de leurs bonnes intentions, et de ce qu'elles ne tranchent pas assez nettement les espérances aux gens qui leur parlent d'amour, ou qui seulement leur en témoignent par des soins et des assiduités. Elles ne sçavent pas que les civilités d'une femme qu'on aime sont des faveurs dont tous les amans se flattent quelquefois, parcequ'ils ont du mérite, ou souvent parcequ'ils en croient avoir, tantôt parcequ'ils n'ont pas bonne opinion des gens à qui ils s'adressent, et pensent que la résistance qu'on fait n'est seulement que pour se faire valoir. De sorte que, si une femme qui n'a jamais donné lieu de parler d'elle est toujours fort jalouse de sa réputation, elle doit prendre garde, comme j'ai déjà dit, de n'entretenir en nulle manière les espérances de tout ce qui a de l'air d'amant; que, si c'est une femme qui n'ait pas eu jusque là assez de soin de sa conduite, et qu'elle en veuille prendre à l'avenir, comme vous, Madame, il faut qu'elle soit plus rude qu'une autre, et surtout qu'elle soit égale en sa sévérité, car la moindre bonté à quoi elle se relâche rengage plus un amant que cent refus ne le rebutent.
Une honnête maîtresse a tant de sincérité pour son amant que, plutôt que de manquer à lui dire les choses de conséquence, elle lui dit jusqu'à des bagatelles, sachant bien que, s'il alloit sçavoir par d'autres voies de certaines choses indifférentes, que l'on rend criminelles en les redisant, cela feroit le plus méchant effet du monde. Elle ne garde aucune mesure avec lui sur la confiance; elle lui dit non seulement ses propres secrets, mais ceux même qu'elle a pu savoir autrefois, СКАЧАТЬ
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Tout cela est long, bien long. Aussi, dans quelques éditions, a-t-on supprimé en cet endroit quatre ou cinq pages. Sans vouloir faire le juré-mesureur de style, il me semble que ces quatre ou cinq pages ne sont pas les meilleures de Bussy, si elles sont de lui. Il a ordinairement la plume plus légère, le tour plus libre, la pensée plus claire.