Les Troubadours. Anglade Joseph
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Название: Les Troubadours

Автор: Anglade Joseph

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ leur dédain pour les compositions d'un autre genre. Ainsi Giraut de Bornelh s'étonne et s'irrite même du succès qu'ont dans les cours contes et nouvelles, les romans, comme nous dirions de nos jours. (Il y avait en effet des troubadours qui, doués d'un bon talent de lecteurs, faisaient des lectures poétiques.) Le succès, dit Giraut de Bornelh, devrait être réservé aux bonnes chansons traitant de sujets relevés. Il y eut donc dans cette littérature une hiérarchie des genres. Elle fut observée pendant tout l'âge d'or et de la poésie provençale. Ce n'est que pendant la période de décadence que les «beaux traités didactiques», fort en honneur alors, et les «contes gracieux», pour nous servir des expressions du dernier troubadour, furent mis sur le même pied que les compositions lyriques. Pendant la période classique, la poésie lyrique fut seule en honneur.

      Où les troubadours apprenaient-ils leur art? N'est-il pas naturel que, dans un milieu qui a poussé si loin le culte de la forme, il ait existé des écoles de poésie? Des écoles où l'on apprenait la technique d'un métier qui dès les débuts était difficile? La question est d'autant plus intéressante qu'il est souvent fait mention d'écoles, soit dans les biographies des troubadours, soit dans leurs poésies. Ainsi l'auteur de la vie de Giraut de Bornelh nous apprend que l'hiver il passait son temps «à l'école». Il s'agit sans doute ici d'écoles où l'on enseignait les sept arts qui composaient l'ensemble des connaissances d'alors. D'école de poésie il n'y en eut pas. Ou s'il y en eut, ce fut peut-être celle que Jaufre Rudel nous fait connaître par le début d'une de ses chansons: maîtres et maîtresses de chant c'étaient les oiseaux et les fleurs, en un mot la Nature.

      Maîtres, maîtresses de chansons

      Assez autour de moi foisonnent:

      Mille oiselets sur les buissons

      Célèbrent les fleurs qui couronnent

      Nos gazons déjà renaissants 29.

      Cependant il arrivait que les poètes formaient des disciples, au vrai sens du mot. Èbles II, vicomte de Ventadour, fut ainsi le maître de Bernard, qui le paya si mal de sa peine. Marcabrun était disciple de Cercamon. Un troubadour plus récent, Uc de Saint-Cyr, apprenait beaucoup auprès des autres poètes, mais il faisait part volontiers à ses confrères de ses connaissances poétiques. Il s'était ainsi formé de bonne heure une sorte de code poétique, auquel les troubadours font de nombreuses allusions; ils le connaissaient par tradition, nous ne le connaissons plus, et encore incomplètement, que par des recueils didactiques de la période de décadence.

      Quelle que soit l'école où ils se sont formés, les troubadours se distinguent par un souci extrême de la forme. Les métaphores abondent, chez eux, pour marquer ce travail délicat qui consiste à couvrir la pensée d'une parure élégante. L'expression classique de limer, polir revient souvent. L'un se vante de savoir bien «bâtir» ou «forger» une chanson; l'autre de savoir l'«orner» et l'«affiner». Il n'est pas rare qu'un troubadour confiant ses chants à un jongleur le prie de n'y rien changer, tellement il a conscience d'avoir fait œuvre parfaite. Ce souci de la forme est extrême chez les troubadours; il devint bientôt excessif; mais ils lui doivent d'avoir pu faire sur des «pensers» déjà antiques de jolis vers nouveaux.

      Tout en leur reprochant ce culte presque exclusif de la forme, sachons-leur gré de l'avoir ainsi mise en honneur. Ce souci d'art est de tradition dans les littératures néo-latines. Elles ont plus d'une fois racheté par ce côté ce qui leur manquait en profondeur. Cette tradition remonte loin; si les troubadours ne l'ont pas créée, ils étaient dignes de le faire.

      Et soyons-leur indulgents aussi pour l'orgueil qu'ils ont de leur art. Vaniteux, à ce point de vue, les troubadours le furent à l'excès. La mesure et la discrétion, qualités dont ils font si souvent l'éloge, paraissent avoir été peu en honneur dans leur milieu. Ils se vantent à tout instant de leur supériorité, et de leur originalité dans l'invention. Cela est vrai en partie. Mais l'invention est pour eux autre chose que ce que nous entendons par ce mot. Elle ne consiste pas à trouver des pensées nouvelles, mais plutôt à inventer de nouveaux airs, de nouvelles mélodies, de nouvelles rimes ou combinaisons strophiques. C'est encore ici un souci d'art qui les pousse; et c'est de lui qu'ils tirent vanité. Mais cette vanité n'est-elle pas commune aux poètes? et n'y en a-t-il pas de plus mal placée?

      Ce souci de s'éloigner du vulgaire et de n'écrire que pour les parfaits connaisseurs a conduit les troubadours – surtout ceux de la première période – à un genre de style raffiné qu'ils désignent sous le nom de trobar clus (invention obscure, fermée aux profanes). Ce genre consiste à n'employer que des mots rares, difficiles et obscurs, ou s'éloignant de leur sens ordinaire. Les poésies écrites dans ce style paraissent claires à première vue, mais le sens en est si bien caché qu'encore aujourd'hui on discute sur le sens de quelques-unes. Il y eut dans ce genre si faux des virtuoses. Les connaisseurs du temps ne leur ménagèrent pas leur admiration. Ainsi Dante et Pétrarque mettent au premier rang des troubadours le représentant le plus éminent de ce genre, Arnaut Daniel. «C'est un grand maître en poésie, dit Pétrarque, et qui fait encore honneur à sa patrie par son style orné et poli 30.» Ces deux grands poètes italiens eux-mêmes ont subi l'influence des troubadours de cette école; mais leur génie les a préservés des excès. Il n'en fut pas de même dans la littérature provençale où ce genre produisit bon nombre de pièces obscures et énigmatiques, pour la plus grande joie des connaisseurs anciens et pour le désespoir des connaisseurs modernes. Il y eut d'ailleurs de bonne heure une réaction, et même tous les troubadours de la bonne époque n'ont pas admis cette conception 31.

      La musique est une partie importante de l'art des troubadours. Il nous est dit de plus d'un qu'il trouvait non de belles pensées, mais de beaux «sons», c'est-à-dire de belles mélodies. Plusieurs manuscrits des troubadours, plusieurs «chansonniers», comme on les appelle, nous font connaître cette musique. Seulement on dirait qu'il y manque l'âme. Nous sommes très mauvais juges de ce qui en faisait l'originalité. Son secret paraît à jamais perdu. Chantée de nos jours elle paraît monotone, comme un plain-chant vieilli. Par quels mouvements, par quelles modulations, les troubadours et surtout les jongleurs, en relevaient-ils la monotonie? C'est ce que nous ne saurons sans doute jamais 32.

      Le chant et la musique étaient proprement du domaine du jongleur. S'il y avait eu une démarcation bien nette entre ces deux classes, le troubadour se serait contenté d'inventer la mélodie, laissant au jongleur le soin de la chanter en s'accompagnant de la viole, de la cithare et autres instruments. Mais c'est par là précisément que la classe des jongleurs se confondait avec celle des troubadours. N'était-ce pas une tentation toute naturelle pour le poète musicien de chanter lui-même sa composition? Comme aux époques lointaines de la Grèce primitive musique et poésie allaient de pair: les deux arts se confondaient chez les troubadours comme jadis chez les aèdes.

      L'étude des différents genres lyriques nous montrera mieux encore l'union de ces deux arts. Les genres que nous allons énumérer sont tous faits pour être chantés. Les troubadours (ils nous en font assez souvent la confidence) ont mis autant de soin à inventer le «son», c'est-à-dire la mélodie, qu'à trouver le fond et à orner la forme.

      On divise quelquefois ces genres en deux groupes: ceux qui ont gardé quelque trace de leur origine populaire et ceux qui s'en sont éloignés 33. C'est une division qui est à peu près juste, mais elle a le tort de laisser croire que certains genres sont d'origine plus relevée que les autres. Si nous distinguons plus simplement les genres d'après l'importance qu'ils occupent dans la poésie des troubadours, on voit que la première place appartient à la chanson, puis au sirventés, enfin à la tenson: viennent ensuite les genres que nous pourrions appeler secondaires, donnant aux précédents le nom de genres principaux.

      La chanson occupe la place СКАЧАТЬ



<p>29</p>

Traduction de l'abbé Papon, Parnasse occitanien, p. 21.

<p>30</p>

Pétrarque, Trionfo d'amore.

<p>31</p>

Cf. Gaston Paris, Esquisse historique de la littérature française au Moyen âge, p. 159: «ce sont les troubadours de cette école [du trobar clus] qui, malgré leurs défauts et indirectement, ont créé le style moderne».

<p>32</p>

Sur la musique cf. un excellent article de M. A. Restori, dans la Rivista musicale italiana, vol. II, fasc. 1, 1895. Voir surtout la récente publication de M. J. – B. Beck, Die Melodien der Troubadours, Strasbourg, 1908.

Cf. encore A. Jeanroy, Dejeanne, P. Aubry: Quatre poésies de Marcabrun, troubadour gascon du XIIe siècle, texte, musique et traduction, Paris, 1904.

Les troubadours dont il nous reste le plus d'airs notés sont les suivants: Bernard de Ventadour, Folquet de Marseille, Gaucelm Faidit, Guiraut Riquier, Peire Vidal, Raimon de Miraval. Le plus grand nombre de ces mélodies (les deux tiers) se trouvent dans le manuscrit R (Bibl. nat.,f. fr., 22543).

<p>33</p>

Ludwig Rœmer, Die volksthümlichen Dichtungsarten, Marbourg, 1884.