Название: Histoire des salons de Paris. Tome 5
Автор: Abrantès Laure Junot duchesse d'
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/44664
isbn:
Il dit ce mot avec une expression qui traduisait l'opinion qu'il s'était déjà formée de cet homme, qui, tout prince qu'il était, montrait plus de vulgarité qu'aucun transtévérin de Rome24.
– «Ce n'est pas Paulette qui d'elle-même aura eu cette pensée…» Il se tourna alors vers moi.
«Je suis sûr que c'est chez votre mère qu'on lui a dit cela?»
C'était vrai. C'était madame de Bouillé25 qui le lui avait dit. J'en convins, et la nommai au premier Consul…
– «J'en étais sûr,» répéta-t-il avec un accent de satisfaction qui disait que certainement il aurait recours à cette noblesse, qu'il n'aimait pas comme homme d'État, mais dont il ne pouvait se refuser à reconnaître la nécessaire influence dans une société élégante, et surtout dans une cour.
Quoiqu'on demeurât beaucoup plus de temps à table depuis qu'on y était servi avec tout le luxe royal, il était à peine huit heures lorsqu'on en sortit. Le premier Consul se promena quelque temps en attendant sa sœur qu'il voulait voir arriver dans toute sa gloire de princesse et de jolie femme; mais à huit heures et demie il perdit patience et s'en fut travailler dans son cabinet.
Madame Borghèse avait préparé son entrée pour produire de l'effet. Redoutant l'inégalité de son frère, qui souvent se mettait à table à huit heures et demie, elle ne voulut prudemment arriver qu'à neuf heures passées, ce qui lui fit manquer le premier Consul.
Elle avait voulu frapper depuis le vestibule jusqu'au salon, tous deux inclusivement. Elle était venue dans une magnifique voiture chargée des armoiries des Borghèses: cette voiture, attelée de six chevaux, avait trois laquais portant des torches… un piqueur en avant et un garçon d'attelage en arrière, l'un et l'autre ayant aussi une torche, complétaient cette magnificence encore fort inconnue, en France, pour la génération alors au pouvoir.
Lorsque le prince et la princesse arrivèrent à la porte du salon consulaire, l'huissier, préludant à l'Empire, ouvrit les deux battants et dit à haute voix:
«Monseigneur le prince et madame la princesse Borghèse.»
Nous nous levâmes toutes à l'instant. Joséphine se leva aussi; mais elle demeura immobile devant son fauteuil et laissa la princesse avancer jusqu'à elle et traverser ainsi une grande partie du salon. Mais la chose lui fut plutôt agréable qu'autrement, par une raison que je dirai plus tard, et à laquelle on ne s'attend guère.
Elle était en effet resplendissante, comme elle l'avait annoncé: sa robe était d'un magnifique velours vert, mais d'un vert doux et point tranchant. Le devant de cette robe et le tour de la jupe étaient brodés en diamants, non pas en strass, mais en vrais diamants, et les plus beaux qu'on pût voir26. Le corsage et les manches en étaient également couverts, ainsi que ses bras et son cou. Sur sa tête était un magnifique diadème où les plus belles émeraudes que j'aie jamais vues étaient entourées de diamants; enfin, pour compléter cette magnifique parure, la princesse avait au côté un bouquet composé de poires d'émeraudes et de poires en perles d'un prix inestimable. Maintenant, qu'on se figure l'être fantastique de beauté qui était au milieu de toutes ces merveilles, et on aura une imparfaite idée encore de la princesse Borghèse entrant dans le salon de Saint-Cloud le soir de sa présentation, comme elle-même le disait!
Je connaissais et la toilette, et les trésors, et la beauté; cependant, je l'avoue, je fus moi-même surprise par l'effet que produisit la princesse à son entrée dans le salon. Quant à son mari, il fut là ce qu'il fut toujours depuis, le premier chambellan de sa femme…
Joséphine, après le premier moment d'étonnement causé par cette profusion de pierreries qui ruisselaient sur les vêtements de sa belle-sœur, se remit, et la conversation devint générale. On servit des glaces, et alors il y eut un mouvement.
– «Eh bien! me dit la Princesse, comment me trouvez-vous?
– Ravissante! et jamais on ne fut si jolie avec autant de magnificence.
En vérité!
C'est très-vrai.
Vous m'aimez, et vous me gâtez…
Vous êtes enfant!.. Mais, dites-moi pourquoi vous êtes venue si tard?
Vraiment, je l'ai fait exprès!.. je ne voulais pas vous trouver à table. Il m'est bien égal de n'avoir pas vu mon frère!.. C'était elle, que je voulais trouver et désespérer… Laurette, Laurette! Regardez donc comme elle est bouleversée!.. oh! que je suis contente!
Prenez garde, on peut vous entendre.
Que m'importe! je ne l'aime pas!.. Tout à l'heure elle a cru me faire une chose désagréable en me faisant traverser le salon; eh bien! elle m'a charmée.
Et pourquoi donc?
Parce que la queue de ma robe ne se serait pas déployée, si elle était venue au-devant de moi, tandis qu'elle a été admirée en son entier.
Je ne pus retenir un éclat de rire; mais la Princesse n'en fut pas blessée. Ce soir-là on aurait pu tout lui dire, excepté qu'elle était laide…
Elle est bien mise, après tout!.. Ce blanc et or fait admirablement sur ce velours bleu…
Tout à coup la Princesse s'arrête… une pensée semble la saisir; elle jette les yeux alternativement sur sa robe et sur celle de madame Bonaparte.
Ah, mon Dieu! mon Dieu!
Qu'est-ce donc?
Comment n'ai-je pas songé à la couleur du meuble de salon!.. Et vous, vous, Laurette… vous, qui êtes mon amie, que j'aime comme ma sœur (ce qui ne disait pas beaucoup), comment ne me prévenez-vous pas?
Eh! de quoi donc, encore une fois! que le meuble du salon de Saint-Cloud est bleu? Mais vous le saviez aussi bien que moi.
Sans doute; mais dans un pareil moment on est troublée, on ne sait plus ce qu'on savait; et voilà ce qui m'arrive… J'ai mis une robe verte pour venir m'asseoir dans un fauteuil bleu!
Non, les années s'écouleront et amèneront l'oubli, que je ne perdrai jamais de vue la physionomie de la Princesse en prononçant ces paroles… Et puis l'accent, l'accent désolé, contrit… C'était admirable!
Je suis sûre que je dois être hideuse! Ce vert et ce bleu… Comment appelle-t-on ce ruban27? Préjugé vaincu!.. Je dois être bien laide, n'est-ce pas?
Vous êtes charmante! Quelle idée allez-vous vous mettre en tête!
Non, СКАЧАТЬ
24
Les Transtévérins ou hommes au-delà du Tibre sont très-beaux, mais tout à fait communs. C'est dans les Transtévérines que les peintres retrouvent encore les vraies madones de Raphaël.
25
Mère de madame de Contades. Elle entendait à ravir tout ce qui tenait à l'étiquette de la cour. J'ai rapporté ce fait pour montrer à quel point Bonaparte attachait de l'importance à ces sortes de choses.
26
27
Dans les premiers moments de la Révolution, on fit un ruban où des raies vertes et bleues se mélangeaient.