Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel. Marcel Proust
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Читать онлайн книгу Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel - Marcel Proust страница 176

Название: Les Oeuvres Complètes de Proust, Marcel

Автор: Marcel Proust

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066373511

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СКАЧАТЬ plaisir de lettré et d’artiste, il goûtait un divertissement assez vulgaire à faire comme des bouquets sociaux en groupant des éléments hétérogènes, en réunissant des personnes prises ici et là. Ces expériences de sociologie amusante (ou que Swann trouvait telle) n’avaient pas sur toutes les amies de sa femme – du moins d’une façon constante – une répercussion identique. «J’ai l’intention d’inviter ensemble les Cottard et la duchesse de Vendôme», disait-il en riant à Mme Bontemps, de l’air friand d’un gourmet qui a l’intention et veut faire l’essai de remplacer dans une sauce les clous de girofle par du poivre de Cayenne. Or ce projet qui allait paraître en effet plaisant, dans le sens ancien du mot, aux Cottard, avait le don d’exaspérer Mme Bontemps. Elle avait été récemment présentée par les Swann à la duchesse de Vendôme et avait trouvé cela aussi agréable que naturel. En tirer gloire auprès des Cottard, en le leur racontant, n’avait pas été la partie la moins savoureuse de son plaisir. Mais comme les nouveaux décorés qui, dès qu’ils le sont, voudraient voir se fermer aussitôt le robinet des croix, Mme Bontemps eût souhaité qu’après elle personne de son monde à elle ne fût présenté à la princesse. Elle maudissait intérieurement le goût dépravé de Swann qui lui faisait, pour réaliser une misérable bizarrerie esthétique, dissiper d’un seul coup toute la poudre qu’elle avait jetée aux yeux des Cottard en leur parlant de la duchesse de Vendôme. Comment allait-elle même oser annoncer à son mari que le professeur et sa femme allaient à leur tour avoir leur part de ce plaisir qu’elle lui avait vanté comme unique? Encore si les Cottard avaient pu savoir qu’ils n’étaient pas invités pour de bon, mais pour l’amusement. Il est vrai que les Bontemps l’avaient été de même, mais Swann ayant pris à l’aristocratie cet éternel donjuanisme qui entre deux femmes de rien fait croire à chacune que ce n’est qu’elle qu’on aime sérieusement, avait parlé à Mme Bontemps de la duchesse de Vendôme comme d’une personne avec qui il était tout indiqué qu’elle dînât. «Oui, nous comptons inviter la princesse avec les Cottard, dit, quelques semaines plus tard Mme Swann, mon mari croit que cette conjonction pourra donner quelque chose d’amusant», car si elle avait gardé du «petit noyau» certaines habitudes chères à Mme Verdurin, comme de crier très fort pour être entendue de tous les fidèles, en revanche, elle employait certaines expressions – comme «conjonction» – chères au milieu Guermantes duquel elle subissait ainsi à distance et à son insu, comme la mer le fait pour la lune, l’attraction, sans pourtant se rapprocher visiblement de lui. «Oui, les Cottard et la duchesse de Vendôme, est-ce que vous ne trouvez pas que cela sera drôle?» demanda Swann. «Je crois que ça marchera très mal et que ça ne vous attirera que des ennuis, il ne faut pas jouer avec le feu», répondit Mme Bontemps, furieuse. Elle et son mari furent, d’ailleurs, ainsi que le prince d’Agrigente, invités à ce dîner, que Mme Bontemps et Cottard eurent deux manières de raconter, selon les personnes à qui ils s’adressaient. Aux uns, Mme Bontemps de son côté, Cottard du sien, disaient négligemment quand on leur demandait qui il y avait d’autre au dîner: «Il n’y avait que le prince d’Agrigente, c’était tout à fait intime.» Mais d’autres risquaient d’être mieux informés (même une fois quelqu’un avait dit à Cottard: «Mais est-ce qu’il n’y avait pas aussi les Bontemps? – Je les oubliais», avait en rougissant répondu Cottard au maladroit qu’il classa désormais dans la catégorie des mauvaises langues). Pour ceux-là les Bontemps et les Cottard adoptèrent chacun sans s’être consultés une version dont le cadre était identique et où seuls leurs noms respectifs étaient interchangés. Cottard disait: «Eh bien, il y avait seulement les maîtres de maison, le duc et la duchesse de Vendôme – (en souriant avantageusement) le professeur et Mme Cottard, et, ma foi, du diable si on a jamais su pourquoi, car ils allaient là comme des cheveux sur la soupe, M. et Mme Bontemps.» Mme Bontemps récitait exactement le même morceau, seulement c’était M. et Mme Bontemps qui étaient nommés avec une emphase satisfaite, entre la duchesse de Vendôme et le prince d’Agrigente, et les pelés qu’à la fin elle accusait de s’être invités eux-mêmes et qui faisaient tache, c’était les Cottard.

      De ses visites Swann rentrait souvent assez peu de temps avant le dîner. À ce moment de six heures du soir où jadis il se sentait si malheureux, il ne se demandait plus ce qu’Odette pouvait être en train de faire et s’inquiétait peu qu’elle eût du monde chez elle, ou fût sortie. Il se rappelait parfois qu’il avait, bien des années auparavant, essayé un jour de lire à travers l’enveloppe une lettre adressée par Odette à Forcheville. Mais ce souvenir ne lui était pas agréable et, plutôt que d’approfondir la honte qu’il ressentait, il préférait se livrer à une petite grimace du coin de la bouche complétée au besoin d’un hochement de tête qui signifiait: «Qu’est-ce que ça peut me faire?» Certes, il estimait maintenant que l’hypothèse à laquelle il s’était souvent arrêté jadis et d’après quoi c’étaient les imaginations de sa jalousie qui seules noircissaient la vie, en réalité innocente d’Odette, que cette hypothèse (en somme bienfaisante puisque tant qu’avait duré sa maladie amoureuse elle avait diminué ses souffrances en les faisant paraître imaginaires) n’était pas la vraie, que c’était sa jalousie qui avait vu juste, et que si Odette l’avait aimé plus qu’il n’avait cru, elle l’avait aussi trompé davantage. Autrefois pendant qu’il souffrait tant, il s’était juré que, dès qu’il n’aimerait plus Odette et ne craindrait plus de la fâcher ou de lui faire croire qu’il l’aimait trop, il se donnerait la satisfaction d’élucider avec elle, par simple amour de la vérité et comme un point d’histoire, si oui ou non Forcheville était couché avec elle le jour où il avait sonné et frappé au carreau sans qu’on lui ouvrît, et où elle avait écrit à Forcheville que c’était un oncle à elle qui était venu. Mais le problème si intéressant qu’il attendait seulement la fin de sa jalousie pour tirer au clair avait précisément perdu tout intérêt aux yeux de Swann, quand il avait cessé d’être jaloux. Pas immédiatement pourtant. Il n’éprouvait déjà plus de jalousie à l’égard d’Odette, que le jour des coups frappés en vain par lui l’après-midi à la porte du petit hôtel de la rue Lapérouse avait continué à en exciter chez lui. C’était comme si la jalousie, pareille un peu en cela à ces maladies qui semblent avoir leur siège, leur source de contagionnement, moins dans certaines personnes que dans certains lieux, dans certaines maisons, n’avait pas eu tant pour objet Odette elle-même que ce jour, cette heure du passé perdu où Swann avait frappé à toutes les entrées de l’hôtel d’Odette. On aurait dit que ce jour, cette heure avaient seuls fixé quelques dernières parcelles de la personnalité amoureuse que Swann avait eue autrefois et qu’il ne les retrouvait plus que là. Il était depuis longtemps insoucieux qu’Odette l’eût trompé et le trompât encore. Et pourtant il avait continué pendant quelques années à rechercher d’anciens domestiques d’Odette, tant avait persisté chez lui la douloureuse curiosité de savoir si ce jour-là, tellement ancien, à six heures, Odette était couchée avec Forcheville. Puis cette curiosité elle-même avait disparu, sans pourtant que ses investigations cessassent. Il continuait à tâcher d’apprendre ce qui ne l’intéressait plus, parce que son moi ancien, parvenu à l’extrême décrépitude, agissait encore machinalement, selon des préoccupations abolies au point que Swann ne réussissait même plus à se représenter cette angoisse, si forte pourtant autrefois qu’il ne pouvait se figurer alors qu’il s’en délivrât jamais et que seule la mort de celle qu’il aimait (la mort qui, comme le montrera plus loin, dans ce livre, une cruelle contre-épreuve, ne diminue en rien les souffrances de la jalousie) lui semblait capable d’aplanir pour lui la route, entièrement barrée, de sa vie.

      Mais éclaircir un jour les faits de la vie d’Odette auxquels il avait dû ces souffrances n’avait pas été le seul souhait de Swann; il avait mis en réserve aussi celui de se venger d’elles, quand n’aimant plus Odette il ne la craindrait plus; or, d’exaucer ce second souhait, l’occasion se présentait justement car Swann aimait une autre femme, une femme qui ne lui donnait pas de motifs de jalousie mais pourtant de la jalousie parce qu’il n’était plus capable de renouveler sa façon d’aimer, et que c’était celle dont il avait usé pour Odette qui lui servait encore pour une autre. Pour que la jalousie de Swann renaquît, il n’était pas nécessaire que cette femme fût infidèle, il suffisait que pour une raison СКАЧАТЬ